Interview de Philippe Beauchamps : “Je veille à ce qu'on continue à aider l'économie de proximité"
Dans un entretien exclusif à Eco121, le Monsieur Economie de l'exécutif régional, vice-président en charge des relations aux entreprises, de la formation et de l'emploi, apporte son regard sur les grands enjeux du moment : les besoins énormes en formation issus de la nouvelle Vallée de la Batterie, la grave crise de l'immobilier qu'il redoute, mais aussi le soutien très fortement réaffirmé aux TPE et aux PME, au-delà des grands projets qui prennent toute la lumière médiatique. Rencontre.
Vous venez d'être promu au conseil régional vice-président en charge des relations aux entreprises et de l'emploi, ainsi que de la formation professionnelle. Quel sens donner à ce mouvement ?
C'est Xavier Bertrand qui décide de l'organisation de son exécutif. Mon poste de vice-président et ma délégation, tout cela a un sens. Quand je vais dans les entreprises, ce que je fais à peu près chaque jour, on me parle d'économie, de liens entre la Région et l'entreprise, mais aussi de formation. Pourquoi ? Parce que même si notre taux de chômage est de deux points supérieur à la moyenne nationale, on a des problématiques pour trouver de la main d'œuvre. Il n'y a pas une entreprise dans laquelle je vais où on ne me parle pas de ce que peut faire la Région pour l'accompagner en matière de formation. Nous travaillons ensemble avec Marie-Noëlle Delaire, vice-présidente à l'Economie Sociale et Solidaire. On englobe ainsi l'intégralité de la problématique.
Votre délégation ne comprend pas les filières, qui relèvent de Frédéric Motte. Comment conjuguer les problématiques individuelles et une vision stratégique sectorielle ?
Je suis en charge des relations avec les entreprises en one to one. Une entreprise sollicite la Région pour différentes raisons : elle investit, crée de l'emploi, recherche des financements pour son développement, cherche un accompagnement en haut de bilan, demande à être épaulée vis-à-vis des tribunaux de commerce, des missions de conciliation et mandat ad hoc, du fonds de prévention. Dans la direction de la transformation régionale, on trouve les filières, les dispositifs portés par des structures qu'on finance largement pour accompagner la bio-économie, l'évolution des matériels et bien d'autres filières. Avec l'écosystème, c'est bien de ne pas tout mettre entre les mains du même élu, en terme de charge de travail comme de représentation. Mais c'est une frontière ouverte en bien des points.
Concrètement ?
Prenons l'exemple du dispositif de formation Electromob, qui mobilise 27 M€ sur les métiers de l'électomobilité. Cela a démarré avec les nouvelles gigafactories, et des entreprises comme Ampère qui ont aussi exprimé des besoins significatifs en formation dans leur transformation du thermique vers l'électrique. On leur a dit d'accord, mais on ne va pas prendre vos entreprises les unes après les autres, vous avez les mêmes problématiques et vous nous demandez de vous aider à recruter le même type de métier. Donc oui on va le faire, mais à la condition que vous veniez tous dans ce dispositif. On a eu seulement dix minutes de chouinement ! (rires)
Les pouvoirs publics ont mobilisé des aides considérables pour les gigafactories. Peut-on continuer longtemps à ce rythme ? N'est-ce pas au détriment du tissu économique existant ?
Ce sujet me tient énormément à cœur. Je veille à ce qu'on continue à aider tout autant l'économie de proximité, qui représente plus de 60% de l'économie régionale, avec le coiffeur, le boulanger, le restaurateur, le médecin au coin de la rue. Il faut d'abord démystifier le fait que l'attractivité régionale ne se fait qu'autour des gigafactories. Le dernier rapport Business France confirme que nous sommes toujours la 2e région en création d'emplois dans les dossiers d'attractivité, et parmi les 10 premières régions européennes. Il montre aussi que sur les 8 000 emplois créés, seuls 20% relèvent des gigafactories.
Néanmoins, sur un dossier comme ACC, la Région a apporté 80 M€, c'est considérable...
