Philippe Hourdain (CCIR) : “Cette sensation de jour sombre sans fin est trop longue !”

Philippe Hourdain, président de la CCI régionale, a accueilli Eco121 début janvier. L'occasion de faire un état des lieux des initiatives de soutien aux entreprises et d'évoquer l'avenir. Philippe Hourdain, président de la CCI régionale, a accueilli Eco121 début janvier. L'occasion de faire un état des lieux des initiatives de soutien aux entreprises et d'évoquer l'avenir.

La CCI régionale, au côté des collectivités territoriales, se veut particulièrement proactive depuis le début de la crise Covid, voici près d’un an. L’occasion pour son président Philippe Hourdain, de faire un état des lieux des initiatives de soutien aux entreprises, et surtout d’évoquer l’avenir.

L’an dernier, nombre de dispositifs ont été déployés pour aider les entreprises face à la crise. Permettront-ils d’amortir le choc en 2021 ou doit-on s’attendre au pire ?

Les défaillances d’entreprises ont connu un recul historique en 2020 grâce aux aides financières qui ont été mises en place. Mais attention à l’atterrissage qui pourrait être violent en 2021. Nous devons tout faire pour éviter les défaillances d’entreprises viables. 2021 est perçue par des économistes comme l’année de tous les dangers. En continuant à jouer collectif comme nous l’avons fait depuis le début de cette crise avec l’Etat, la Région, le monde économique comme la Chambre des Métiers et de l’Artisanat, le MEDEF, la CPME, l’Ordre des Experts Comptables. C’est ensemble que nous avons, par exemple, créé le numéro unique* toujours opérationnel aujourd’hui.

Ce numéro a-t-il créé un réflexe chez les chefs d’entreprise ?

Il devient presque institutionnel, dans le sens positif du terme, que ce soit pour la Covid ou le Brexit. En décembre, nous recevions encore près de 350 appels par jour en moyenne. En parallèle, sur une idée de la ministre en charge de l’industrie Agnès Pannier-Runacher, nous avons contacté 2 700 industriels des Haut-de-France pour leur proposer nos services. L’accueil a été très positif. Nous avons donc décidé de lancer une autre campagne d’appels en novembre, cette fois à destination de 3000 commerçants de centres-bourgs pour évaluer l’impact de la crise sur leur activité et définir leurs besoins d’accompagnement, notamment sur la digitalisation.

Comment se porte la trésorerie des entreprises ?

Globalement, elle n’est pas si mauvaise. Les entreprises qui ont contracté un PGE ont désormais la possibilité de reporter d’un an le remboursement soit en 2022. Toutefois, il ne faut pas oublier que cela reste une trésorerie artificielle, une trésorerie de dettes...donc attention à l’effet boomerang ! En parallèle, le fonds de premier secours et Hauts-de-France Prévention ont bien fonctionné. Mais ce n’est pas l’affolement, justement car il y a le PGE. Et parce qu’un certain nombre de critères ne peuvent être changés sous prétexte de la crise. Par exemple il faut que l’entreprise soit saine, qu’elle ait des projets... On ne peut pas y déroger.

L’objectif aujourd’hui est de sauver le tissu économique et lutter contre la pandémie. Les anciennes priorités ont volé en éclats. Qu’en sera-t-il à l’avenir ?

Si la crise Covid a été une onde de choc, on s’est vite rendu compte qu’elle était aussi un véritable accélérateur de tendances. Il était essentiel donc de poursuivre nos ambitions sur des grands dossiers. La transition numérique, énergétique ou encore la formation. Avec 14 centres de formation, plus de 400 collaborateurs sur les territoires, 3 600 apprentis pour 53 M€ de chiffre d’affaires, le réseau consulaire est un des acteurs leaders de la formation en Hauts-de-France. Notre ambition : atteindre les 5000 apprentis en 2023 avec des appareils de formation à la pointe de l’innovation pédagogique pour former aux métiers de demain liés aux transitions. Accompagner les jeunes est un enjeu majeur, ils sont les compétences qui permettront aussi à nos entreprises de rebondir.

Le tissu économique garde-t-il sa capacité de rebond ?

On ne peut pas globaliser. La crise que nous traversons est une crise très sectorielle avec des secteurs qui se portent bien comme l’industrie et des secteurs qui sont toujours à l’arrêt, comme l’hôtellerie café restaurants, la culture, l’événementiel ou le tourisme... Certains n’ont pas travaillé depuis un an. Ils ont pour la première fois le sentiment inédit de ne plus être maîtres de leur destin ! Aujourd’hui, les entrepreneurs et leurs salariés ne demandent pas à être subventionnés mais bien à travailler. Dans la durée, le système de perfusion mis en place avec les aides est malsain psychologiquement ! C’est un impact qui m’inquiète beaucoup aujourd’hui. Alors qu’il n’est pas apparu évident au début de la crise. Même si nous avions tout de suite signé un contrat avec l’Apesa, l’association nationale créée par les tribunaux de commerce et des psychologues pour aider les chefs d’entreprise en difficulté.

Au même titre que le Medef, regrettez-vous le maintien de la fermeture des structures culturelles ?

