THIERRY WEIL “L'industrie franc?aise est arrive?e a? un point bas”

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LA FABRIQUE DE L'INDUSTRIE - 25/11/2014 81 BOULEVARD SAINT-MICHEL - 75005 PARIS THIERRY WEIL PHOTO ©BRUNO DES GAYETS BRUNO DES GAYETS 21 RUE MAUBLANC 75015  PARIS Tél. : 33 (0)9 50 38 16 49 Mobile : 33 (0)6 62 65 24 00 bdg@nikoja.com www.nikoja.com

 

 

Vous pilotez le think tank la Fabrique de l'industrie. A quoi sert- il ?
La Fabrique de l'industrie est ce laboratoire d'ide?es monte? il y a quatre ans par des fe?de?rations industrielles qui s'inquie?taient que les proble?mes de l'industrie pre?occupent aussi peu le grand public comme les de?cideurs. Pour enrayer le de?clin de l’industrie, il faut de?velopper une conscience commune des enjeux. La Fabrique fonctionne avec deux co-pre?sidents, Louis Gallois, pre?sident du conseil de surveillance de PSA et Denis Ranque, pre?sident d'Airbus. Notre priorite? est de stimuler le de?bat sur l'industrie.

 

La the?matique de l'industrie et de la perte de savoir-faire industriel commence-t-elle enfin a? pre?occuper nos e?lites?

Il m’est difficile de vous dire ce qui pre?occupe les e?lites car nous n'avons pas de ro?le de lobbying, nous produisons pour tous les publics. Mais oui, on a clairement le sentiment que l'industrie redevient petit a? petit un enjeu collectif. Dans toutes les campagnes pre?sidentielles ame?ricaines, les candidats parlent d'industrie. En France, la campagne de 2012 est la premie?re ou? les candidats ont e?voque? le sujet. Jusqu'alors, c'e?tait un domaine dont les candidats conside?raient qu'il n'e?tait pas pertinent de parler, car c?a n'inte?ressait pas les Franc?ais.

Dans les anne?es 2000, on parlait fabless, e?conomie de service et de la connaissance dans laquelle il fallait se reconvertir. On s'est rendu compte depuis que c?a ne pouvait pas e?tre viable.

 

Le paradigme d'une Chine usine du monde et d'une industrie occidentale spe?cialise?e dans la technologie et l'innovation est-il toujours valable ?

Les savoirs de conception ne restent pas longtemps e?loigne?s des savoirs de fabrication. Les gens qui fabriquent des objets et des services apprennent en produisant, perfectionnent les ope?rations de production, les fonctionnalite?s des services et des produits. Pendant quelques anne?es de rattrapage technologique, ils peuvent de?pendre des capacite?s de conception ou des savoirs the?oriques de gens qui se situent ailleurs, mais apre?s, ils ont toutes les aptitudes pour de?velopper les savoir faire de conception chez eux.

 

La prise de conscience n'arrive-t- elle pas trop tard ? Dans le textile, des savoir-faire entiers sont de?sormais perdus...

La perte des compe?tences industrielles est un sujet critique, pour certains domaines pointus ou? l'industrie est a? l'e?tiage, alors qu'il a fallu des ge?ne?rations pour constituer les savoir-faire des me?tiers concerne?s. Quand la Chine sera auto-suffisante en technologie, elle n’aura plus besoin d’exporter une part aussi importante de sa production. Elle pre?fe?rera consommer, avoir des salaires plus e?leve?s et donc elle sera une concurrente beaucoup moins agressive dans 10 ou 20 ans. Soit on saura encore produire chez nous, avec des atouts pour se rede?ployer, soit on aura perdu les savoir-faire, et on sera un pays en re- de?veloppement a? devoir partir d'une table rase.

 

Le de?clin de l'industrie est-il endigue? ? Ou est-on sur une mutation plus profonde avec des usines plus compactes, plus robotise?es...?

Le mouvement dominant est celui d'une profonde reconfiguration de l'industrie et des chai?nes de valeur, par rapport a? une e?poque ou? on faisait tout dans la me?me entreprise. Avant, la part du budget achat d'un constructeur automobile e?tait de 30%, en quelques dizaines d'anne?es, elle est passe? a? 70%. Les chai?nes de valeur se recomposent. Des entreprises pourront se spe?cialiser sur telle e?tape, tels composants. On peut conserver de bonnes positions industrielles en ne produisant pas tout. On peut ne pas avoir tous les savoir-faire si on garde quelques savoir-faire critiques.

