Interview Frédéric Motte, président du Medef : "Les verrous sont connus, il faut les faire sauter !"

Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France Image illustrative Eco121, mensuel des décideurs des hauts de France

 

 

Vous e?tes pre?sident re?gional du Medef depuis deux ans. Quel premier bilan tirez vous de cette pe?riode riche en e?ve?nements ?

C’est une mission passionnante, tre?s prenante et les enjeux sont importants. Passionnant car je crois beau- coup au rapprochement des mondes, ayant une expe?rience d’e?lu local, e?tant entrepreneur, pre?sident re?gional du Medef, ayant pilote? le Ceser, je suis a? la bonne conjonction de toutes ces routes. Et cela me donne un positionnement particulier a? l’ore?e de cette nouvelle grande re?gion, pour mobiliser les acteurs. C'est tre?s prenant car si on veut faire tomber les ide?es rec?ues, les cliche?s et re?former, il y a beaucoup de travail, de concertation, de pe?dagogie pour mobiliser nos chefs d’entreprises, nos organisations professionnelles.

 

Mais l’e?poque est pluto?t au repli sur soi qu’a? participer a? la chose publique...
Non, je ne suis pas d’accord. La mobilisation devient diffe?rente. Quand Nicolas Hulot fait son petit film sur laCop21,ilya1,7milliondevues! Ca transcende tout. C’est un vrai risque pour nos corps interme?diaires. Dans l’absolu, on peut imaginer que le Medef puisse un jour se faire uberiser. Parce que nos structures sont pluto?t en « top down », en recherche de consensus, sur des re?ponses tre?s travaille?es, donc sur du temps long. Or la mobilisation aujourd’hui est plus impulsive, tre?s rapide, la parole du premier prend le pli, alors qu’il ne dit pas force?ment la ve?rite?, mais le mouvement est parti quand me?me. On l’a bien vu sur la loi El Khomri, et le gouvernement et les organisations patronales se sont fait uberiser par les me?dias sociaux.

 

Comment re?ge?ne?rer le tissu de vos adhe?rents ? Le Medef est encore souvent associe? aux grosses entreprises ...

Cassons cette image ! 95% de nos 750 000 adhe?rents sont des Tpe-Pme. Mais soyons francs, on a une typologie d’adhe?rents pluto?t oriente?e sur les entreprises traditionnelles. Il ne s’agit pas de les abandonner, mais de les accompagner pour qu’elles profitent de la re?volution nume?rique, il y a lieu d’accueillir de nouvelles entreprises. On a monte? « Ge?ne?ration Medef » qui fonctionne bien, nous avons une soixantaine d’adhe?rents, des tre?s jeunes chefs d’entreprises, plus oriente?s nouvelle e?conomie, avec une aspiration sur les valeurs, la vision, moins corporatistes. Dans le me?me ordre d'ide?es, nous organisons notre universite? le 7 juillet avec un plateau national et re?gional sur la the?matique « tout est possible ». On voudrait interpeler des chefs d’entreprise, des e?lus, des sociologues sur les nouvelles organisations.

 

 

N’exage?re-t-on pas l’effet positif du nume?rique en minorant les destructions d’emploi ? Et quelle place reste-t-il pour les non qualifie?s ?

L’e?conomie nume?rique ne va pas re?soudre nos proble?mes. Mais elle va s’imposer a? nos organisations. On doit impe?rativement sensibiliser les chefs d’entreprises a? ces de?fis : la relation client, l’opportunite? de commercialiser dans le monde entier, l’impression 3D, les big data. Comment aider les entreprises a? s’organiser, a? recruter les talents, a? revoir leur communication... Les chiffres du cho?mage le montrent : la formation est le point de passage pour le retour a? l’emploi. Seuls 6 a? 7% des e?tudiants bac + 5 sont au cho?mage au bout de six mois. Chez les jeunes non forme?s, ce chiffre monte a? 37%. Comment remet-on de la souplesse pour ces 37% la? ? La loi El Khomri allait dans le bon sens, mais les nouvelles versions ne nous vont pas du tout.

