Pierre de Saintignon: « Les mois qui viennent vont être extraordinairement difficiles »

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France


 

 

 

Votre action régionale a aujourd'hui un fort volet défensif. Comment évaluez vous la situation économique régionale aujourd'hui ?

On est en crise sévère. Elle est plutôt devant nous que derrière nous. Cela ne veut pas dire que je suis pessimiste, ni qu'on n'est pas concentré, mais on essaie de ne pas prendre des vessies pour des lanternes. Je pense que les mois et peut être les années qui viennent vont être extraordinairement difficiles. Ensuite, il y a des interrogations très importantes sur toute une série de secteurs qui m'amènent à regarder de très près ce qui est susceptible d'être fait pour anticiper ou limiter la casse. Et il y a ce que j'appellerai « l'abîmement » : des entreprises solides, structurées, mais qui, perte de marché après perte de marché, finissent par être atteintes. Ces entreprises sont touchées en pleine crise et plient sous le poids de ces trois années de ralentissement.

 

Vous craignez plutôt de grands sinistres industriels ou de l'effritement du tissu de PME ?

Il faut tout regarder mais c'est d'abord le tissu de Pme qui nous inquiète. Tout cela exige que nous soyons très regroupés. On a une capacté de dialogue comme on ne l'a pas ailleurs.

 

Sans doute, mais pouvez vous jouer les pompiers dans tous les dossiers quand les incendies s'allument partout ?

 

Bien sûr que non, en revanche on peut être soucieux des problemes de fonds propres et de trésorerie des Pme, ouvrant immanquablement des périodes de redressement judiciaire si les questions ne sont pas prises à temps. Dès le lendemain de la faillite de Lehman Brothers, lorsque la crise financière s'est abattue, nous avons donné naissance à une cellule financière qui fonctionne depuis de manière continue avec Oseo, la région, la CDC et un certain nombre de banques pour réfléchir à la manière de garantir le court terme des Pme. J'ai proposé à Oséo de la renforcer sur le plan financier en remettant à parité 6 M€ dans le fonds de garantie.

J'ai réuni tous les fonds privés et publics financiers pour regarder à la fois la question du capital risque et de la garantie. Car toute une série de garanties se déclenchent partout mais elles sont insuffisamment coordonnées pour être pleinement efficaces. Il faut aussi compléter la cellule de veille économique par une cellule de veille sociale qui traite de la question des personnes, pour inventer les bonnes solutions, guider les syndicats et responsables de l'entreprise vers des plans de continuité professionnelle qui permettent de garantir les salaires pendant un an : vous poursuivez pendant un an votre contrat de travail à l'intérieur de stratégies de reclassement sur lesquelles il faut massifier nos moyens, avec une stratégie de coaching et de formation pour rebondir vers une autre solution d'emploi, en n'ayant jamais mis le pied dans la case chômage.

 

Les chefs d'entreprise n'anticipent pas assez ?

 

La cellule de veille sociale aura comme intérêt d'informer les responsables des entreprises sur un certain nombre de droits qu'ils ignorent sur ces questions. Je connais beaucoup de patrons qui vont fermer leur entreprise et qui ne sont pas des voyous. C'est même l'immense majorité.

Ils sont mortellement atteints par cette décision qui va mettre fin à leur entreprise, mettre sur la paille des centaines de salariés. Mais je les trouve extraordinairement démunis, peu connaisseurs des solutions qui peuvent se présenter en amont d'une procédure judiciaire. Par exemple, aucune aide publique ne peut plus s'appliquer à la minute où vous entrez dans un processus de réglement judiciaire. Anticiper, c'est connaître les situations, les identifier, dans le respect des entreprises et sans ingérence, mais dans le souci d'être le plus utile possible, le plus en amont possible.

Pour SeaFrance, nous avions annoncé que nous contribuerions pour 10 M€...

 

Vous avez aussi, en son temps soutenu AFR, et l'Europe a mis en cause le niveau de vos aides...

Nous sommes toujours devant les tribunaux. Mais l'entreprise est sauvée, elle réalise 400 wagons par an, l'objectif est de monter à 1000, elle respecte le tableau de marche. Fallait-il sauver Arbel? Oui ! C'est une entreprise leader, c'est une usine et des emplois dans un bassin qui n'a pas à en perdre. Cela a exigé une proactivité très importante pour sauver ces entreprises.

 

Votre volontarisme va se heurter aux moyens de plus en plus limités des collectivités que les banques financent de moins en moins...

C'est vrai, mais c'est aussi une question de négociation. On ne peut pas accepter que les banques prennent leurs profits et demandent ceinture et bretelle pour le reste du temps. La tendance des banques est d'être garanties à tous égards. Y compris sur des projets comme Euratechnologies, où aujourd'hui 100 entreprises attendent à la porte! Il y a un projet de 6000 m2 de bâtiment pour lequel les banques veulent des garanties. Je leur dis : la garantie publique, je l'ai assurée au départ du projet quand il était si critiqué, mais dans le business, non. Faites votre travail ou ne venez pas !