 

 

Mais l’industrie continue-t-elle a? de?cliner ?
L’externalisation de beaucoup d’activite?s de services (le nettoyage des locaux, la restauration, la comptabilite?) qui fait que des emplois autrefois comptabilise?s dans le pe?rime?tre des entreprises industrielles sont aujourd’hui dans des entreprises de services explique une part du de?clin apparent de l’emploi dans l’industrie. L’indicateur pertinent est pluto?t notre part de marche? dans le commerce des produits et nous avons en effet connu depuis 15 ans un de?crochage pre?occupant, comme les Etats-Unis ou le Royaume-Uni, tandis que l'Allemagne ou la Sue?de ont beaucoup mieux pre?serve? leur e?cosyste?me industriel. Mais je pense que nous sommes arrive?s a? point bas.

 

L'investissement industriel reste a? des niveaux pre?occupants...

L'espoir du gouvernement est que le CICE permette de reconstituer les marges des entreprises, gra?ce a? quoi elles pourront moderniser l'outil industriel. La mesure plus cible?e du suramortissement (140% pendant un certain temps) montre une pre?occupation partage?e sur le sous-investissement industriel. L'investissement mate?riel, l'automatisation, les robots, l'innovation, les ressources humaines sont des enjeux importants pour monter en gamme et en compe?titivite?.

 

La troisie?me re?volution industrielle est pre?sente?e en re?gion comme une grande priorite?. Est-ce une mutation disruptive vers de nouveaux leviers de croissance, et a? quel horizon?
La transition e?nerge?tique, c'est maintenant : dans 10 ou 20 ans, il sera trop tard. D'autres technologies, comme les nanotechnologies ou les biotechs mettront un peu plus de temps a? avoir un poids significatif dans l’e?conomie. Les possibilite?s ouvertes par le nume?rique, notamment les capacite?s d'acquisition, de traitement et d'exploitation des donne?es, ouvrent d'e?normes opportunite?s pour optimiser toute la chai?ne de production. C’est vrai aussi bien a? l'inte?rieur des unite?s de fabrication pour les optimiser ou les reconfigurer, qu'entre diffe?rents e?tablissements, dont ceux des clients et des fournisseurs.

Pour produire des T-shirt communs en coton, le Bangladesh a des avantages de cou?t e?vidents. Mais pour produire des textiles me?dicaux bourre?s de capteurs, on a besoin de savoir-faire pointus qui compensent les diffe?rences de cou?t de main d'œuvre.

 

Produire a? bas cou?t a? l'autre bout du monde est-il toujours aussi attractif pour les industriels occidentaux?

Pendant une e?poque, nombre d'entreprises ont largement ne?glige? les cou?ts cache?s de la de?localisation. Il faut faire du stock, quand les marchandises mettent un mois a? arriver. Si on produit des commodite?s tre?s indiffe?rencie?es, cela peut valoir le coup. Mais si on doit changer de produit rapidement, c'est diffe?rent. De loin, il est moins facile de contro?ler la qualite? et la re?gularite?. Et dans les pays en rattrapage, les cou?ts de main d'œuvre augmentent.

 

Pourquoi la France a-t-elle subi un tel choc industriel alors que le mode?le allemand semble indestructible?

La premie?re raison est que les Allemands croient a? l'industrie. Travailler dans l’industrie y est valorisant, y compris dans des postes d'exe?cution qui offrent plus de perspectives d’e?volution. Il y a par ailleurs une grande solidarite? entre industriels qui remontent parfois aux anne?es cinquante, parce que le pays e?tait tellement casse? apre?s la guerre que pour faire rede?marrer une industrie sur des ruines ils ont vraiment du? s'entraider beaucoup. Les relations donneurs d'ordre-sous-traitant se sont moins de?veloppe?es en France.

 

Pourquoi l'ascenseur e?conomique qui pousse les Pme vers l'ETI puis vers le grand groupe est-il en panne en France ?

On a un vrai proble?me de croissance d'entreprise. Il y a un syndrome de Peter Pan, un entrepreneur peut tre?s bien vivre avec une Pme d'une cinquantaine de personnes, et les embe?tements commencent a? arriver en escadrille s'il fait de la croissance, y compris dans son statut social : les petits patrons sont finalement pluto?t bien conside?re?s, alors qu'on passe vite dans la cate?gorie grands patrons vus comme un peu exploiteurs et profiteurs.

