Batterie : le pari XXL de la région prend forme

ACC est la toute première méga-usine de batteries à voir le jour en France, à Billy-Berclau. Les premières batteries sortiront des lignes en fin d'été. ACC est la toute première méga-usine de batteries à voir le jour en France, à Billy-Berclau. Les premières batteries sortiront des lignes en fin d'été.

ACC, Verkor, Envision : derrière ces trois noms de méga-usines de batteries, leurs milliards d'investissements et leurs milliers d'emplois en vue, sans doute demain la plus grande unité européenne de séparateurs de batteries et une autre usine de batteries à Amiens avec Tiamat, c'est bien toute une filière de l'électro-mobilité qui est cours de constitution rapide. En moins de quatre années – pourtant parasitées par la crise sanitaire, le mouvement est spectaculaire. Il n'est pas pour autant dénué d'obstacles. Tour d'horizon.

12 décembre 2019 : en ouverture d'une séance plénière du conseil régional, Xavier Bertrand annonce l'implantation d'une méga-usine de batteries pour véhicules électriques dans la région. Il s'agit d'ACC, filiale commune à Stellantis et Total (puis Mercedes depuis) qui va prendre pied à Billy-Berclau, sur l'emprise foncière de la Française de Mécanique. L'implantation dans ce qui fut l'une des plus grandes usines de moteurs automobiles au monde (il y eut jusqu'à 6 000 salariés), véritable temple du moteur thermique, fait figure de symbole. Moins de quatre ans plus tard, la première unité s'apprête à entrer en production.

Certes, cette substitution est déjà stratégique pour le territoire local, mais c'est bien davantage le passage à l'électrique, ou plus exactement à l'électrification (hybride, hydrogène, électrique) d'une filière industrielle majeure en région, avec ses 55 000 salariés, qui est en jeu. Et les délais sont extraordinairement courts, par la décision du parlement européen qui a fixé à 2035 l'interdiction de la vente du moteur thermique. « La tendance vers l'électrification est irréversible mais elle n'est pas complètement gagnée en termes de marché et de ventes », observe dans une belle litote Marc Mortureux, directeur général de la plateforme automobile PFA, venu présenter les dernières tendances lors d'un forum organisé par l'ARIA (Association régionale de l'industrie automobile) des Hauts-de-France le 8 février autour du thème brûlant d'actualité : « l'impact de l'électromobilité sur les filières automobiles ».

Le défi de la chaîne de valeur 

Car si les ventes de modèles électriques sont en effet parties en flèche, leur volume global reste encore faible, avec des prix élevés qui se heurtent aux problématiques de pouvoir d'achat. Après les acquéreurs les plus aisés, il sera plus difficile de convaincre les plus petits porte-monnaie. Marc Mortureux note du reste que l'Allemagne s'attend même à un recul des ventes électriques en 2023, signe que le chemin vers le tout électrique sera long et tortueux. L'un des défis est bien sûr de massifier les productions de batteries en Europe et d'en réduire ainsi les coûts pour rendre les véhicules européens compétitifs par rapport à leurs concurrents chinois. « On dépend encore trop de l'Asie qui maîtrise toute la chaîne de valeur. Et il ne faut pas perdre de vue le consommateur, il faut que le véhicule demeure accessible », pointe Rodolphe Delaunay, président de l'ARIA. « La région est numéro un en France de l'industrie automobile, on entend tous le rester ! »

Coté méga-usines, le coup d'envoi est clairement parti. L'usine ACC implantait en février ses toutes premières machines dans le premier bloc qui accueillera une ligne d'une capacité annuelle de 8 Gwh, au terme d'un premier milliard d'euros d'investissements (sur 2,4 milliards au total), tandis que le permis de construire du deuxième bloc est déjà engagé. Envision AESC devrait suivre (1 milliard d'investissement) à Douai en 2024 puis Verkor à Dunkerque en 2025 sur des batteries bas carbone. Et Tiamat, start up régionale inventrice d'une batterie au sodium-ion, née du pôle d'excellence sur l'énergie d'Amiens, se met aussi sur les rangs. Elle prépare ainsi une levée globale de 100 M€ pour bâtir à horizon 2025 une usine pour ses batteries alternatives, probablement dans l'Amiénois. Présente au CES de Las Vegas cette année, la société a déjà signé avec de grands noms industriels tels Plastic Omnium. S'ajoute un projet annoncé depuis plusieurs mois par le méridional Alteo associé au coréen W-Scope, leader mondial des séparateurs de batteries, qui naviguerait entre Jenlain et Onnaing. Un enjeu de 600 M€ d'investissement et de 1 000 à 1 600 emplois pour la plus grosse usine européenne dans son domaine.

« Nous sommes LA région en France et celle en Europe où la vallée de l'électromobilité se met en place », s'enthousiasme Xavier Bertrand. Un mouvement qui n'a rien d'un hasard : non seulement parce que la région est déjà une grande région automobile, même si les volumes ont beaucoup décru, mais aussi parce que le territoire déroule le tapis rouge. Sur le seul projet ACC, les aides publiques se chiffrent à 120 M€, dont 80 M€ pour la Région. Et l'appui de la collectivité et des territoires ne se cantonne pas à l'accueil des géants. Il s'agit aussi de favoriser tout un environnement économique fertile, clé de réussite de l'enracinement d'une vraie filière homogène, pour créer l'Airbus de la batterie que Bruxelles appelle de ses vœux.

