Covid : La rentrée de tous les dangers ?

Stelia Aérospace a annoncé un plan de 290 suppressions d’emplois sur son site de Meaulte au cœur de l’été. Le début d’une longue liste ? Stelia Aérospace a annoncé un plan de 290 suppressions d’emplois sur son site de Meaulte au cœur de l’été. Le début d’une longue liste ?

La planète économique ne sait plus comment elle tourne. Reprise en V,W, en L, en racine carrée ? Bien malin qui sait comment le vent va tourner, alors que les Etats battent monnaie sans le dire par des plans de soutien en centaines de milliards, que les bourses sont déconnectées du réel, que les endettements publics et privés s'envolent partout. Après des vacances indispensables succédant à un printemps traumatique, le retour à la réalité va piquer. Crise économique grave ou véritable tsunami ? Si une première série de défaillances ou restructurations a déjà frappé -Camaïeu, Phildar, NCN...- à quoi s'attendre demain ? Tous les acteurs préparent en tout cas des réponses à la crise. Revue des troupes.

"Nous vivons le calme avant la tempête », lançait Xavier Bertrand en juillet, en annonçant un plan de relance à 1,3 milliard d'euros pour l'économie régionale. Après la mise à l'arrêt complet de l'économie – du jamais vu dans l'Histoire, la plupart des acteurs économiques et institutionnels des Hauts-de-France s'attendent à la conséquence à retardement : le boomerang économique et social, malgré le plan de relance gouvernemental à 100 milliards qui devait être annoncé le 3 septembre. Des défaillances en masse et des licenciements à gros bouillons. 500 000 chômeurs, 800 000, un million dans tout le pays ? Combien pour notre région? Certes, quelque 33 000 Prêts Garantis par l'Etat (PGE) ont été souscrits, offrant aux entreprises des Hauts-de-France une sacrée bouffée d'oxygène, tandis qu'environ 3% des prêts étaient rejetés, avec quelques solutions de repli avec la médiation du crédit ou l'aide de différents fonds d'urgence. Mais les reports d'échéances fiscales, sociales, financières, arrivent peu à peu à leur terme que certaines entreprises voient arriver comme des couperets, surtout lorsque l'activité n'est pas suffisamment repartie.

Or l'hôtellerie-restauration affichait un recul historique de 52% au premier semestre selon l'enquête de conjoncture de la CCI Hauts-de-France, la construction de 30%, l'industrie ou le transport-logistique de 35%. 57% des dirigeants évoquaient un repli de trésorerie depuis le début de l'année. Plusieurs grands noms de l'économie ont déjà mordu la poussière, comme Camaïeu, Phildar ou PicWicToys, d'autres ont courbé l'échine, comme Damartex, Demeyère, Stelia (filiale d'Airbus à Méaulte) ou Arc. Le début d'une liste interminable ? 

Mur de dettes

« Après les facilités, il y aura un mur de dettes qu'il conviendra de régler », s'inquiète le président du tribunal de commerce de Lille Métropole Eric Feldmann (lire son interview en p.22). « Les entreprises vont se trouver à un moment à devoir rembourser ! » renchérit Hubert Tondeur, président du conseil régional de l'ordre des experts comptables, qui craint le contre-choc en fin d'année ou début 2021. Car ces dépenses interviendront sur fond d'activité en repli, mais aussi de rentabilité traditionnellement plutôt faible en France. « Comment va-t-on créer des échéanciers supportables par les entreprises sans obérer dans le même temps leurs capacités d'investissement ? » s'interroge-t-il.

« Je ne m'attends pas à une rentrée sereine », lâche d'un bel euphémisme Philippe Vasseur, observateur privilégié de l'économie régionale de longue date, aujourd'hui à la tête de la mission rev3.