 

Lancer un tel projet de loi un an avant la pre?sidentielle n’e?tait-il pas d’emble?e voue? a? l’e?chec ?
Il y a incontestablement un proble?me de temporalite?. Le co?te? tre?s positif est qu’une tre?s large majorite? de Franc?ais est pour la re?forme. Apre?s, quand on la met en œuvre, c’est plus difficile ! Ces sujets, ide?alement, doivent arriver en de?but de mandature et pas a? la fin quand on a une majorite? fragile. Notre inquie?tude est que cette ambition de re?forme de la gauche, sur laquelle surenche?rissait la droite, ne s’effondre et que du coup on ne fasse plus de re?forme pendant dix ans !

 

Oui mais la France ne peut plus reculer, vu ses comptes publics...

C’est vrai, on a 2100 milliards de dette, 6 millions de cho?meurs, pas de croissance, les investissements ne repartent pas. Les signaux sont toujours re?solument au rouge, encore plus dans notre re?gion. Alors qu’autour de nous c?a fonctionne bien. Il y a matie?re a? cre?er un million d’emplois, si on libe?ralise un peu le droit du travail, si la fiscalite? est moins pe?nalisante sur la production. L’Espagne, la Belgique, l’Angleterre, l’Allemagne l’ont fait. Les recettes existent. Le prochain Pre?sident de la Re?publique devrait avoir un pin’s “2 millions d’emplois” et mettre en place les re?formes pour y arriver !

 

Pourtant, le discours est devenu plus favorable a? l’entreprise...

Oui, depuis deux ans, l’entreprise revient au cœur du de?bat. Les e?lus de gauche comme de droite le disent : c’est l’entreprise qui cre?e de la richesse, de l’emploi et qui rend la solidarité possible. C’est autour de l’entreprise que les solutions de demain seront a? ba?tir. La difficulte? est de passer du discours aux actes. Les partis ont-ils la volonte? de cre?er cet e?co-syste?me favorable a? l’e?panouissement de nos entreprises ?

 

Que repre?sentera le futur Medef de la grande re?gion? Y a t-il la crainte d'un patronat lillois dominant?

Nous sommes organise?s en 11 Medef territoriaux, de proximite?, et de manie?re interprofessionnelle au niveau re?gional ou? le processus de fusion est engage? et me?me re?alise? pour certaines branches (me?tallurgie, chi- mie, plasturgie...). C’est indispensable car il ne faut qu’un interlocuteur vis a? vis des institutions re?gionales. On doit repre?senter environ 26 000 entreprises. Les patrons sont tous d’accord pour la fusion, les synergies, un territoire plus pertinent. L’ambition est partage?e. La mise en œuvre doit prendre le temps de bien dialoguer. Je ne vois aucune hie?rarchie mais bien des synergies avec les territoires picards. Il faut raisonner de?sormais grande re?gion.

 

Le nouveau pre?sident de Re?gion Xavier Bertrand a cible? l’emploi comme premie?re priorite?. Allez- vous l'accompagner?

Les te?tes de liste de droite comme de gauche avaient mis l’emploi en premie?re priorite?. Xavier Bertrand donne un tempo tre?s fort autour de l’emploi, par ses discours, ses de?placements en entreprises, mais aussi ses prises de de?cision : Proche Emploi, l’aide au de?placement... Si on y ajoute le fait aussi d’avoir des e?lus issus de l’entreprise dans l’exe?cutif, cela donne un ressenti tre?s positif. On a commence? a? travailler en amont avec Karine Charbonnier sur la formation professionnelle, on a des re?unions quasi hebdomadaires sur l’apprentissage avec Se?bastien Huyghe...

 

Xavier Bertrand a promis de pour- voir 60 000 emplois sur les secteurs en pe?nurie. La Re?gion en a-t-elle les moyens ?

Ce qui nous importe est qu’elle n’aug-mente pas sa fiscalite?. Apre?s, la re?al- location de moyens internes est sa proble?matique. Proche Emploi n’est pas LA solution, mais une d’entre elles. Cette proble?matique d’emplois non pourvus, de circuits courts, qui avait de?ja? e?te? initie?e, sont des e?le?ments de re?ponse qui sera multiple, qui passera aussi par la remise a? l’emploi des allocataires du RSA. Avec des messages inquie?tants : quand le conseil de?partemental du Nord nous dit, venez m’aider sur le RSA mais que simultane?ment il envisage d’augmenter la fiscalite?, je ne me vois pas mobiliser les chefs d’entreprises tant pour Proche Emploi que pour le RSA avec cette contradiction.

