La pêche régionale se cherche un avenir

Confrontée à des crises à répétition et à une difficulté majeure à recruter, la pêche régionale doit en outre préparer l'avenir et se décarboner. Une équation délicate mais avec des atouts solides. Un projet de marque collective doit aussi permettre d'engager une vraie dynamique de filière dans un secteur encore très individualiste.

Où en est notre pêche régionale ? Notre enquête

51 centimes le litre de gazole en moyenne en 2021, 83 centimes au premier trimestre 2022. Un choc énergétique après les crises des gilets jaunes, du Brexit et de la Covid, une ressource à la peine pour certaines espèces, sans compter un plan de sorties de flotte (primes pour désarmer les bateaux) qui certes permet aux pêcheurs de partir la tête haute et avec des compensations, mais qui sur la durée amenuisent toujours plus leurs rangs. La pêche régionale a le blues. Du moins une partie d'entre elle. Les petits bateaux spécialisés sur un type de pêche comme les fileyeurs (filets déposés sur le fond et récupérés plus tard) sont plus directement concernés par la raréfaction d'espèces, à l'exemple de la sole. Olivier Leprêtre, président du Comité régional des pêches, estime même que la filière est menacée à terme (lire plus loin).

Un avis que ne partage pas le groupe familial Sofipêche (Armement boulonnais, Unipêche, Appéti'Marine notamment, soit 150 salariés entre Bouogne et le Tréport). « Tout n'est pas beau et rose, mais toute cette filière a une grande capacité de résilience », défend Constance Wattez, dirigeante du groupe familial et élue à la CCI Côte d'Opale. Selon elle, la question de la ressource ne se pose pas vraiment mais plutôt celle de l'adaptation de la pêche à la ressource. Son collègue Antoine Le Garrec, de l'armement éponyme (né à Boulogne, mais aujourd'hui multisite jusqu'à la Réunion et Saint-Pierre-et-Miquelon, 450 salariés), estime quant à lui que « 80% du stock se porte bien, l'état de la ressource s'est largement amélioré en Manche et en mer du Nord. Si on encadre bien, on doit pouvoir passer», à l'exemple de la très fine gestion de la coquille Saint Jacques, qui a réussi à préserver et même reconstituer le gisement.

CHANGEMENT CLIMATIQUE

Il faut aujourd'hui intégrer à la réflexion non seulement les prélèvements, mais aussi le changement climatique. Une étude de chercheurs du laboratoire d'océanologie et de géosciences de Wimereux vient de mettre en évidence un rôle croissant du climat dans l'évolution du stock de morues (cabillaud). Entre 1963 et la fin des années 1980, le gisement était surabondant, avant un recul important, en raison de la surpêche. « On a calculé que la surexploitation comptait pour 77% du recul, le climat pour 23%. Mais ce ratio est passé à 64% pour le climat et 36% pour la pêche depuis 2010 », expose le Dr Grégory Beaugrand. Un climat qui réduit certaines espèces mais qui en dope d'autres comme la seiche ou l'encornet.

Dans ce contexte, lorsque la Grande-Bretagne a fait preuve d'une mauvaise volonté évidente à délivrer les licences de pêche sur ses côtes, nombre de professionnels boulonnais ont craint pour leur avenir. « Ca a été la croix et la bannière, on grapillait les licences une par une. L'horizon s'est bien éclairci depuis, avec un déblocage quasi complet sur le nombre de licences », se félicite Marie-Sophie Lesne, vice-présidente au conseil régional en charge de la pêche.

Le plan de sortie de flotte prévu par l'Etat dans le cadre du Brexit n'a suscité au final que 18 candidatures, surtout sur des petits bateaux, et seule la moitié voire moins devrait être au final éligible.

2022, UNE BONNE ANNÉE

La pêche régionale est donc en bien moins mauvaise santé qu'on ne pourrait le craindre, a fortiori pour ceux qui ont su s'adapter. « Les pêcheurs ont toujours su s'adapter. C'est un peu génétique de s'adapter à l'environnement », explique Antoine Le Garrec.

Et le rayonnement du port et de la plateforme de Boulogne-sur-Mer reste très fort. « Boulogne est une véritable pépite. Il est surprenant de voir à quel point Boulogne est connue dans les produits de la mer, même en Corée ! », se réjouit Benoît Rocher, le directeur général de la société d'exploitation des ports du détroit (SEPD), pour qui « 2022 va être une bonne année ». Au demeurant, si la question de l'approvisionnement de la plateforme de transformation des produits de la mer Capécure reste un enjeu d'avenir vital, l'activité se porte bien : outre les 32 000 tonnes débarquées par les pêcheurs, Capécure transforme 350 000 tonnes de poisson de transit. Et le Boulonnais a très bien anticipé le choc du Brexit avec l'implantation dérogatoire d'une inspection vétérinaire sanitaire (CIVEP), en-dehors d'une zone sous douane, qui lui a permis de faire face sans trop d'à-coups.

