Pierre Mathiot, directeur de Sciences Po Lille : “Notre e?lite est extre?mement efficace... par temps calme”

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RECUEILLI PAR Olivier Ducuing et Julie Dumez

 

La de?fiance mesurée par les sondages envers les élites n'a jamais été aussi grande. Un parfum d'années 30 ?
Le contexte international n'est pas le me?me s'agissant de l'existence de la monte?e de dictatures et de totalitarismes. Aujourd'hui on est pluto?t dans un monde de de?mocraties libe?rales. Il n'y a pas dans un grand pays de re?ponse ultra-autoritaire a? la crise. La de?fiance face aux partis, aux responsables politiques, aux e?lites administratives et probablement e?conomiques s'est accrue au fur et a? mesure de l'ancrage de la crise depuis 35 ans, une ge?ne?ration et demi. Il y a eu une sorte de divorce progressif d'une partie croissante des Franc?ais par rapport au monde du pouvoir, indexe? a? l'incapacite? de ces dirigeants a? faire face.

 

Nos élites semblent avoir du mal à s'adapter du mode?le vertical du pouvoir d’autrefois aux nouveaux comportements transversaux et à la crise...
Une des hypothe?ses qu'on peut e?mettre est que les partis de gouvernement et le monde de la haute administration sont relativement ferme?s sur eux- me?mes, tre?s franco-franc?ais, caracte?rise?s par une tre?s forte reproduction sociale et dont les repre?sentants et leurs proches ont tre?s peu e?te? confronte?s a? la crise, aux transformations. Beaucoup moins que les autres mondes sociaux qui l'ont subie comme le monde ouvrier ou qui ont su prendre le virage, s'adapter, s'ouvrir a? l'international, a? l'exemple de la nouvelle e?conomie. On a en France une e?lite politique et administrative extre?mement adapte?e et efficace par temps calme. Pour des raisons sociologiques, personnelles, elle n'est pas ve?ritablement faite pour affronter des moments difficiles. Elle e?prouve des difficulte?s profondes a? aller voir ailleurs, a? faire du benchmark. C'est un vrai proble?me.

 

Les municipales ont-elles encore un sens alors que le vrai pouvoir local dépend désormais des agglos ?

Bien su?r ! C'est encore au niveau de la commune que se jouent l'e?ducation, les rythmes scolaires, le logement, me?me si la? aussi la dimension communautaire commence a? intervenir. Certes, les enjeux structurels ne sont plus la?. Mais l'essentiel des e?lections municipales concerne de toutes petites communes. Celles-la? auront une forte participation, les enjeux seront extre?mement locaux. Ce qui doit en revanche nous alerter, c'est le nombre de non candidatures de maires sortants, avec une forme de de?clin de la fonction majorale, juge?e de plus en plus difficile a? exercer. La? ou? il y a un affrontement politique, dans les agglos et communaute?s urbaines, la commune reste pour beau- coup d'e?lecteurs l'e?chelon pertinent sur le plan affectif et politique alors qu'il l'est de moins en moins en terme de re?alite? du pouvoir.

 

Beaucoup de collectivités et intercommunalités régionales vont-elles basculer ?

Je parie sur une forme de stabilite? avec quelques incertitudes sur Douai, Calais, Tourcoing, Maubeuge peut-e?tre. Avec pour contrepartie une probable abstention importante et une re?apparition du FN, qui avait disparu en 2008, dans un certain nombre de villes sans doute : Boulogne, Calais, Tourcoing, Roubaix, Maubeuge, Lille. Il sera probablement au deuxie?me tour, il obtiendra des e?lus.

 

 

L'impopularité jamais vue d'un président sous la Ve République ne devrait donc pas entraîner de grand bouleversement ?

Ici en tout cas. Il y a une capacite? des e?lus locaux notamment socialistes a? bien dissocier le local du national. Une partie du me?contentement des e?lus socialistes de cette re?gion re?side dans les erreurs du pouvoir central actuel qui ont pour conse?quence de nationaliser les scrutins locaux. Sur leur notorie?te?, leur popularite? et leurs re?seaux locaux, ils sont relativement prote?ge?s. D'autant plus que le FN viendra paradoxalement a? leur secours quand il y aura des triangulaires.

