Crises en série : comment faire face ?

Certes la situation économique n'est pas aussi grave qu'on pouvait le craindre il y a encore quelques mois. Mais les défaillances d'entreprises vont mathématiquement augmenter, entre la fin des perfusions publiques et les nouveaux écueils liés à la crise de l'énergie et aux PGE notamment. Comment faire face ? Quels leviers actionner ? Sachez anticiper et ne pas rester seul. Les dispositifs de prévention sont nombreux, et surtout, efficaces.
Tour d'horizon.

Le pire n'est jamais sûr. Et même, nous ne serions pas à l'abri d'une bonne surprise. Ces aphorismes résument assez bien le climat qui règne aujourd'hui sur le monde des affaires. En octobre dernier, les responsables économiques régionaux affichaient pourtant la mine consternée des jours de crise historique. « Le moral est au plus bas, la trésorerie des entreprises aussi. Ce n'est pas un bouclier qu'il va falloir, mais un parachute pour éviter de s'écraser », lançait non sans raison à l'époque le président de la Chambre des Métiers (CMA) Laurent Rigaud. Adossés à une enquête alarmiste menée auprès des chefs d'entreprises de la région, les présidents consulaires, la direction des finances publiques comme les tribunaux de commerce tiraient le signal d'alarme face à la flambée incontrôlée des prix de l'énergie et relançaient la task force déjà plusieurs fois mobilisée dans un passé récent pour affronter le Brexit puis la Covid. 

Fort heureusement, la situation a depuis bien évolué, avec des contre-mesures adoptées par l'Etat pour faire face à l'urgence, même si l'inquiétude demeure, avec une raquette du tissu économique encore largement trouée. Conflit en Ukraine, prix de l'énergie, moindre appétit des consommateurs face aux tensions de pouvoir d'achat, résurgence de la Covid en Chine, remboursement des PGE... Les vecteurs de difficultés n'ont pas disparu, tant s'en faut.

« La situation est moins mauvaise aujourd'hui que ce que les médias laissaient véhiculer », juge néanmoins Yann Orpin, président du Medef Lille Métropole, pour qui deux catégories d'entreprises demeurent en fragilité : les entreprises de moins de 20 salariés ayant souscrit un PGE et celles qui ont subi une forte hausse de l'énergie.

« Enormément d'entre elles vont rogner le peu de marges qu'il leur restait : il leur a fallu investir dans le numérique pendant le Covid, assumer les hausses de matières premières, recruter, maintenant c'est l'énergie, tout cela m'inquiète », renchérit Laurent Depoorter, président de la CPME Nord. Avec une crainte plus particulière pour les entreprises malchanceuses qui ont du renouveler leur contrat d'énergie au pire moment. Sans compter les risques de secousses en cascade : on admet généralement qu'une entreprise au tapis met en difficulté quatre autres sociétés en moyenne.

« Ce qui m'inquiète plus est la situation de moyen long terme, car les entreprises ont déjà décalé leurs investissements avec la Covid et elles continuent à le faire. Ce n'est pas bon pour leur compétitivité , alors qu'il y a des carences tant en développement digital qu'en transformation industrielle », analyse de son côté Hubert Tondeur, ancien président du Conseil régional de l'ordre des experts-comptables.

 

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7,8% DE DÉFAILLANCES EN MOINS PAR RAPPORT À 2019

A la seule lecture des statistiques de défaillance d'entreprises toutefois, on pourrait croire la France touchée par la grâce. Depuis 2020, leur niveau s'est littéralement effondré, sous l'effet conjugué du quoi qu'il en coûte, des mesures de sauvegarde et de la mise sous le boisseau des assignations des URSSAF. Or en 2019, ces assignations représentaient à elles seules 35% des procédures collectives du tribunal de commerce de Lille Métropole (TCLM), rappelait son président Eric Feldmann lors de son dis- cours d'audience solennelle de rentrée.

Le niveau de 2019, année de référence, n'est pas encore retrouvé (-7,8%). En revanche, le volume d'emplois concernés est lui en très forte hausse (+ 250%!). 

Sans jouer les oiseaux de mauvais augure, le simple retour à la moyenne de longue période va faire remonter sensiblement le curseur des défaillances. D'autant qu'au-delà des facteurs exogènes, les entreprises vivent, se développent mais meurent aussi de manière naturelle. Eric Feldmann pointe trois causes majeures de défaillances : la première est le non-respect des délais de paiement, qui conditionnent un quart des faillites, avec pour premières victimes les TPE. La deuxième est le manque de compétences basiques de comptabilité et de gestion des dirigeants. « Ne sachant pas lire un bilan et n'écoutant pas forcément ce que lui explique son expert-comptable, le dirigeant se comportera un peu comme un conducteur automobile sans permis (...) dont les compteurs de niveau d'huile, d'essence, de batterie, de vitesse, etc, sont tous cassés », décrit non sans humour le président consulaire. Troisième grosse source de déconvenue, le déni sur l'adéquation du business model, notamment face à de nouveaux entrants sur le marché.

