Le grand boom des fondations nordistes : Pourquoi tant d'amour ?

 

 

Mais que se passe-t-il du co?te? des Fondations en Hauts-de-France ? Pas un mois sans une ou plusieurs naissances de fondations d'entreprises, d'universite?, de fonds de dotation. Parmi les dernie?res ne?es, la Fondation des Possibles, portée par Vitamine T, sous l'impulsion de Pierre de Saintignon, l'ex-vice président PS de la Région, et le fonds de dotation Impact, lance? sous l'e?gide de la Fondation Entreprendre autour de l'innovation sociale, la fondation Toyota Valenciennes, celle de l'Universite? de Lille, la modeste fondation Today Tomorrow Textiles, ou la fondation Showroomprivé, inaugurée le 31 mars à Roubaix. Damart envisage aussi d'en constituer une. Le tout nouvel Organisme Foncier Solidaire (OFS) de la ville de Lille, de?die? a? l’accession a? la proprie?te? des foyers modestes, devrait lui aussi adopter ce statut tre?s vite.

 

En quelques anne?es, la re?gion est devenue une vraie pouponnie?re philanthropique. Le mouvement est tout sauf  anecdotique. Les Hauts-de-France comptaient 81 fondations en 2014, selon l'observatoire de la Fondation de France. La moitie? d'entre elles sont ne?es entre 2000 et  2010. Elles sont plus de 100 en 2017. Les facilite?s le?gislatives et fiscales ont beaucoup nourri cette nouvelle dynamique, mais avec un effet bien plus marque? chez nous  qu'ailleurs.

 

Il serait toutefois simpliste de raisonner uniquement de manière quantitative : il y a fondation et fondation. Avec des moyens et des ambitions sans commune mesure selon les cas. L'observatoire de la Fondation de France note d'ailleurs deux tendances concomitantes.
D'une part la concentration des actifs au sein d'un petit nombre de tre?s grosses fondations -50 fondations franc?aises de?tiennent ainsi plus de 100 M€ d'actifs chacune- et d'autre part une multiplication de tre?s petites fondations : 20% de?tiennent moins de 100 K€ d'actifs.

 

fondation de?partements

Un outil unique en Europe

 

La re?gion abrite 4 fondations du top 100 franc?ais : Pasteur Lille, cre?e? en 1894, la tre?s active fondation Cœur et Arte?res, de?die?e aux maladies cardio-vasculaires, la fondation Feron-Vrau de?die?e a? l'enseignement supe?rieur industriel et technologique (lie?e a? la Catho), et un centre de sante? sur Berck. On pourrait y ajouter Anber (lire Eco121 n°69), cre?e?e par Andre? et Bernadette Leclercq, qui distribue plusieurs millions d'euros par an avec un gros effet levier notamment aupre?s des familles industrielles, tre?s engage?es dans la tradition des « bonnes œuvres » de jadis. Elle abrite elle-me?me 32 fondations. La fondation Baudoux, ne?e du groupe e?ponyme de charpente me?tallique, dans l'Aisne, est devenu un gros acteur a? l'e?chelle nationale.

La Fondation de France, en re?gion, abrite 36 fondations, un chiffre en progression constante. Elle redistribue tous les ans pas moins de 8 M€. « 40% des projets sont aujourd'hui finance?s par des fondations sous e?gide. Il y a six ans, c'e?tait ze?ro ! » observe Laure Decouvelaere, de?le?gue?e ge?ne?rale de la Fondation de France Nord, et membre du club des Fondations d'entreprises chapeaute? par le re?seau Alliances.

 

 

La dynamique est tre?s forte. Les fonds de dotation, autorise?s par une loi de 2009, apportent des avantages proches des fondations, sans pouvoir recevoir de dons. Se?duites par la souplesse de l'outil, les entreprises le ple?biscitent. Plus de 42 fonds de ce type existaient de?ja? fin 2014.

 

L'exemple emble?matique et tre?s re?cent vient de la transformation d'Entreprises & Cite?s en un fonds de dotation (lire Eco121 n° 66), pre?side? par Pascal Boulanger, avec une double vocation : sanctuariser un outil exceptionnel de?veloppe? depuis des de?cennies au service du de?veloppement local (IRD, Alliance Emploi, la Cite? des Échanges,Vilogia...), mais aussi en affecter les exce?dents de ressources a? des actions d'inte?re?t ge?ne?ral.