Outre les effets du confinement pour tous, la panne durable de certains secteurs - tourisme, restauration, aéronautique... - finira immanquablement par avoir des effets collatéraux. « On manque cruellement de données objectives, regrette Philippe Hourdain, président de la CCI de région, qui prépare son enquête de conjoncture pour la mi-septembre. Mais on a le sentiment qu'ici on se bat, on prend ses responsabilités. »

« Effet domino »

« On craint l'effet domino en septembre. Un client en liquidation, c'est un pourcentage amputé à nos marges, ça peut aller très vite. On est sur une planche savonnée », estime pour sa part le président de Transport et Logistique de France (TLF), Sébastien Delquignies, qui craint en outre des conséquences sur le coût des transports. Du côté de la Fédération nationale du transport routier Nord, son secrétaire général Olivier Arrigault s'alarme de la hausse de prix sur les carburants (2ct/litre) prévue en janvier 2020,  des surcoûts liés aux restrictions sanitaires et à l'immobilisation d'une partie des flottes, alors que les flux ne sont pas revenus à la normale.

Yann Orpin, président du Medef Lille Métropole, s'inquiète pour les entrepreneurs et auto-entrepreneurs. « Eux n'auront pas d'indemnités et se retrouveront sur la paille. Que fera-t-on de tous ces gens au bord de la route ? »

Décalage des difficultés au T1 2021

La Banque de France est venue apporter une note un peu plus positive dans sa dernière enquête de conjoncture. Après un simple rebond technique en mai, le mois de juin a marqué une vraie reprise de l'activité régionale confirmée en juillet, mais sur des niveaux toujours inférieurs à la situation d’avant crise. Laurent Roubin, président du comité régional des banques des Hauts-de-France, ne se veut pas non plus alarmiste. « Il n'y aura pas une, mais des rentrées, très différentes selon les secteurs », évoquant par exemple l'aéronautique ou le tourisme-restauration évidemment très secoués. « Aujourd'hui il n'y a pas de signe avant-coureur de difficultés particulières pour les entreprises, elles sont globalement bien dotées en trésorerie», analyse-t-il, estimant que les difficultés pourraient se concentrer en fin d'année. « Il y a des signes positifs : la consommation ne s'en sort pas trop mal, certains secteurs comme l'agroalimentaire ou la santé repartent. Je ne suis pas forcément négatif. Et les entreprises ne sont pas à sec grâce au PGE, ça va passer tout seul », veut croire Patrice Pennel, président du Medef Hauts-de-France, plus inquiet pour le début 2021, à la lecture des bilans de 2020. Le monde du bâtiment s'attend lui aussi à un décalage des difficultés au premier trimestre 2021. « Mais dans un bilan, ces trois mois perdus, on les verra », pointe Paul Péchon, président régional de la Capeb, qui rappelle les épisodes précédents des gilets jaunes ou de la réforme des retraites qui avaient déjà affecté le secteur. « Il faut faire la distinction entre les grandes entreprises qui avaient des résultats très bons en 2019, qui leur permettront de passer 2020, et les petits artisans et petites entreprises ». Pour le représentant des petits patrons du bâtiment, les plans de relance à commencer par le plan national de rénovation énergétique, doté de 20 milliards d'euros, sont très bienvenus. « Mais il faut que ça se mette en place tout de suite maintenant ! », réclame-t-il. D'autant que les entreprises ont clairement mis le frein sur les projets d'investissements. 41% d'entre eux indiquaient vouloir les suspendre, contre moins d'un tiers sûrs de les poursuivre, dans la dernière enquête de la CCI.

Mobilisation générale

C'est pour éviter cette catalepsie économique que la Région a dégainé son propre plan à 1,3 milliard d'euros (lire ci-dessus) dès l'entrée de l'été. Un chiffre qui s'appuie sur un très fort volontarisme, quitte à surcommuniquer. Le président de Région a d'ailleurs poussé fort la médiatisation sur la période, n'hésitant pas, par exemple, à attaquer frontalement des banques jugées pusillanimes face aux enjeux. « Qu'elles arrêtent de jouer aux cons ! (...) Il y a des enfoirés et il y en a qui jouent le jeu », a-t-il lâché dans un registre lexical pour le moins inhabituel pour un grand élu de la République, sur les ondes de France Bleu à propos des Meubles Demeyère. De fait, l'argent est un point névralgique. Si le PGE répond à l'urgence, quelle sera la capacité de financement de l'économie classique?