Ceci étant, les banques sont plutôt mieux comparativement dans notre région qu'ailleurs. Et les patrons ici ont toujours mis l'économie avant la finance. Nous sommes vraiment ensemble pour créer le chemin du possible.

 

Cette philosophie est celle du du schéma régional de développement économique que vous avez mis en place. Mais l'outil ne risque-t-il pas de s'institutionnaliser ?

Le SRDE reste un outil de mission. A chaque fois, l'hémicycle est archi plein, tous les décideurs économiques et syndicaux sont toujours là, alors que le SRDE n'est plus nouveau et qu'on pourrait commencer à déléguer. Mais il a gardé sa fraîcheur. Il y a un plaisir d'être ensemble. La qualité de nos relations est de nature à soulever des montagnes. Quand il s'agit d'élaborer le contrat de plan formation professionnelle, je me suis fait fort d'assister à 102 réunions, sur 76 demi-journées. Et au bout du compte, on arrive à un contrat de plan signé par les 76 branches professionnelles.

 

Les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous... Sur l'innovation, l'export, l'artisanat, on a le sentiment d'être encore loin du compte...

On est sur le chemin ! On est d'accord, et on est opérationnels. Par exemple, l'internationalisation des entreprises s'inscrit dans un contrat évalué chaque année, confié à CCI International. C'est une approche pratique de l'international, de l'intelligence économique, de la formation des chefs d'entreprises, la participation de jeunes. On a décidé de réformer complètement la prospection proche et lointaine, pour aller chercher les capitaux qui vont s'investir dans notre région. Nord France Invest a un avantage énorme, depuis qu'avec Luc Doublet nous avons remis autour de la table toutes les agences de territoires qui travaillaient auparavant dans le dos des autres.

Nous voulons aussi développer la « coopération économique décentralisée ». Nous souhaitons nous jumeler avec des territoires de croissance du monde où l'on parle business, développement durable, respect des cotraitants. Nous avons identifié des territoires, comme le Québec, l'Allemagne, le Brésil, l'Algérie, le Liban, la Tunisie, l'Inde, les USA, où des démarches de projets se mettent en place.

 

L'innovation ne reste-t-elle pas un de nos gros points noirs?

Nous avons accumulé d'énormes retards. Mais on accélère, avec sept pôles de compétitivité et 14 pôles d'excellence, des projets collaboratifs de plus en plus présents. Ce qui explique l'explosion de la science à la Haute Borne, de l'Image à l'Union, des NTIC à Euratechnologies et sur le technopole de Valenciennes, avec le CETI sur le textile où, après avoir perdu la partie sur les filateurs, nous sommes redevenus champions du monde du textile technique innovant. Et peut-être demain réussira-t-on sur la numérisation des œuvres autour du Louvre-Lens.

 

Cela fait 21 pôles, et le tertiaire supérieur voudrait accéder à ce rang...Est-ce bien raisonnable ?

Les pôles d'excellence, c'est le made in Lille Region! On l'a créé au début pour défendre cette idée de l'excellence dans tous les domaines. N'oublions pas la grande place de consommation mondiale que nous sommes au coeur de l'Europe, si nous nous en donnons les moyens dans les décennies qui viennent. Cela suppose que les bons choix soient faits. Ce n'est pas Lille qui tire toute la région économique. Cette région s'élève, tirée par chacun de ses territoires auxquels nous avons donné une responsabilité régionale, à travers 22 Plans locaux de Développement Économique. Ainsi, même si Lille est le cœur de l'agroalimentaire régional, nous avons décidé que l'excellence serait portée depuis Arras.

 

Je reprends ma question autrement : trop de pôles ne risquent-il pas de tuer les pôles?

Beaucoup ne comprennent pas le distinguo pôles de compétitivité et d'excellence. Les premiers sont des clusters, c'est de la recherche. L'excellence, c'est la filière, les plateformes d'échange, la réflexion sur la filière professionnelle. Pourrait-on mettre la filière dans le pôle de compétitivité? C'est justement ce qui se discute sur le ferroviaire, pour que les deux entités soient sur le même lieu.

 

Le Louvre Lens ouvre ses portes dans quelques semaines. Mais où est l'effet Guggenheim -en référence à Bilbao- tant espéré ?

Ça ne va pas assez vite. Je suis triste que nous ne puissions pas entreprendre mieux. Quand on a dans la main la plus belle marque du monde, il faut en profiter à mort ! 

