Jacques Devaux : "Ce qui est décourageant, c’est la précarité qui entraîne la précarité"

Jacques Devaux, président de la Banque alimentaire du Nord. Jacques Devaux, président de la Banque alimentaire du Nord.

Très sollicitée depuis le début de la crise, la Banque alimentaire du Nord s’est mise en ordre de marche pour maintenir sa collecte nationale et poursuivre ses distributions. L’association se prépare à une éventuelle hausse de la demande dans les mois à venir, sur fond d’une baisse des subventions. Rencontre avec son président Jacques Devaux.

Comment avez-vous fait face à la pandémie l’an dernier ?

Au premier confinement, la Banque ali- mentaire du Nord a été très sollicitée, no- tamment par les restaurateurs qui se sont retrouvés avec des tonnes de denrées alimentaires sur les bras. C’est parti dans tous les sens ! Nos réseaux alimentaires ont dû fermer. Ils tournent habituellement avec des bénévoles, âgés, qui ne voulaient plus sortir par peur de la pandémie. En pa- rallèle, beaucoup de personnes qui avaient en temps normal des petits boulots se sont retrouvés sans ressources financières du jour au lendemain, et les invisibles, comme on les appelle, n’avaient plus le droit d’être dehors. A la demande des pou- voirs publics, la fédération des Banques alimentaires a mis en place une conven- tion d’urgence en très peu de temps pour poursuivre les distributions via les asso- ciations partenaires. Notre activité n’a ja- mais cessé car, même sans nos bénévoles, nous avons poursuivi avec nos salariés. Si nous fermons, que reste-t-il à ceux dans le besoin ?

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Avez-vous observé une vague de demandes avec la Covid ?

Généralement, sur le département du Nord, nous avons 66 000 bénéficiaires. En 2019, nous avons aidé plus de 70 000 per- sonnes. Ilestencoretroptôtpourévaluer la hausse du nombre de bénéficiaires en 2020. Nous attendons encore la fameuse vague. Je pense qu’elle arrivera lorsque la crise sanitaire s’estompera et que l’Etat commencera à réduire ses aides aux en- treprises. Certaines seront en grandes dif- ficultés, devront fermer et donc licencier. Ce qui conduira forcément à une hausse de la demande dans nos réseaux. Mais de quelle ampleur ? C’est notre interrogation. On le verra certainement un peu avant l’été.

Les étudiants ont été touchés de plein fouet. Se sont-ils tournés vers vous ?

C’est un vrai problème que malheureu- sement nous n’avons pas pu solutionner. Dans notre réseau, nous avons quelques associations d’épiceries solidaires. Celles- ci n’ont pas pu ouvrir car les étudiants qui les font tourner étaient eux aussi confinés. On pouvait aider tous ces jeunes, mais nous n’avions aucun relais sur le terrain! Heureusement, ils pouvaient se rendre dans d’autres associations comme les Restos du coeur. Depuis quelques semaines, le Crous propose des repas à 1€, ça aidera les étudiants. Mais c’est encore très dur pour eux.

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Chaque année la Banque alimentaire organise sa collecte dans les surfaces alimentaires. A-t-elle été mise en péril l’an dernier ?

C’était notre grande crainte lors des pre- mières annonces du gouvernement. On s’est rapidement dit qu’il ne fallait pas être dans l’attentisme et réfléchir à de nouvelles initiatives pour sauver cette collecte. Nous avons alors créé la « collecte coupon ». Dans certaines grandes surfaces, nous distribuions aux gens des flyers de trois coupons détachables, équivalents à un petit-déjeuner, un repas pour une personne et un repas pour un couple avec enfant. Chaque coupon avait une valeur monétaire différente dès 2,50€. S’ils le souhaitaient, les gens pouvaient indiquer à la caisse le coupon qu’ils souhaitaient scanner et payer. Avec les fonds récoltés, nous avons nous-mêmes acheté les denrées, ce qui nous a permis d’avoir des palettes alimentaires diversifiées.

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C’est une initiative nationale ?

Non, c’est une idée de la Banque alimentaire du Nord. Nous avons été précurseurs. Au départ, nous souhaitions la réaliser dans le département. Une enseigne de grande distribution a voulu nous aider davantage et l’a déployée dans son réseau national pendant deux semaines. Ce qui nous a permis de collecter un peu plus de 450 K€. L’enseigne en question a abondé cette collecte de 5%, ce qui nous a permis d’avoir 475 K€. On peut dire que cette collecte coupon a été un succès. Elle sera reconduite cette année.

Et la collecte habituelle de septembre a finalement pu être organisée...

Oui, c'est super car nous pourrons assurer la distribution alimentaire en quantité importante. Annuler cette collecte aurait été un très mauvais signal de la part du gou- vernement face à la lutte contre la pauvreté!

Une pauvreté qui s’aggrave un peu plus chaque jour selon vous ?

C’est une hausse permanente des bénéficiaires chaque année. C’est limite décourageant car la précarité entraîne la pré- carité. On en deviendrait presque fatalistes! Certains sont dans une spirale infernale et n’arrivent pas à s’en sortir. Heureusement, il y a ceux qui arrivent à sortir la tête de l’eau. C’est là qu’on voit l’importance de la Banque alimentaire et des autres associations caritatives. Outre l’aide qu’on leur apporte, nous sommes aussi des lieux de rencontres, d’échanges. Et c’est tout aussi important.

 

La baisse des subventions publiques met-elle en danger votre action ?

Pour l’instant, ce n’est pas à l’ordre du jour en ce qui nous concerne. Du moins, du côté de l’Etat. Ça l’est malheureusement côté collectivités locales. Certaines diminuent l’enveloppe qu’elles nous allouent chaque année pour des raisons budgétaires. Aujourd’hui, on nous demande à nous, Banque alimentaire, de proposer des projets concrets contre des subventions. Or, notre projet est d’être encore présent année après année pour aider ceux dans le besoin. On ne fonctionne pas avec des projets ! C’est un vrai dialogue de sourds avec ces collectivités. Ces dernières années, nous avons entendu des propositions d’élus du type chèques alimentaires, ou pire, la réduction des avantages fiscaux des entreprises qui nous font des dons... Valider cette idée, c’est mettre en péril no- tre survie car les entreprises feront forcément moins de dons. C’est l’exemple même de pouvoirs publics qui, dans leur bureau, pensent avoir de bonnes idées alors que ce n’est pas le cas. Ils n’ont pas la réalité du terrain.