«Les banques auront-elles la possibilité, la volonté, de financer la création d’activités nouvelles, originales ? Je n’en suis pas sûr... », confie ainsi Emmanuel Cohardy, président régional du syndicat patronal CPME.

Sous-capitalisation

Dans ce contexte, la sous-capitalisation de nos entreprises reste un gros handicap. Plusieurs réponses de grande envergure devraient voir le jour ces prochains mois. L'alliance originale des deux caisses de Crédit Agricole Nord de France et Brie Picardie, associées à la Caisse d'Epargne Hauts de France, a tiré la première, avec un fonds « regain 340 » (lire p.26), tandis qu'un outil dédié à la troisième révolution industrielle est en gestation sous l'égide de Philippe Vasseur, à hauteur de 100M€. Et l'IRD est également à la manœuvre pour créer un fonds d'envergure (200 M€) à destination des ETI.

L'autre point stratégique est l'emploi. La réponse devra être à la fois massive et rapide pour faciliter les transitions professionnelles, mais aussi en sur-mesure. « avec la région, on souhaite redonner de la visibilité sur la revalorisation des compétences », souligne Nadine Crinier, directrice de Pôle Emploi. « Nous avons répondu il y a quelques mois à Intermarché qui voulait 2000 emplois en France, des bouchers, des pâtissiers ou boulangers par centaines. on sait qu'il y aura des dépôts de bilan dans l'artisanat, on peutfaire le lien », illustre de son côté Philippe Lamblin, à la tête d'une mission pour l'emploi depuis 2018. « c'est un travail de dentellière,territoire par territoire, en s'appuyant sur les locaux », explique-t-il. Les « job dating sport », interrompus par la covid, ont aussi permis de remettre 1000 personnes à l'emploi sur la base d'un concept très original.

La mobilisation générale et le volontarisme suffiront-ils à éviter le pire ? Au moins la région a-t-elle un atout par rapport aux autres. Surexposée aux crises textile, charbonnière, sidérurgique, de désindustrialisation, sa capacité de résilience est hors norme. Elle sera encore une fois mise au défi.

 

UN PLAN DE RELANCE A LA RECHERCHE DE L'EFFET LEVIER

Devant l'urgence de la crise, Xavier Bertrand a voulu aller vite. « Beaucoup sont à disserter sur le monde d'après. Moi ce qui me préoccupe, c'est la reprise d'aujourd'hui ! Le plan de relance à l'automne (de l'Etat, ndlr), c'est tard !», expliquait-il le 29 juin, en annonçant le sien. Au programme : garanties, renforcement des outils en fonds propres, doublement de l'engagement rev3, commande publique optimisée, avec des délais raccourcis et une généralisation de l'allotissement pour ruisseler sur les entreprises de proximité et non pas bénéficier aux seuls majors. Mais les moyens de la Région seront à la peine alors que la crise lui a coupé l'herbe fiscale sous les pieds : la collectivité va perdre 100 M€ en 2020, et probablement 290 M€ en 2021 ! Pour résoudre la quadrature du cercle, elle mise d'abord sur l'effet levier. A titre d'exemple, son futur fonds Rev3 pourrait ainsi générer 500 M€ d'engagements bancaires pour 100 M€ mis sur la table. Elle compte aussi taper fort dans l'emprunt, probablement 200 à 300 M€, quitte à sortir allègrement des ratios de l'orthodoxie budgétaire. Sa capacité de désendettement devrait bondir de 6,5 à ... 18 ans ! Une paille. Mais la fin justifie les moyens : "Mon obsession est que ça aille vite. Plus ça ira vite, moins il y aura de chômeurs dans la région", lance Xavier Bertrand, qui aura passé l'été à rencontrer les présidents d'intercos nouvellement élus, qui partagent avec la Région la compétence économique.
De son côté, la MEL a mis en œuvre un plan à 80 M€ et les déclinaisons territoriales se multiplient désormais partout. Avec un risque potentiel de géométrie très variable. « Tous les élus n’ont pas la même sensibilité sur la question économique. C’est humain, mais il faut tout de même faire attention aux risques d’inégalités que cela fait peser sur le territoire », met en garde Emmanuel Cohardy, président régional de la CPME.

 

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