Entre le patron de pme et le cre?ateur de start-up, personnage tre?s sympathique et populaire et le grand patron, il n'y a pas cet obstacle en Allemagne. S'ajoutent aussi des proce?dures de transmission pluto?t plus efficaces dans le mode?le allemand.

 

L'attractivite? de l'industrie est faible pour les jeunes ge?ne?rations. Que manque-t-il?
Un e?le?ment est d'abord la me?connaissance de l'industrie. Mieux les gens connaissent ce qui s'y passe, plus ils ont envie d'y aller. Mais l'industrie doit aussi progresser pour e?tre plus attractive. A commencer par les carrie?res. En Allemagne, si on est ajusteur a? 25 ans, on sera peut e?tre manager d'une unite? importante a? 40. Alors qu'en France, l'accompagnement de quelqu'un qu'on embauche a? ce poste est tre?s insuffisant. Les cadres franc?ais rec?oivent deux fois plus de journe?es de formation que les ouvriers alors que ces derniers ont plus de marge de progression.

 

Le made in France est-il un effet de mode ou une base solide de rebond industriel ?
Je suis incapable de dire si les consommateurs ou me?me les acheteurs publics y pre?tent beaucoup d’attention. Aujourd'hui, entre un tube de parace?tamol produit en France et un autre en Inde cinq centimes moins cher, le me?canisme de de?cision fait que la Se?curite? sociale, en charge de son pe?rime?tre d'optimisation, va dire que gagner 5 centimes par boi?te de parace?tamol, c'est mieux. Alors qu'en re?alite? le be?ne?fice pour l'e?conomie franc?aise et pour les caisses de l’État serait bien supe?rieur aux 5 centimes de surcou?t si l'on ache?te franc?ais. Dans certains cas, acheter au moins disant n'est pas e?conomiquement rationnel pour la collectivite? franc?aise.

Je crains qu'il n'y ait un peu de wishful thinking autour du made in France. Mais si l'e?tiquetage permet a? ceux qui y sont sensibles de connai?tre l'origine des produits et les pousse a? acheter des produits franc?ais ou europe?ens, ce sera toujours c?a de pris.

 

Les po?les de compe?titivite? ont-ils e?te? de bons outils ? La fusion des re?gions aux compe?tences e?conomiques renforce?es n'est-elle pas l'occasion de rebattre les cartes?

Les po?les de compe?titivite? sont une excellente politique, notamment gra?ce a? l’implication active des re?gions. Ce qui est le plus positif pour la re?industrialisation est de densifier les e?cosyste?mes industriels et de favoriser les coope?rations entre acteurs. Les po?les visent a? mettre un peu d'huile dans les rouages, un peu de carottes financie?res, sans que c?a cou?te cher a? l'Etat, qui ne finance que lorsqu’on lui pre?sente des projets qu’il juge bons. On a dit qu'il y avait beaucoup de po?les chez nous, alors qu'il n'y en a que 28 en Sue?de. Mais la Sue?de a la taille de l'Ile-de-France ! Sur le seul Land du Bade Wurtemberg, vous comptez plusieurs centaines de clusters. 71 po?les dans 13 superre?gions, cela n’est probablement pas excessif et suscite beaucoup d’initiatives inte?ressantes. On e?value trop se?ve?rement les po?les qui sont vraiment nouveaux, re?unissant des acteurs qui n’avaient pas de tradition de coope?ration, car on sous-estime le temps ne?cessaire pour que ces po?les produisent quelque chose.

 

Au final, e?tes vous pluto?t optimiste sur une re?ge?ne?rescence a? venir de l'industrie franc?aise ?
A priori oui. Il y a une prise de conscience des entreprises de la ne?cessite? de monter en gamme, d'innover, d'investir dans leur territoire et dans l'e?cosyste?me. Et la population s'inte?resse plus a? l'industrie. Il est vrai qu'on part d'une situation extre?mement de?grade?e. Fives a fait une enque?te sur l'opinion et l'industrie. En Chine, 82% re?pondent que l'industrie est un secteur attractif, aux Etats-Unis, ils sont 67% a? re?pondre ainsi. En France, seulement 35% ! La crise a un peu calme? le jeu, car les territoires qui avaient le plus investi sur le tout service sont ceux qui ont le plus souffert. On vient de tre?s loin, mais on est dans une dynamique pluto?t favorable ou? les gens se rendent compte qu’on ne peut pas se passer d’industrie

 

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