GRATUIT, CONFIDENTIEL ET EFFICACE

Bonne nouvelle, le dirigeant bénéficie dans notre région d'un large tissu de structures d'accompagnement très renforcé depuis ces dernières années pour identifier les dangers en amont et bien sûr tenter de les régler. « Il faut aller voir le tribunal, les réseaux qui existent, pour ne pas rester seul », martèle Yann Orpin. Les experts-comptables et les différents conseils des entreprises sont les premiers à pouvoir alerter le dirigeant, et l'orienter utilement. « Aujourd'hui, en tant que professionnels, on a tous le réflexe de lui dire : allez voir le tribunal de commerce pour aller en prévention des difficultés », décrit Hubert Tondeur. « On a un réseau extrêmement fort d'organisations économiques patronales de toutes sortes. Il y a de quoi les accompagner », complète Laurent Depoorter pour qui « ceux qui veulent gérer tout seul les difficultés font la pire des erreurs ».

La CPME est elle-même mobilisée au sein du GPA (Groupement de Prévention Agréé : administration@gpa-hautsdefrance.fr), associant d'anciens juges consulaires. Un dispositif gratuit, totalement confidentiel, et efficace. Citons aussi les CIP (Centresd'Information sur la Prévention) ou encore le Fonds de premier secours, déployé par le Conseil régional il y a bientôt six ans. Il aura mobilisé 20,7 M€ sur la période pour sauvegarder 3 029 emplois, avec un taux de sinistralité sur 66 mois de 19,1%. Soit un coût de 6 800 par emploi, à comparer aux 20 K€ par an que coûte un chômeur longue durée, sans compter la préservation des taxes et charges sociales, calcule Eric Feldmann. Dédié aux TPE jusqu'à 25 salariés, le dispositif pourrait prochainement être étendu aux entreprises jusqu'à 50 emplois. Heureusement, le réflexe de la prévention semble désormais de plus en plus acquis. Sur le ressort de Lille Métropole, on ne comptait pratiquement aucune TPE de moins de 10 salariés en prévention en 2018 et 2019. En 2022, 80% d’entre-elles y recourent. Or l'efficacité de ces procédures, mandat ad hoc ou conciliation, n'est plus à démontrer. Sur une période de 20 ans, la moyenne de l'issue favorable post-prévention atteint 78% sur le ressort du tribunal de Lille Métropole. Contre 40% pour les procédures collectives... Autrement dit, l'anticipation est vraiment essentielle pour sauvegarder son entreprise. « Il faut venir en amont pour essayer de mettre en place des outils en bas comme en haut de bilan, des pauses de crédit, restructurer la dette et les taux. On ne peut pas faire ce type d'opérations dans l'urgence absolue », relève Laurent Martin, tout nouveau président du Comité régional des banques.

 

Mandat ad hoc et conciliation : un gain de temps précieux

Le mandat ad hoc et la conciliation sont deux procédures préventives ouvertes aux entreprises en proie aux difficultés compromettant la continuité de leur activité. Ces procédures permettent aux dirigeants de négocier à l’amiable (de façon totalement confidentielle) et d’échelonner leurs dettes sur 36 ou 48 mois maximum. Avec l’appui d’un conciliateur ou d’un mandataire ad hoc désigné par le président du tribunal de commerce.

Le tribunal aide ainsi les chefs d’entreprise à traiter leurs difficultés à l’instant T, tout en regardant vers l’avenir, indique Eric Feldmann, président du Tribunal de Commerce Lille Métropole. « Lors des procédures amiables, on analyse avec eux la situation de leur entreprise, de leur activité et on détermine ensemble s’il est judicieux ou non de faire évoluer le business model. C’est un vrai gain de temps ! »

Le mandat ad hoc peut être sollicité dès que la société éprouve des difficultés et peut donc précéder la conciliation. Le mandataire ad hoc est nommé pour trois mois. Sa mission est renouvelable plusieurs fois et aboutit à la signature d’accords contractuels négociés avec les créanciers.

La conciliation quant à elle peut être demandée en cas de difficulté juridique, économique ou financière avérée ou prévisible. La mission du conciliateur est de quatre mois maximum, renouvelable un mois. Cette procédure s’adresse généralement aux entreprises ayant déjà entamé leurs négociations.

« Jusqu’en 2018, ces procédures étaient généralement l’affaire des ETI et des grands groupes. Les dirigeants de Tpe-Pme ignoraient l’existence de ces outils, raconte Eric Feldmann. Mais depuis, nous avons largement communiqué, armés de notre bâton de pèlerin. »

L’an dernier, le Tribunal de Commerce Lille Métropole a enregistré 64 mandats ad hoc et 37 conciliations. « Ils permettent de trouver une issue favorable dans 75% des cas ». Soit 18 500 emplois métropolitains sauvés rien qu’en 2022

 

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