[caption id="attachment_33546" align="alignleft" width="400"] La ferme des Vanneaux, structure d'insertion de la Sauvegarde du Nord, soutenue par la Fondation Crédit Agricole Nord de France[/caption]

“Le fonds place les actifs a? l'abri et permet d'e?viter que l'outil puisse un jour e?tre mis au profit d'une cause qui ne serait pas la no?tre”, de?veloppe Pascal Boulanger, nouveau pre?sident d'Entreprises & Cite?s, qui pre?cise que le fonds ne sera pas utilise? dans le sens du « charity business que d'autres font mieux que nous, mais au profit de l'excellence territoriale », de?cline?e notamment a? travers la recherche ou l'action me?dicale. L'outil, qui doit de?sormais e?tre mis en œuvre, serait unique en son genre a? l'e?chelle europe?enne.

 

Les fondations elles-me?mes font flore?s. Le Cre?dit Agricole Nord de France s'est lance? il y a dix-huit mois. « Cela fait 120 ans que le Crédit Agricole existe, et me?ne beaucoup d'actions de me?ce?nat local. Mais on a souhaite? aller plus loin car ce n'e?tait ni assez visible, ni assez structure? », expose Viviane Olivo, sa de?le?gue?e ge?ne?rale, qui revendique un effet levier important gra?ce une dotation moyenne significative (29 K€ en 2016, pour 38 dossiers soutenus). “Pour moi, c'est le ve?hicule par excellence pour porter le me?ce?nat”, confirme son homologue de l’Écureuil, Arnaud Lesourd. La Fondation CENFE, appele?e a? fusionner a? terme avec la fondation picarde (aucune de?cision n'est arre?te?e a? ce stade), a par ailleurs rejoint la Fondation des possibles, comme 20 entreprises, dont Toyota Valenciennes : malgre? le lancement de sa propre fondation en juillet dernier (sur la se?curite? routie?re, l'acce?s a? l'emploi et l'environnement), le constructeur a aussi rallie? la fondation de Pierre  de Saintignon. Manie?re d'assumer son ro?le de grande entreprise re?gionale, sur des politiques diffe?rentes mais aussi d'afficher une signature citoyenne. La fondation fait-elle office de nirvana de la politique RSE ? Elle y contribue en tout cas, a? l'e?vidence.

 

« Cre?ateur de valeur socie?tale »


Chez Auchan, qui disposait de?ja? de 5 fondations, une sixie?me a e?te? lance?e apre?s la catastrophe du Rana Plaza, au Bangla
Desh. « Les fondations cre?ent e?norme?ment de valeur non financie?re mais socie?tale. Dans nos entreprises, nos collaborateurs ont besoin de quelque chose de plus grand que l'expression d'un projet e?conomique », de?crypte Vianney Mulliez, ex patron d'Auchan, dont il pre?side notamment la fondation Auchan pour la Jeunesse, qui aura soutenu en vingt ans pre?s de 1000 projets d'e?ducation, de sante? et d'insertion localise?s sur les territoires d'implantation des hypermarche?s a? la fois financie?rement et avec l'implication des collaborateurs.

 

La dimension manage?riale est devenue centrale. 20% des jeunes diplo?me?s des business schools disent vouloir s'impliquer dans l'entrepreneuriat social. « La pousse?e des fondations rejoint aussi la demande de sens. L'efficacite? rejoint la vertu », souligne Bernard Grison, pre?sident de la Fondation de France pour le Nord, qui e?voque la pression a? la fois des jeunes recrues, mais aussi des clients et partenaires.

 

Malgre? tout, la profusion de fondations et de fonds de dotation laisse certains observateurs perplexes. La lisibilite? s'y perd un peu. « Les fondations d'utilite? publique comme nous sont peu nombreuses et n'augmentent pas, a? l'inverse des fonds de dotation », rele?ve Delphine Vandevoorde, directrice de la Fondation de Lille, fondation de territoire et ge?ne?raliste ne?e il y a 20 ans a? l'initiative de Pierre Mauroy. « Aujourd'hui il y a les fondations d'entreprise, les fonds de dotation qui viennent brouiller les choses, avec tous les avantages des fondations d'utilite? publique mais sans tous les contro?les a priori », regrette-t-elle.