On n'est pas au rendez-vous actuellement. Autour du Grand Stade de Lille, vous voyez des hôtels, des centres d'affaires, des restaurants, il devient un élément de rayonnement du territoire. Ce serait désastreux qu'il n'y ait que le Louvre à Lens avec les nuitées des touristes à Lille ou Arras. Si cela se résume à ça, le bassin minier sera passé à côté de son destin.

 

Une question plus personnelle pour finir. A l'heure où les dossiers brûlants se multiplient et requièrent votre intervention, pouvez-vous durablement cumuler vos casquettes à la région, à Lille (premier adjoint de Martine Aubry) et à la Communauté urbaine ?

 

C'est le produit de l'histoire. Je n'ai pas toujours eu la même opinion au fil du temps. Si Paris garde une certaine importance sur un certain nombre de sujets, de plus en plus de centres de décision et de gouvernances sont en région, et exigent beaucoup de présence des élus en charge. Surtout quand on a en charge dans chacun des territoires l'économie, l'emploi, les technologies, c'est à dire qu'on a la capacité d'être synergique entre toutes les collectivités.

 

Notre parti a pris des décisions sur le non cumul. On ne pourra plus cumuler comme avant, non seulement entre les postes de parlementaire et d'exécutif, mais dans l'esprit cela entraîne aussi le reste : quand on aura une responsabilité première à l'échelon d'une région, une communauté, une ville, un département, il est très difficile d'imaginer dans l'avenir qu'il y ait une responsabilité deuxième de quasi identique importance.

 

On vous prête l'ambition de présider la région un jour, qu'en est-il?

Ce n'est pas à l'ordre du jour dans la mesure où je suis premier vice-président au côté de Daniel Percheron et très heureux d'exercer cette fonction, avec beaucoup d’intégrité, d'honnêteté, de fidélité. Dans ma vie, je n'ai jamais eu un coup d'avance. J'ai fait le choix de l'action locale. J'aurais pu me poser la question d'un choix différent entre les trois parlements. Je suis inscrit dans un collectif, qui s'appelle syndicats, patrons, consulaires, collectivités territoriales. C'est ma feuille de route pour l'heure. Après, en fonction des événements, des décisions prises par les uns et les autres, je verrai. En m'engageant dans les élections régionales, il n'y avait pas de mystère sur le fait que souhaitais exercer des responsabilités.

 Recueilli par Olivier Ducuing/ Photos : Sébastien Jarry

Ces articles peuvent également vous intéresser :

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Espaciel : fiat lux !

Amener la lumière naturelle dans les logements avec un système de déflecteur posé sur les fenêtres : ce projet porté par Alexi Hervé doit prochainement passer au stade industriel à Lille. Prometteur.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Quel site Internet pour ma boîte ?

Une vitrine simple? Un outil pour engranger des contacts ? Pour vendre en direct ? Tout le monde ou presque possède aujourd'hui son site Internet. De la conception à la mise à jour, quelles sont les bonnes questions à se poser avant de se lancer ? Avis d'experts et témoignages...

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Balumpa met des sorties dans le moteur

Olivier Laplace. Renault a retenu son appli pour la tablette R-Link qui équipe en série sa toute nouvelle Zoé.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Serge Cousin, constructeur d'avenir numérique

Toujours à l'affût pour anticiper le marché, le fondateur de la société d'installation de salles informatiques CIV, à Lesquin, poursuit un plan d'investissement majeur de 21 millions d'euros sur huit ans.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

L’auto-entrepreneur : un moteur fort de l’entrepreneuriat en région

L’introduction du régime de l’auto-entrepreneur au 1er janvier 2009 a bouleversé le rythme des créations en France comme dans notre région. Il représentait 57% des créations l'an dernier. Entre 2009 et 2011, plus de 43 000 habitants du Nord-Pas de Calais se sont lancés dans cette nouvelle forme d'entrepreneuriat que les CCI de la région ont souhaité évaluer à travers une large enquête.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Euradif se blinde contre la crise

Béthune. Le leader français des panneaux de porte en PCV se diversifie pour contrer la chute de son marché principal

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Delta Neu aspire FEVI dans son périmètre

La Chapelle d'Armentières. Le leader européen du traitement de l'air industriel absorbe le normand FEVI, fabricant de ventilateurs industriels. Une croissance de 25% d'un coup.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Ruches du Nord : le réseau prépare sa mue

Face à la crise, aux évolutions réglementaires et dans l'univers concurrentiel de l'accompagnement, les pépinières du Nord jouent le réalisme. Avec de nouvelles offres en formation, en mise en réseau et en hôtel d'entreprise.

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France
Publié le 05/09/2012 Eco121

Filière - La brasserie régionale mousse à nouveau

La production de bière s’épanouit de nouveau dans la région, grâce à la création et la croissance de brasseries axées sur le segment des bières de spécialité. Un secteur qui investit et innove. Mais qui peine à relever le défi de l’export.