Je suis contre la fermeture à tout crin. Personne n’a de solution toute faite, mais il faut être créatif. Nous travaillons avec les équipes d’épidémiologie et de santé publique de Philippe Amouyel au CHU de Lille pour anticiper la réouverture des lieux culturels et des activités événementielles qui sont très liées. Nous présenterons au gouvernement une charte de propositions pour préparer la reprise dans des conditions sanitaires bien sûr strictes. Il me parait urgent de donner des signaux d’espoir à ces secteurs qui contribuent grandement àlaconvivialitéetauliensocial. Cette sensation de jour sombre sans fin est trop longue !

La CCI a subi de lourdes coupes budgétaires et un plan social. Avez-vous encore les moyens d’accompagner le tissu économique ?

Le gouvernement, notamment Bruno Le Maire, a reconnu les CCI comme l’acteur de proximité de référence pour accompagner les mesures du plan de relance. Le travail des équipes a été reconnu et le gouvernement a suspendu pour 2020 et 2021 la baisse de 100 M€ des subventions budgétaires affectées aux CCI. Pour nous, elle était de 8 M€. Le réseau CCI poursuit sa démarche de transformation pour trouver de nouvelles sources de financement afin de garantir la qualité de notre accompagnement et de notre service. Nous avons par ailleurs créé des plateformes téléphoniques avec 25 personnes recrutées pour soutenir les chefs d’entreprise pendant cette période de crise.

La crise n’a-t-elle pas permis aux CCI, qui étaient très menacées, de montrer leur utilité ?

Quand on traverse une telle crise, on a besoin de bras armés, d’équipes commando. Je ne sais pas de quoi demain sera fait. Le gouvernement a changé son point de vue. Il nous voit comme un acteur qui a fait le job, immédiatement, au sein d’une crise d’une violence inouïe.

La baisse de la capacité financière des collectivités locales est-elle une source d’inquiétude pour vous ?

Objectivement, les conditions vont être difficiles mais la capacité de résilience des uns et des autres est là. Pendant la crise, elles aussi ont fait le job. Avec Xavier Bertrand, nous avons rencontré 1 000 élus, qu’ils soient présidents de collectivité, maires de petite ou grande commune, dans l’ex-Picardie et l’ex-Nord - Pas-de-Calais. Tous n’ont qu’un objectif : sauver les entreprises de leur territoire. Tout le monde se bat, avec ses problématiques et ses armes.

Rev3 est l’une des priorités de la CCI. La crise peut-elle être l’opportunité d’accélérer ? Les prochaines élections pourraient-elles menacer cette politique ?

Quand on travaillait sur un plan de relance avec les autres régions, on s’est rendu compte que la transition énergétique et numérique allait être un élément moteur et un facteur de différenciation. Notre région a marqué un temps d’avance grâce à la dynamique REV3 lancée il y a 7 ans. Avec une personnalité forte aux commandes qu’est Philippe Vasseur. Plus que jamais, nous portons l’ambition de faire des Hauts-de-France la 1ère région durable et connectée. Nous renforçons les moyens dédiés avec la mise en place de REV3 Financement qui permet de disposer d’une force financière de 650 millions d’euros. C’est une première en France sur le fond et la forme ! Je suis convaincu que cette dynamique s’amplifiera et elle sera l’une des priorités de notre prochaine mandature et j’aspire à la porter.

Encore faut-il qu’entreprises et collectivités puissent faire remonter de bons dossiers...

De bons dossiers, il y en a de plus en plus. Ils ne manqueront pas car on parle de plus en plus de la transition énergétique et numérique. Il y a une prise de conscience chez les entrepreneurs et au sein des politiques territoriales. Il n’y a qu’à regarder ce qui se passe à Dunkerque avec « Industrie et CO2 », par exemple. A nous de ne pas saupoudrer, car les besoins seront immenses. Il faut également, via nos incubateurs et accélérateurs, faire émerger de jeunes pousses qui se spécialiseront. Je suis persuadé que Rev3 peut être une grande source d’opportunités demain pour la région et les entreprises.

Un dernier mot sur le Brexit. Une délégation a été créée il y a trois ans mais on ne voit pas les résultats. Devenu réalité, le Brexit offrira-t-il des opportunités à la région ?

Dès le départ, l’idée de la task force était « de tendre la main aux Anglais » comme l’a dit Xavier Bertrand. Un bureau a été créé à Londres et un autre dans les locaux de la CCI régionale. Nous avons eu beaucoup de contacts mais en effet peu de résultats probants. Pourquoi ? Car personne ne savait ce que serait le Brexit. 3 jours avant le 31 décembre 2020, il y avait encore des chefs d’entreprise qui nous disaient que tout allait bien se passer. Il y a eu des tas de touches mais très peu de décisions. Nous restons très mobilisés pour être une région d’accueil des industries et services en provenance de Grande-Bretagne. C’est en ce sens que nos équipes de CCI International et celles de Nord France Invest oeuvrent au quotidien pour accompagner les entreprises des deux côtés de la frontière.

*Dix mois de numéro unique

Mis en place en mars 2020, le numéro unique (03 59 75 01 00) a permis de répondre à 9800 appels. Chacun a duré une moyenne de 7 ‘40. 86,6% concernaient des entreprises de moins de 10 salariés.