 

Signeriez-vous la pe?tition anti-fiscalite? de Ge?rald Darmanin et Guillaume Delbar ?
La tournure de leur pe?tition est tre?s politique et je n’ai pas a? rentrer dans une signature politique ou politicienne. Mais oui, j’ai alerte? a? plusieurs reprises le pre?sident du Conseil de?partemental et son premier vice-pre?sident aux finances. Je sais que l’e?quation est impossible pour eux. Mais il faut impe?rativement que les e?lus arre?tent cette boulimie fiscale et ce recours a? la fiscalite? comme seule solution. C’est le cas a? Calais ou? la maire augmente son versement transports a? 2%. Apre?s, ces me?mes e?lus se plaignent que leur territoire n’est pas attractif...

 

Comment optimiser le dispositif de la formation professionnelle en re?gion ? N’est-ce pas un chantier prioritaire?

Je rappelle d’abord que sur 32 milliards au plan national, les partenaires sociaux n’en ge?rent que 6. L’un des principaux reproches adresse?s a? la formation est qu’elle va principalement vers les salarie?s de?ja? forme?s, les insiders. Comment remettre les outsiders en formation ? C’est ce que demande le Medef dans les premie?res ne?gociations qui de?marrent sur l’Unedic. En moyenne, les nouveaux cho?meurs n’entrent en formation qu’au bout de 7 mois. Il faut plus de re?activite?, de lisibilite? et de transparence.

 

Quid avec la re?gion ?

Le Medef participe au tour de table, mais celle qui de?cide, c’est la Re?gion. Les partenaires sociaux se retrouvent dans le Crefop ou? tous les partenaires valident les diffe?rentes fomations. Pour e?viter les gaspillages, le Medef demande qu’en face des fomations, on affiche le taux d’employabilite? a? la sortie. Celui qui va faire quatre ans dans une filie?re alors qu’il n’y a pas de de?bouche? derrie?re peut en vouloir a? la terre entie?re. C’est notre responsabilite?. Ayons le courage de revoir un certain nombre de filie?res, d’en fermer certaines, d’en ouvrir d’autres.

 

Par exemple ?

On sait que les formations e?questres ou de paysagistes sont en surabondance d’inscriptions alors qu’il n’y a pas de de?bouche?s pour tous, par exemple. Le proble?me est souvent lie? au fait que les moyens financiers des structures de?pendent des filie?res ou du nombre d’e?le?ves, mais pas de leur efficacite?. La? on a des gabegies avec parfois des filie?res sans jeunes, ou des jeunes forme?s pour rien.

 

On retrouve cette proble?matique pour l’apprentissage...
Oui. Et s’y ajoutent des proble?mes ge?ographiques mais aussi de normes. On demande de la lisibilite? et de la visibilite?. Quand le gouvernement met puis retire des subventions, quand on cre?e des re?gles impossibles, tout cela est mauvais. Le Medef avec la CGPME demandent que le temps de travail de l’apprenti soit cale? sur celui du mai?tre d’apprentissage. Le jeune boulanger ne peut de?marrer qu’a? 6 heures quand la boulangerie a fini de produire. Le jeune boucher n’a pas le droit de prendre un couteau. Arre?tons ces inepties et cette boule de neige technocratique ! Aujourd'hui l'e?lu ne peut plus imposer tout seul des mesures dans son coin. Prenez le nouveau plan de circulation de Lille mis en place sans concertation avec la CCI et le monde e?conomique, c'est la ne?gation de ce qu'il faut faire... La maire de Lille n'est me?me jamais venue visiter le CMDU (desserte logistique du dernier kilome?tre, ndlr) au port de Lille.

 

Vous pre?sidez aussi le campus Entreprises & Cite?s, qui demeure un dispositif unique en France. Quelle est votre ambition ?