Quand on veut appâter à la pêche, on en met plus au début qu'à la fin. Tout le monde a bien vu que nos aides ont eu tendance à diminuer. On écoute les potentiels investisseurs, on arrive assez vite à voir s'ils hésitent sur le territoire sur lequel ils vont aller ou s'ils se rendent compte que l'écosystème déjà en place fait qu'ils ont tout intérêt à venir sur notre territoire. Mais les aides aux grands groupes n'ont pas diminué ce qu'on pouvait faire au niveau des TPE-PME. Non seulement on ne l'a pas diminué mais on l'a augmenté.
Comment ?
On a changé notre façon de faire. Avant on avait tout un dispositif d'aides qu'on ne communiquait pas au grand public. On a créé l'Agence des entreprises, confortée par un site web « Hauts de France entreprises », spécialement dédié, dans lequel un menu dé- roule toutes les aides aux entreprises, en grande majorité réservées aux TPE et aux PME. En 2023, on a donné 27 M€ d'aides di- rectes au bénéfice des TPE, et on a contre- garanti près de 40 M€ d'emprunts.
Avec les méga-implantations, n'y a t-il pas un sérieux risque d'aspiration des talents des petites entreprises par les grandes ?
Je n'utiliserais pas le mot aspiration. Il faut distinguer entre les peurs et la réalité. On n'a qu'une solution, la formation. Prenez les techniciens de maintenance. Si vous ne voulez pas que les entreprises qui s'installent « piquent » les techniciens de maintenance dans les structures existantes, il faut saturer le marché et la formation. On en a formé 600 l'an dernier dans le plan régional de for- mation, on va en former 1 200 en 2024 et s'il faut en former 2 400 en 2025, on le fera. Nous n'avons pas de problème de finance- ment de la formation, quelles que soient les rigueurs budgétaires.
Encore faut-il attirer sur ces métiers...
Nous avons renouvelé notre accord avec l'Etat sur les plans régionaux d'investissement dans les compétences. Le problème est en effet de faire venir dans ces formations les personnes à former. Il faut résoudre collectivement ce problème. Tout le monde doit y participer, les entreprises elles-mêmes en donnant une vraie image de ce que sont leurs métiers aujourd'hui, en expliquant que l'industrie n'est plus celle d'hier, que ces nouveaux métiers ne sont pas des métiers de la métallurgie mais sont deve- nus ceux de la chimie.
Cela fait 30 ans qu'on tient vainement ce discours pour attirer dans l'industrie...
Je ne suis pas d'accord. Le monde évolue très vite. Quand je suis arrivé à cette fonction, on me disait « on ne trouve plus de chaudronniers ». Une petite révolution s'est formée sur ces sujets avec de nouveaux attraits pour les métiers manuels. Un lycée professionnel à Hénin-Beaumont explique qu'autrefois il formait des personnes qui avaient choisi le métier en option 4 ou 5. Aujourd'hui, non seulement sa formation est pleine, mais il a dû créer un deuxième groupe avec des gens qui l'ont choisie cette fois en option 1 !
N'y a t-il pas un risque spécifique de goulet d'étranglement à Dunkerque ?
Quand on vient installer du jour au lendemain un grand nombre d'emplois dans le Dunkerquois, oui c'est sûr qu'il y a un risque. Mais on peut aussi basculer sur l'apprentissage, notamment dans des métiers liés au bâtiment. Il peut exister un risque complémentaire pour certaines TPE-PME qui ne vont pas comprendre assez vite que leur problème est moins de recruter que de fidéliser. A la direction de l'emploi et avec France Travail, on a des sessions communes avec ces entreprises pour discuter marque employeur et fidélisation. C'est un sujet important.
La Région dispose-t-elle encore de foncier disponible pour de gros dossiers ? Les friches peuvent elles être une réponse ?