 

Pour la Communaute? urbaine de Lille, avec le mode de re?partition des e?lus a? la proportionnelle, on peut e?mettre l'hypothe?se que la droite ame?liorera son score avec des e?lus un peu plus nombreux. Mais il y aura des e?lus communautaires FN qui constitueront un groupe a? part. Il y aura sans doute re?- e?quilibrage entre gauche et droite de gouvernement. Ce qui sera plus a? gauche que le PS et le Modem soutiendront quoi qu'il arrive Martine Aubry, le FN ne soutiendra pas l'UMP qui ne le demandera d'ailleurs pas. Donc on retombera sur le groupe charnie?re habituel. Je pense qu'il ira au soutien de Martine Aubry, peut e?tre en ne?gociant des positions plus hautes dans l'exe?cutif communautaire. La seule hypothe?se autre serait tactiquement que l'UMP propose de soutenir Damien Castelain dans une coalition des e?lus non encarte?s et de l'UMP. Mais il faudrait vraiment que la gauche de gouvernement soit tre?s affaiblie. Je ne crois pas que ce sera le cas.

 

Lille a fusionné avec Lomme. Pourquoi pas d'autre mouvements de ce genre, pour mutualiser les coûts ?
C'e?tait pour des raisons de tactique politique, pour se?curiser Lille qui e?tait peut e?tre moins a? gauche qu'on ne le pense. C'e?tait aussi pour atteindre la taille de 200 000 habitants et obtenir une dotation de fonctionnement plus importante. Quand vous e?tes candidat d'une liste qui a une chance d'e?tre re?e?lue ou de prendre une mairie, vous n'e?tes pas la? pour vous suicider politiquement.Tout ce qui concerne fusion ou association de communes est sans doute une bonne question, mais pose?e au mauvais moment. Les acteurs politiques conside?rent que les habitants de leurs communes n'y sont pas favorables et sont dans une forme d'irre?dentisme municipal. La deuxie?me raison est politique. Tout ce qui est fusion, association est une rare?faction de l'offre politique pour les de?tenteurs de fonctions politiques. Si vous voulez me faire dire que pour ces e?lections municipales, on ne pose pas vraiment les vrais enjeux, vous avez en partie raison. Mais il ne s'agit pas de parler des enjeux nationaux, les municipales sont une e?lection locale.

 

L'autre grand sujet est financier. Les futurs élus devront gérer la pénurie, mais ce n'est pas non plus au programme...
C'est vrai mais vous ne faites pas campagne quand vous e?tes maire sur l'auste?rite? ou la rigueur. Au-dela?, c'est la question de l'organisation des collectivite?s et du millefeuille franc?ais. On a un ve?ritable effet de side?ration sur la question financie?re. Ca ne fait qu'un peu plus d'un an que les de?cideurs politiques ont commence? a? tenir, d'un coup, un nouveau discours consistant a? dire qu'il n'y avait plus d'argent. J'ai plein d'anecdotes d'adjoints au maire qui fonctionnaient comme si l'argent n'e?tait pas un proble?me. Ils jouaient un peu au Monopoly. D'un seul coup, ils apprennent que la voiture de jardinage est en panne et qu'on n'a pas les moyens de la remplacer. Par extension, l'effet de side?ration gagne la population, le milieu associatif qui se fait sucrer ses subventions, ou a? qui on demande de?sormais de les justifier. On apprend a? conside?rer qu'un sou est un sou. Mais on l'apprend au mauvais moment. On aurait pu s'y convertir progressivement. C'est comme si quelqu'un de?marrait un re?gime alors qu'il est en e?tat de surpoids morbide. Il y a un effet de diffusion dans le corps social de ce discours et de l'affolement qui l'accompagne. On transforme difficilement une socie?te? et un syste?me politico-administratif dans l'urgence.

 

L'hypothèse de mesures à la hache comme elles ont pu être prises dans l'Europe du sud est-elle réelle, avec ses conséquences sur la croissance du pays ?
On se trompe si on pense que nous sommes naturellement a? l'abri de me- sures comparables a? celles qui ont e?te? prises dans les pays du sud. Prenez l'universite? de Versailles Saint Quentin, en grande difficulte? financie?re. Elle a vote? un budget en de?se?quilibre de 7 M€, que le rectorat a rejete?. La pre?sidence de l'universite? l'a repre?sente? avec le me?me de?se?quilibre. Le ministe?re refuse de compenser pour e?viter l'effet de contagion, dans les universite?s, les ho?pitaux ou ailleurs. Il y a encore quelque temps, dans des situations de ce type, l'Etat mettait au pot. Si vous dirigez une structure de ce type, que faites-vous ? L'effet de side?ration atteint les dirigeants d'universite?. On a toujours conside?re? qu'il y avait l'Etat derrie?re. Cette mystique de la prodigalite? de l'Etat a totalement disparu.

 

Vous avez sensiblement accru les frais de scolarité à l'IEP...

