Crise énergétique : Quelles solutions pour une économie sous haute tension ?

Si la hausse spectaculaire des prix de l'énergie tétanise nos grands acteurs économiques, c'est bien tout le tissu productif qui est touché. Comment la rtégion encaisse-t-elle ce choc? Quelles solutions envisager ? Focus sur une crise hors norme. 

"En France, on n'a pas de pétrole, mais on a des idées», disait-on lors de la première crise pétrolière en 1974. Des idées, il va en falloir beaucoup pour sortir de la quadrature du cercle de la nouvelle crise énergétique. Une crise polymorphe, exogène en partie avec l'invasion de l'Ukraine et l'arrêt des livraisons de gaz russe, mais interne aussi avec le grand affaiblissement de la filière nucléaire française, et qui s'ajoute aux pénuries et à l'inflation qui avaient déjà débuté avant la guerre. Les prix s'affolent et les craintes de manque de ressource aussi, surtout si la météo se fait rude : du fait de la sécheresse estivale, les capacités d'hydroélectricité sont plus faibles qu'à la normale, et les « moyens pilotables » permettant d'ajuster l'intermittence des énergies renouvelables font grise mine.

Les entreprises et les collectivités aussi. Pour les Français, l'Etat a encore sorti le chéquier et le bouclier énergétique, pour limiter la surchauffe... du porte-monnaie. Au Royaume-Uni, l'Etat déploie également un bouclier pour les entreprises. En France l'Etat avait élargi en début d'année l'accès à l'électricité nucléaire historique (ARENH) qu'EDF met à disposition à prix très bas - entraînant d’énormes effets d’aubaine chez ses concurrents. Une aide urgence gaz et électricité a aussi été mise en place par l'Etat, mais le dispositif, qualifié d'usine à gaz par le patron du Medef Geoffroy Roux de Bézieux, n'a pu financer jusqu'à présent que 50 M€ sur une enveloppe de 3 milliards d'euros.

Si les prix du pétrole s'assagissent, ce n'est pas encore le cas du gaz et de l'électricité. Avec une connexion des prix de l'électricité à ceux du gaz devenue un véritable piège : le prix de marché retenu est celui du dernier kilowatt produit. Résultat : des hausses totalement insupportables pour les entreprises les plus énergivores, qui doivent réduire fortement la production à défaut de pouvoir stopper complètement (sauf à endommager gravement les fours). Aluminium Dunkerque, le plus gros consommateur d'électricité en France, LME à Trith-Saint-Léger, la verrerie Arc, Nyrstar à Auby, Arcelor Dunkerque, parmi bien d'autres, ont sorti leur voile tempête : arrêt ou grand ralenti, chômage partiel, avancement de programmes de maintenance, plans de formation... L'heure est au sauvetage de l'essentiel, en attendant meilleure fortune. Les collectivités, qui détiennent d'immenses patrimoines bâtis, sont aussi en première ligne. Les départements, donc celui du Nord (lire l'interview de son président Christian Poiret en p 14), voient leur facture exploser. Le conseil régional, qui dépensait 42 M€ sur son poste énergie pour les lycées en2021, s'attend à débourser... 147 M€ l'an prochain !

Des boulangeries de quartier à Nausicaà

Mais au-delà des très gros consommateurs, c'est toute l'économie qui trinque. Depuis les boulangeries de quartier aux grands magasins ou aux pressings en passant par les équipements touristiques comme Nausicaà, dont la facture s'est envolée de 190%, l'enjeu est de franchir cette très mauvaise passe. «Il n'y a pas de miracle ! L'économie, c'est la transformation de l'énergie. S'il n' y a pas d'énergie, il n'y a pas d'économie », décrypte Jean Gravelier, directeur de Pôlénergie, qui réunit une centaine de membres de la chaîne de valeur de l'énergie à l'échelle régionale. Or une énergie hors de prix, donc inutilisable, équivaut à une vraie panne de moteur. L'énergie en tant que telle ne devrait pas faire défaut, assure Laurent Cantat- Lampin, délégué régional de RTE. « Il n'y a pas de risque de black out, mais une tension prévisible en approvisionnement énergétique en gaz et en électricité, avec un appel à la modération de la consommation sur une dizaine de jours pour passer l'hiver sans coupure ». Les entreprises sont d'ailleurs appelées à la rescousse dans ces hypothèses pour s'effacer du réseau, contre rémunération.