Guerre économique et industrielle 

« On a besoin d'un écosystème et de se battre contre nos concurrents asiatiques qui font du dumping et qui possèdent les clés de la chimie avec 10 ou 15 ans d'avance. Oui, on est en guerre économique, en guerre industrielle », déclarait sans ambage Frédéric Przybilski, directeur industriel d'ACC, lors du FEAL du 8 février. « L'ambition n'est pas de gagner seul, mais bien de gagner avec la région ». Derrière les belles déclarations publiques, quelle est la réalité ? De fait, la filière joue clairement collectif, avec l'ARIA en porte drapeau, qui a depuis longtemps pacifié les relations entre constructeurs donneurs d'ordre et équipementiers et fournisseurs, au profit d'un vrai rapport gagnant-gagnant. Exemple : la formation, pour laquelle les besoins sont considérables, et ce, dans un contexte de tension sur le marché de l'emploi. « On a joué la carte du collectif. Le point dur, ce sont les compétences. L'enjeu est tel que ce n'est pas le moment de se diviser. Ce sont des métiers nouveaux, il faut se préparer, sur un délai très court», explique Luc Messien, délégué général de l'ARIA, qui évalue à 13 000 les besoins en emplois à horizon cinq ans. La filière a répondu de concert (constructeurs, gigafactories, organismes de formation) à un appel à projet national au titre des Compétences et Métiers d'Avenir (CMA). Le projet Electromob représente rien moins que 25 M€ de budget dont 14,2 M€ apportés par le plan de relance.

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Un pari industriel majeur, risqué ... et nécessaire 

Alignement des planètes 

Les sous-traitants, équipementiers, partenaires s'activent aussi. Deux illustrations sont très emblématiques : côté services, le centre de recherche CRITT M2A, à Bruay-la-Buissière, vient d'annoncer un plan de 9 M€ d'investissement qui lui permet de se doter d'un nouveau département de test et d'homologation des batteries. Et il a décroché en parallèle un contrat de 7 ans avec ACC.

Côté production, l'équipementier Delzen (17 M€ de chiffre d'affaires, 80 salariés) vient de constituer une filiale commune, Delviatek, avec le fabricant normand Elvia, afin de produire des pièces complexes, précisément des têtes de batteries pour ACC, un projet appuyé là encore sur un contrat de long terme 2023-2030. Le marché porte sur des dizaines de millions d'unités sur la période, et fait l'objet d'un investissement productif de 10 M€ épaulé par BPI et le FRG. « La société va devenir plus grosse que la maison-mère Delzen », s'amuse Bertrand Delzenne son dirigeant, qui se réjouit d'un « alignement des planètes dans la région ».

Côté constructeurs, si Toyota reste très attaché à son modèle hybride qui rencontre un succès éclatant, Renault et Stellantis appuient à fond sur l'électrique. « Nous voulons vendre plus de 500 000 véhicules  électriques Renault, compétitifs par rapport aux Chinois, dans une industrie décarbonée, dans les Hauts-de-France, dans les trois ans qui viennent », résume Pierre-Benoît Hamon, manager performance et écosystème chez Renault Electricity. Pour ce faire, la marque au losange injecte 500 M€ sur son usine de Douai pour moderniser la production et op- timiser les coûts de revient. « On souhaite travailler sur l'ensemble des éléments de la chaîne de valeur du véhicule électrique et travailler aux opportunités de localisations et aux différentes synergies». Résultat : une première fabrication de bacs de batteries, précédemment opérée en Serbie, va prendre place dans l'usine de Ruitz jusque là spécialisée dans les boîtes de vitesse. Un projet porté en coentreprise avec le chinois Minth.

D’autres segments à couvrir 

Plus largement, la région a sans doute encore bien des potentialités de production à saisir autour de la filière électrique. La PFA a du reste identifié avec Deloitte les segments sur lesquels existent des besoins : chaîne de traction électrique, briques technologiques hydrogène (pile à combustible et ses composants, réservoir, etc.), machines et équipements de procédés des sites industriels automobile, bornes de recharge et d’avitaillement (électrique, hydrogène), recyclages, rétrofit (électrique ou hydrogène), nouveaux matériaux (biosourcés, composites,...)...

La page blanche ouverte fin 2019 commence à s'écrire doucement. Mais le synopsis n'est pas complet et bien des inconnues demeurent en suspens. A commencer par la capacité de l'Europe à sinon ériger des barrières douanières, au moins protéger une industrie stratégique et éviter le sort funeste du solaire il y a quelques années. « On serait bien avisés, au moment où les Chinois et les Américains mettent des mesures de protection, de mettre en place un bonus au profit des voitures produites en Europe », juge Xavier Bertrand, qui appelle aussi les constructeurs à une grande vigilance sur leurs réseaux de conces- sions. « Sinon les Chinois vont aussitôt les récupérer, et s'ils ont des voitures moins chères, le risque serait grand », prévient-il.

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