Après une période de flottement, l'activité économique de Capécure repart du reste fortement avec des implantations comme celle d'une usine de filetage de Grand Frais (200 salariés, sur 2 ha bâtis), ou des extensions comme Direct Océan, Mondial Navys Emballage ou encore John Driege sans compter des transporteurs sous température dirigée. On pourrait ajouter à cette liste le projet d'implantation d'une ferme aquacole géante de saumons, Local Ocean. La plateforme emploie au total pas moins de 5 000 sa-lariés. « Il faut avoir conscience de nos atouts. Capécure et le port, c'est énormément de valeur ajoutée pour irriguer le territoire », lance Benoît Rocher, patron des ports de Boulogne et Calais.

MARQUE COLLECTIVE


Pour autant, la filière halieutique régionale manque de souffle, pour créer une nouvelle dynamique valorisant la qualité du poisson et de la pêche boulonnaise, un constat dressé lors des états généraux de la filière halieutique tenus à Boulogne au printemps dernier. « Il manque aux pêcheurs une vraie structuration. Ils ne parlent pas d'une seule voix au sein de la pêche et de la filière halieutique. Il existe des rivalités, et beaucoup de problèmes interpersonnels qui influent », déplore Marie-Sophie Lesne.

La Région est en charge depuis 2014 de la mise en œuvre du fonds européen FEAMPA d'aide à la pêche. Sans être massif (16 M€ ), ce dispositif permet notamment de financer des changements de motorisation, la modernisation ou la diversification de bateaux (par exemple pour les adapter au casier) ou encore des dispositifs d'amélioration des conditions de travail.

Pour insuffler un vrai mouvement à l'ensemble de la profession amont et aval, la Région travaille à la mise
en place d'une marque collective, telle que les Normands ont pu en créer une après dix ans de démarches (Normandie Fraîcheur Mer). Un cabinet a déjà été mandaté pour plancher sur le sujet.

« Si à la fin du mandat on pouvait avoir constitué la marque et commencé à la développer, ce serait très bien », espère Marie-Sophie Lesne.

 

PÉNURIE CRIANTE D'EMPLOIS


Mais avant les difficultés de ressource, d'adaptation des navires, de trésorerie ou de démarche collective, le premier sujet critique partagé par tous les acteurs de la mer est bien l'emploi. Une situation grave, qui a même conduit un bateau à rester à quai l'été dernier faute d'équipage, tandis que l'âge des capitaines ne cesse de croître. Pourtant les rémunérations à bord sont attractives. « La rémunération dépend bien sûr des pêcheries, mais selon le bateau, un matelot peut toucher entre 35 et 40 K€ par an », décrit Antoine Le Garrec. « Il faut trouver des solutions au choc des générations et aux difficultés de recrutement. Chez nous, on a du mal à transformer les essais et à fidéliser », soupire Constance Wattez, chez Sofipêche.

 

Un Parlement de la mer, pour quoi faire ?

Il existe déjà un CESER, un syndicat mixte de la Côte d'Opale et un conseil régional. Pourtant, les Hauts-de-France ont désormais également leur Parlement de la mer. Sous la présidence du sénateur Jean-François Rapin, cet organe informel, sans budget, est né d’un livre bleu du Ceser appelant à une gouvernance particulière pour ces enjeux spécifiques et stratégiques, et de la volonté de Xavier Bertrand. «Le Parlement de la mer est le seul capable de réunir tous les acteurs du maritime autour d'une table », défend son président. Il compte pas moins de 160 structures publiques (y compris les services de l'Etat) et privées. « Sa feuille de route, c'est la mer et le littoral », lance Jean-François Rapin. Un outil d'autant plus utile depuis la fusion des régions Picardie et Nord-Pas-de-Calais. Car l'espace littoral régional est un ensemble clé de 220 kilomètres de longueur de côte, qui réunit un million d'habitants sur les 6 millions de la région, et qui regroupe une grosse puissance maritime que viendra encore renforcer l'ouverture du canal Seine Nord. Le Parlement de la Mer, né pendant la Covid, s'est réuni pour la première fois en présentiel début novembre à la Halle aux sucres de Dunkerque.

 

Quatre commissions thématiques viennent nourrir ses travaux : attractivité maritime, sous la présidence de Bruno Cousein (communauté d'agglo des deux baies en Montreuillois), économie maritime, avec Frédéric Cuvillier (CAB), littoral- transition écologique et climatique, avec Stéphane Haussoulier (syndicat mixte baie de Somme grand littoral picard) et enfin la commission portuaire pilotée par Patrice Vergriete (Dunkerque). «On essaie d'apporter un élément de consensus entre élus et experts. Le parlement de la mer sera jugé sur les propositions qu'il fera», estime Jean-François Rapin.

Premier acte concret, le Parlement de la mer vient de remettre, lors des assises de la mer à Lille début novembre, un prix de thèse (3 000 euros) pour récompenser des travaux de recherche apportant une analyse novatrice sur un ou plusieurs enjeux auxquels est confrontée la façade maritime régionale. Le prix est allé à une jeune thésarde dont les travaux portent sur le vibrion du bar, une bactérie qui affecte le développement de ce poisson en aquaculture

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