Les friches sont une des réponses au zéro artificialisation nette (ZAN), quand on peut démontrer que les terrains ont eu initialement un usage économique. Avant le ZAN, personne ne voulait des friches, mais les communes voulaient garder la maîtrise foncière. Pour ce faire, elles devaient faire part d'un projet et demander à l'un de nos deux EPF de garder le foncier au chaud. Aujourd'hui, les EPF ont un stock de foncier à vocation économique. Il n'y a plus de très grosse parcelle de plus de 20-30 ha. Ce sont plutôt des parcelles de 5-10 ha, ça ne permet pas de mettre une gigafactory mais déjà une très belle entreprise. Pour accélérer le dispositif, on a signé une convention de collaboration avec les EPF : avec l'aide notamment de Nord France Invest, l'idée est de sélectionner quelques friches, recueillir l'accord des collectivités pour y conduire des projets pas forcément en lien avec le projet initial, et démarrer immmédiatement les travaux pour gagner du temps.
Connaît-on bien ces friches ?
Nous avons aujourd'hui un état complet des friches propriété des EPF. Certaines n'appartiennent pas aux EPF mais à des vrais privés, à de grandes entreprises ou des institutionnels. L'Etat travaille aussi beaucoup sur ces sujets et a lancé une obligation aux collectivités de lui soumettre dans des délais donnés les friches présentes sur leur territoire. Ces friches étaient un problème, elles deviennent une solution et une valeur. On va du reste changer dans la manière dont on donne du terrain aux entreprises, on ne leur laissera plus inclure une réserve foncière pour leurs developpements futurs.
Certains secteurs comme l'immobilier sont en grande difficulté. Comment la Région peut-elle les accompagner ?
Sur l'immobilier, je renvoie vers le Président de la République qui vous expliquera ce qui pour moi est la bombe sociale à venir dès lors qu'on ne construit pas des logements de manière suffisante pour loger les gens tant dans le logement social que privé... Les gilets jaunes à côté, c'était de la rigolade. C'est inquiétant que quelqu'un qui gagne 3 000 € par mois ne trouve pas de logement ou ne puisse pas avoir accès à un logement. Cette crise ne fait que commencer. Or notre région a une particularité : la construction neuve dans le privé est majoritairement le fait d'investisseurs qui vont ensuite louer, car les gens ont un pouvoir d'achat plus faible qu'ailleurs.
Je comprends parfaitement que le Président, qui n'aime pas l'immobilier, ne veuille pas que celui-ci devienne un produit de défiscalisation. Mais il faut alors avoir une vraie politique pour les utilisateurs avec de vrais prêts à taux zéro, d'éventuelles aides à l'acquisition selon les revenus, de nouveaux dispositifs non pas expérimentaux mais industrialisés. Si on ne veut pas d'une France de propriétaires investisseurs, on va devoir aller vers une France de propriétaires utili- sateurs. Si on n'a plus ni l'une ni l'autre, on va aller dans le mur, avec une vraie crise sociale liée au logement.
Plus largement, comment voyez-vous l'année 2024 pour l'économie régionale ?
On va avoir une année 2024 compliquée. Notamment pour certaines entreprises et certains secteurs. Il y a eu les PGE, mais aussi tous les dispositifs comme le plan France Relance, React EU, qui ont injecté des milliards dans l'économie. Aujourd'hui, on en injecte par définition beaucoup moins. Si on ajoute l'inflation, l'impact sur le pouvoir d'achat, je pense qu'on aura une année difficile.
Comment limiter la casse ?
Quand une entreprise a des difficultés, le meilleur moyen qu'elle a de se sauver c'est d'en faire part le plus vite possible, notamment à la Région. Nous sommes là pour ça. Dans de nombreux cas, nous les renvoyons vers les tribunaux de commerce avec lesquels nous avons des relations privilégiées. 7 entreprises sur 10 qui viennent voir un tribunal avant d'être en cessation de paiement pour demander une concilitation ou un mandat ad hoc ressortent sauvées, alors que 7 entreprises sur 10 qui déposent le bilan sont liquidées. J'ajoute une note positive. Avec le plan régional de formation, nous avons formé quand même 65 000 personnes l'an dernier, dont 63% de retour à l'emploi définitif au bout de six mois. Et 25% d'entre elles sont bénéficiaires du RSA. De son côté, France Travail formait sur d'autres dispositifs 30 000 demandeurs d'emploi. C'est un total de 100 000 demandeurs d'emploi formés l'an dernier !