C’est que ce lieu soit plus que jamais le hub de l’entreprise. On ne cherche pas a? manger les autres mais a? e?tre un point de passage, pour le cre?ateur, celui qui cherche du financement, celui qui veut aller a? l’export, pour l’e?lu qui veut rencontrer des chefs d’entreprises, pour l’universitaire qui veut monter un projet collaboratif, pour l’administration, l’enseignant... Ce campus a e?te? extre?mement innovant avec des outils comme les groupements d’employeurs, les outils de financement de l’IRD. En de?veloppant toujours plus de transversalite?, l’ide?e est d’imaginer d’autres outils pour accompagner sur les de?fis de la mondialisation, mais aussi pour les start-up. On travaille syste?matiquement avec tous les acteurs, CCI, Mel, Re?gion... On n’est pas en compe?tition mais en co-construction.

 

Ou? en est le monde patronal sur la Troisie?me Re?volution Industrielle ?

 

Cela rejoint la re?volution nume?rique au sens large qui va s’imposer a? nous. REV 3 n’est pas limite? aux seules e?conomies d’e?nergie. Ce sont de nouveaux mode?les e?conomiques, la transformation nume?rique, le big data, l’impression 3D. Le chantier est immense. La re?gion a pluto?t un tissu d’entreprises plus petites, plus traditionnelles. Il faut donner un tempo de dynamisme pour cre?er de l’ambition et de la motivation chez nos chefs d’entreprise. Il y a de beaux de?fis. La difficulte? pour le chef d’entreprise dans ces mutations, c’est qu’il a du mal a? identifier ou? on va et comment. Mais la machine est lance?e.

 

Comment doper l’export ?

 

Il faut que le chef d’entreprise en ait envie. Aider a? devenir primo-exportant. un chantier a e?te? lance? avec la CCI, les conseillers du commerce exte?rieur, avec l’IRD, pour aider a? ce premier pas. La Re?gion envisage de confier le pilotage de cette the?matique a? la CCI pour favoriser le de?veloppement des VIE... Le de?fi est de donner l’envie et les outils pour devenir primo-exportant. Il y a des freins cuturels, financiers, techniques. Entreprises & Cite?s peut e?tre force de proposition en lien avec les autres acteurs.

Quelle est la sante? de notre tissu e?conomique en ce de?but 2016 ?

La perception est celle d’une to?le ondule?e. Il n’y a pas de dynamique forte, mais pluto?t des cycles successifs d'un peu mieux, de moins bien et ainsi de suite. Les ETI et les grands groupes vont bien, profitent de la mondialisation, la filie?re automobile, l’agroalimentaire aussi. Mais on a une grande fragilite? d’un certain nombre d’entreprises : les tribunaux de commerce ne montrent pas d’e?volution. Les bilans restent tre?s fragiles apre?s huit anne?es de crise, des tre?soreries tendues. Or les be?ne?fices d‘aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’apre?s demain.

 

L’investissement est un des indicateurs en panne...


C’est le meilleur barome?tre de la confiance. Or en France il en repart pas. Quand j’investis dans une nouvelle machine ou un nouveau ba?timent, cela veut dire que j’ai confiance dans les 5, 10 ans a? venir. Or il suffit de traverser la frontie?re pour voir des grues partout; en Flandre, il y a 3,8% de cho?mage, chaque jour 28000 Nordistes vont y travailler . Il faut aller voir le nord de l’Espagne, l’Italie, c?a repart. En Angleterre, le cho?mage est de?sormais a? 5,1% et 90% de gens embauche?s directement en CDI, beaucoup de pays sont en pe?nurie d’emplois... Les verrous sont connus, il faut les faire sauter. Si on commence a? avoir un consensus de l’opinion, on n’a pas encore celui des e?lus pour avoir ce courage.

 

Une question un peu plus personnelle pour finir. Sur Twitter, certains messages vous encouragent a? succe?der a? Pierre Gattaz, c’est votre ambition ?


Non ! D’abord ce n’est pas le moment, la fin du mandat de Pierre Gattaz c’est juillet 2018, il y a suffisamment de sujets d’ici la?. Ensuite, a? ce jour, j’estime ne pas en avoir la compe?tence, et je n’ai pas encore l’envie. Et la charge est tellement lourde... Je suis de?ja? nume?ro deux ex æquo, cela me permet d’e?tre souvent a? ses co?te?s, de participer au pilotage du Medef notamment sur les territoires et les branches qui sont ma de?le?gation.

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