« Il y a 3 500 personnes qui s'activent chaque jour dans la centrale de Gravelines, pour être en mesure de produire cet hiver. On pourrait même avoir une disponibilité historique très élevée sur la centrale », rassure de son côté Mathias Povse, directeur de l'action régionale d'EDF, pour qui «l'énergie ne doit pas être un enjeu de politique de court terme, il faut plutôt parler d'aménagement énergétique du territoire ».

La situation est suffisamment tendue pour que la CCI Hauts-de-France réactive sa « task force » collective, déjà utilisée face aux crises du Brexit, de la Covid et de la guerre. Elle a en outre décidé de lancer une nouvelle vague d'enquête de conjoncture spéciale Energie auprès de 3 000 entreprises, dont les résultats seront connus à la mi-octobre.

Audits et diagnostics énergétiques 

Alors, que faire sinon le gros dos et attendre ? « On organise des rencontres avec les chefs d'entreprise et des énergéticiens pour voir quelles possibilités de renégociations de contrat existent et dans quelles conditions », indique David Brusselle, directeur général de la CCI de Région. Des audits ou des diagnostics énergétiques sont proposés par la Chambre ou par l'Adème notamment, pour identifier des gisements d'économies ou des solutions alternatives. « Depuis la rentrée, on a un afflux de demandes. Nous sommes sollicités tous les jours en particulier par ceux dont les contrats énergie arrivent à échéance », confirme-t-on chez EDF, où on estime « qu'il y a de nombreux leviers, encore plus quand l'entreprise ne s'est jamais intéressée au sujet ». Et les mesures de sobriété sont loin d'avoir un impact anecdotique. Laurent Cantat-Lampin note ainsi qu'à l'échelle du pays, une baisse de chauffage d'un degré correspond à deux années de consommation de la MEL.

Le passage à l'éclairage LED donne aussi des résultats. Or 70 à 80% des entreprises n'ont pas encore franchi le pas. « Il y a là un champ de gain de consommation assez important, avec un retour d'investissement relativement court », insiste-t-il.

De fait, la rentabilité des installations d'énergie renouvelable, de récupération de chaleur ou autres géothermie s'améliore fortement du fait du prix de l’énergie. Chez l'hébergeur de serveurs CIV, on se félicite d'avoir été pionniers pour optimiser le poste énergie. Exemple : la réutilisation de l'énergie fatale du datacenter de Sainghin-en-Mélantois pour le chauffage, ou le raccordement de celui d'Anzin à la boucle de chaleur du Valenciennois. Plus récemment, CIV s'est doté de panneaux photovoltaïques qui produisent déjà 20% de sa consommation électrique. Au point que Jérémy Cousin, le Dg, imagine décupler les installations sur les toitures des voisins. De nombreuses entreprises ou organismes déploient ou proposent au demeurant des solutions originales et efficaces, que nous montrons en exemple ci-après.

Trésoreries tendues 

Mais les entreprises n'ont pas toutes les ressources de rebondir, surtout en pleine période de tension.
« Aujourd'hui, il y a une réflexion en profondeur à mener, admet Olivier Durteste, directeur général de l'UIMM Udimetal sur le territoire de Lille. On nous demande d'investir dans des outils qui consomment moins. Mais je dis attention, nous avons des entreprises dont les trésoreries sont tendues, avec un niveau de dette assez élevé, notamment avec les PGE. Ce n'est pas évident d'investir quand on n'a pas de vision moyen long terme, et que les taux bancaires remontent... »

Le président du tribunal de commerce de Lille Métropole Eric Feldmann partage cette vigilance, spécialement pour les sous-traitants des grands donneurs d'ordre énergivore. « Mais on peut légitimement espérer que cette crise de l'énergie ne dure pas éternellement », lance-t-il.

 

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