Oui. Nous sommes un des rares e?tablissements publics franc?ais a? avoir le droit de fixer nos frais d'inscription, de de?roger aux droits re?glementaires. Nous sommes l'e?tablissement public d'enseignement supe?rieur franc?ais le moins bien dote? par l'Etat. On a engage? des actions re?gulie?res pour obtenir des moyens. On a obtenu deux postes l'an dernier, trois cette anne?e. Mais ce n'est pas suffisant. Dans un premier temps on a mis en place des droits d'inscription uniques pour les non boursiers, a? 1100 euros. L'an dernier, on a mis en place des droits module?s en fonction des revenus des parents et du nombre d'enfants a? charge, pour e?tre plus e?quitable.

 

Avez vous eu moins d'e?tudiants du fait de cette hausse?

Non. On a eu autant de candidats et on a e?te? aussi se?lectifs que d'habitude. Il faut savoir tenir compte du fait que la quasi gratuite? de l'enseignement supe?rieur s'est retourne?e contre lui. C'est perc?u de plus en plus massivement par les familles, me?me modeste, et les e?le?ves, comme un signe de mauvaise qualite?. C'est un constat. Quelles sont les forces et faiblesses de l'IEP aujourd'hui? On est extre?mement bien ge?re?. Depuis notre cre?ation, nous avons l'habitude de compter nos sous. Tout en assumant une ambition et une politique de de?veloppement. Nous avons su affirmer la marque, la notorie?te?, l'attractivite?, la qualite? de la formation. Nous avons un budget de 8,4 M€, since?rement e?quilibre?, avec des re?serves financie?res pour pre?parer notre de?me?nagement. Notre programme de de?mocratisation est le plus important de France. Nous avons 1800 e?le?ves, et nous accompagnons 1000 gamins de milieux modestes de 100 colle?ges et lyce?es. On a une bonne image, d'e?tablissement qui bouge, pluto?t civique et citoyen, in- novant en offre de formation, tre?s ouvert a? l'international, qui forme a? des me?tiers extre?mement divers.

 

Et vos faiblesses ?
Notre de?veloppement ayant du e?tre re?alise? par e?tape en faisant des choix, on a hie?rarchise? les priorite?s en plac?ant au cœur le diplo?me, on a be?tonne? l'administration, mis en place des process, et de?veloppe? l'international. On a e?te? moins bons sur la formation continue, la politique partenariale, le lien entre diplo?me et vie professionnelle, le syste?me d'information.

 

Quelles sont vos perspectives ?
Le challenge Sciences Po Lille 2020, c'est de rester bons la? ou? nous le sommes, mais en me?me temps, de lancer des projets. Nous allons de?me?nager sans doute a? la rentre?e 2016 a? co?te? de l'ESJ et du muse?e des beaux Arts. On sera sur 9 500 m2, soit un tiers de surfaces en plus. Aujourd'hui, on a beaucoup de mal a? faire de la formation continue faute de salles, la cafe?te?ria est toute petite, nous n'avons qu'un amphi... L'investissement est de 20 M€, ce n'est pas beaucoup. Nous venons de renouveler pour cinq ans notre partenariat avec l'ESJ dont le concours d'entre?e est devenu en me?me temps notre concours d'entre?e en 4e anne?e. Le point central est le double recrutement et la double diplomation des e?tudiants. Demain, nous serons a? 200 m, la bibliothe?que sera commune, dans une configuration d'un mini campus de 2000 e?tudiants.

 

Quel sont vos liens avec les autres IEP, où est l'effet réseau ? Notre positionnement est a? la fois local : une grande e?cole publique lilloise de Lille et du Nord Pas de Calais qui s'efforce de tenir son rang dans la re?gion ; et national du fait de notre participation a? un re?seau, et aussi international. 20% de nos e?tudiants sont a? l'e?tranger. Il y a 9 IEP , biento?t 10. 7 travaillent ensemble pour ge?rer les concours et la de?mocratisation. 80% de nos e?tudiants viennent d'autres re?gions et de l'e?tranger. Il est essentiel pour nous de ne pas apparai?tre comme Sciences Po Lille re?duite a? Lille. On est une grande e?cole, a? Lille.

 

Êtes-vous ouvert à l'univers de l'entreprise ?

Plus qu'on ne pourrait le croire. Notre re?putation qui perdure encore ne correspond plus a? la re?alite?. On est une e?cole publique de service public, mais la majorite? de nos diplo?me?s commence dans le prive?, on a une junior entreprise depuis 5 ans, des e?tudiants qui ont cre?e? leur entreprise, d'autres qu'on envoie vers les re?seaux d'entrepreneuriat. On y va avec nos valeurs et nos spe?cificite?s, souvent a? travers une entre?e socie?tale, et souvent public- prive

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