D'autres fondations ne sont pas de?pourvues d'arrie?res-pense?es. L'Universite? de Lille y a par exemple trouve? un moyen de sanctuariser 15 M€ issus de la vente de titres de la biopharma Genfit, et d'e?viter ipso facto le risque tre?s re?el que l’État fasse main basse sur ce patrimoine. C'e?tait aussi un argument pour mieux valoriser le projet d'Idex. Certaines fondations sont en revanche des coquilles quasi-vides et dormantes. Une re?forme a du reste fixe? un plancher de 15 K€ de capital pour les fonds de dotation.

 

Passerelles

 

Ne?anmoins, abondance de bien ne nuit pas! L'enjeu est aujourd'hui de jouer l'effet de re?sonance entre les diffe?rents outils, en profitant de l'expertise des te?nors, habitue?s au montage d'appels a? projets, a? l'identification des bons dossiers, a? leur e?valuation, pour une efficacite? renforce?e. Anber, la Fondation de Lille, la Fondation de France revendiquent toutes de lancer des passerelles et font appel les unes aux autres selon les sujets. C'est le cas sur le projet « Mine a? ide?es » que la Fondation de France a lance? sur le bassin minier, ou? tre?s peu de projets lui remontaient du terrain malgre? un besoin social criant. Re?sultat : une cinquantaine d'initiatives a vu le jour, tel ce garage solidaire, labellise? par Euralens, soutenu par Transdev. De quoi mettre le territoire en mouvement.

 

La philanthropie prive?e re?pond d'ailleurs plus largement a? une ne?cessite? pratique : les dotations publiques ne cessent de reculer tandis que 20 ans de cho?mage massif ont ge?ne?re? des besoins sociaux tre?s importants. « Il y a beaucoup de besoins, les associations peinent de plus en plus, il y a de moins en moins de fonds d'Etat », souligne Bernadette Leclercq, cofondatrice de la fondation Anber, avec son mari Andre?, qui fut en son temps pre?sident de l'Association Familiale Mulliez.

« Capitalisme et altruisme ne s'opposent pas », soulignait re?cemment Virginie Seghers, pre?sidente de Prophil et mai?tre de confe?rence a? Sciences Po, lors d'une soire?e-de?bat. Manifestement, le mariage est me?me particulie?rement fructueux dans le Nord.

Olivier Ducuing

 

 

Trois questions à JACQUES DUFOUR, associé KPMG Lille

"La fondation est un outil d'attractivité et de management"

Comment expliquez-vous l'engouement actuel des entreprises pour les fondations ou les fonds de dotation ?

Les jeunes professionnels sortent de formations dans lesquelles on les pousse a? choisir un employeur de re?fe?rence , capable de donner du sens. C'est le cas me?me dans pour des entreprises industrielles. On a des jeunes qui poussent ainsi a? exercer des talents au profit de l'inte?re?t collectif. C'est un outil d'attractivite? et de management. Pour des entreprises plus petites, c'est aussi la possibilite? d'une vitrine, d'une image, y compris dans le microcosme local. Des ETI ont une image a? donner aux partenaires, aux clients, fournisseurs... C'est valorisant et cela be?ne?ficie en grande partie d'un autofinancement gra?ce au levier fiscal. L'apport peut e?tre en nume?raire ou en compe?tences.

L'outil fondation peut-il inte?resser aussi les petites entreprises ?

Absolument. J'ai en te?te une petite entreprise de transports, qui compte 25 autocars, et qui est membre d'un fonds de dotation. Elle a re?alise? des prestations gratuites, avec le levier fiscal. Et cela lui a permis de rencontrer des entreprises de plus grande taille et de leur proposer ses prestations. Il peut y avoir un impact commercial me?me s'il n'est pas le premier but recherche?.

La me?tropole lilloise semble particulie?rement active en matie?re de fondations. Comment l'interpre?tez-vous ?

Il y a une dynamique forte dont le tempo est donne? par de grands donateurs dont les familles industrielles. Cela a donne? certaines habitudes. L'Eurome?tropole est un village ou? tout le monde se connai?t. Par mime?tisme, des entreprises plus jeunes portent aussi cette culture qu'on n'a pas dans d'autres re?gions, notamment pas sur Paris. Il y a e?norme?ment de fondations abrite?es dans la capitale, ne serait-ce que par la Fondation de France, mais dont les donateurs sont en province.

Recueilli par O.D.

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