Patrick Scauflaire (La Catho) : “Nous formons des jeunes qui peuvent avoir un impact demain"

Elu à la tête de l'Université catholique de Lille à l'été 2020, Patrick Scauflaire évoque avec Eco121 le fil rouge de son mandat de président-recteur. Développement des établissements de la Catho, international, développement durable, transdisciplinarité... Entretien.

Vous êtes à la tête de La Catho depuis deux ans. Quel bilan tirez-vous ?

La première année a été très particulière car marquée par la pandémie. J’ai dû prendre mes marques de manière très atypique. L’année suivante a été plus représentative d’une année normale. Je suis dépositaire d’une trajectoire, d’une dynamique mise en place à La Catho, et un de mes rôles est de conforter cette dynamique. La Catho a toujours évité les grands coups de gouvernail. Malgré leurs différences de style, les différents Présidents-Recteurs ont poursuivi la tâche de leurs prédécesseurs. Ainsi, nous avons maintenu les orientations identifiées par Pierre Giorgini, mon prédécesseur : développement d’écosystèmes innovants, développement d’une recherche tournée vers les transitions, alliance avec l’université de Valenciennes, l’Université Polytechnique Hauts de-France, entérinée ces deux dernières années et dont les prémices remontent à 2018.

Que vous apporte cette alliance ?

L’opportunité de porter ensemble des innovations pédagogiques et de développer notre activité de recherche de manière plus franche, de mieux encadrer nos doctorants, et également de bénéficier de circuits de décisions plus faciles et d’un travail de proximité entre les chercheurs de nos deux universités. C’est un projet très original car porté par une université publique et une université privée associative. Normalement, les écoles doctorales sont uniquement portées par les universités publiques.

Justement, qu’est-ce qui différencie La Catho de l’université publique ?

Notre originalité est d’être une université du tiers secteur, c’est-à-dire privée non lucrative. C’est un label reconnu par le gouvernement pour un établissement qui porte une mission publique, au niveau tant de l’enseignement que du soin, tout en reconnaissant une gouvernance et un mode de fonctionnement d’acteur privé. Ce modèle permet une réactivité et une responsabilisation des organes de gouvernance. Le caractère non lucratif nous offre une certaine liberté. Nous ne sommes pas dépendants d’actionnaires. Nos actionnaires, ce sont nos étudiants, nos patients. L’ensemble de nos résultats sont réinvestis dans nos projets.

La Catho connaît une croissance spectaculaire depuis des années. Quelle est votre recette ?

C’est un secret d’Etat (rires) ! Ce qui fait notre attractivité, c’est notre qualité d’attention aux personnes, à nos patients et d’accompagnement de nos étudiants. Si les familles nous font confiance, c’est bien sûr pour la qualité de notre enseignement mais aussi parce qu’ils pensent qu’il y aura à La Catho un climat particulier. Un épanouissement des étudiants plus large que la simple obtention d’un diplôme... je l’espère en tout cas !

L’autre particularité est ce lien d’origine à l’entreprise. La Catho a été créée par les patrons du Nord et par l’Eglise. Ce lien perdure et est important pour nous car nous nous voulons acteur de notre écosystème. J’ai intitulé mon projet de gouvernance « Notre Université, une chance au cœur des transitions ». Nous pensons que La Catho a une influence et est une chance pour les entreprises et les collectivités qui l'entourent et celles qui sont plus lointaines. Nous formons des jeunes qui peuvent avoir un impact demain.

On parle beaucoup de quête de sens aujourd'hui. Votre ADN catholique apporte- t-il encore une réponse forte ?

Dans mes propositions pour ce mandat, il y a un axe sur l’expérience de vie des étudiants. Vis à vis d’eux, notre mission — un mot chargé de sens pour les chrétiens — est de les aider à dé- velopper toutes les dimensions de leur personne. Pas seulement l’intellect. Cela prend la forme par exemple d’un engagement solidaire à l’intérieur ou à l’extérieur de nos établissements. C’est le cas par exemple du « bus du droit » qui se rend dans des zones où l’accès au droit n’est pas simple. Des étudiants de la Fac de droit et des avocats donnent de leur temps pour des consultations. Nos jeunes confrontés à la réalité de notre territoire reviennent en regardant leur projet professionnel de manière différente. C’est un exemple parmi d’autres qui fait partie du « Programme humanités » que l'on propose et qui vise à développer la fibre humaniste de nos étudiants. Cela fait partie de notre marque de fabrique. Est-ce catholique ? Je pense que oui, dans le sens où ça exprime une certaine vision de la personne. Une université catholique ne l'est pas parce qu’elle n’accueillerait que des catholiques, mais parce qu’elle est un lieu où on peut s’exprimer, rayonner en tant que personne à travers son action dans la société. Je pense vraiment que notre vision est imprégnée dans la culture chrétienne.

L’ensemble des projets de développement des établissements de La Catho avoisinerait les 600 M€ d’investissement. Au-delà de la formation, devenez-vous un acteur de la Ville ?

Il est vrai que le poids économique de La Catho est important. Mis bout à bout, nos projets immobiliers identifiés actuellement sont tout à fait significatifs. C’est aussi le fait d’une convergence. Tous les grands établissements mènent leurs grands projets en même temps. C’est source d’effervescence dans le quartier, c’est vrai. C’est aussi l’opportunité d’avoir une réflexion globale sur l’avenir du quartier Vauban. La Catho est un acteur clé du quartier.

Dans quelle orientation ?

Nos projets immobiliers vont reconfigurer une bonne partie du quartier Vauban. A l’issue des travaux, le Palais Rameau sera totalement différent, l’immeuble de l’ISEN sera reconstruit, l’IESEG va réorganiser l’ancien siège de Partenord. La Catho aura un impact direct sur la configuration du quartier. Avec la Ville de Lille, nous voulons en tirer toutes les conséquences. Qu’est-ce que cela veut dire en terme de mobilité, d’accès au quartier, d’espaces verts ? C’est ce genre de discussions que nous avons avec nos interlocuteurs depuis deux ans. Ce sont aussi des discussions sur le schéma urbain du quartier Vauban Esquermes, sur le schéma directeur des transports ou sur la contribution de La Catho aux démarches structurantes de Rev3, Lille bas carbone ou plus largement sur notre engagement sur les enjeux climatiques.

Cet aspect développement durable se traduit-il par une certaine pression du corps enseignant et des étudiants ?

Je ne parlerais pas de pression, mais plutôt d’une préoccupation et d’un enjeu forts pour eux et pour notre gouvernance. Avec la fédération, nous avons décidé d’une mobilisation pour le climat en 2022 via la signature de l’Accord de Grenoble. Tous nos établissements ont signé cet accord dans un même mouvement. Ce qui prouve la conjonction des préoccupations. Ces préoccupations nous amènent également à organiser une convention universitaire pour le climat cet automne. Une centaine d’étudiants et une cinquantaine de salariés consacreront 7 après-midis, entre octobre et décembre, aux enjeux climatiques. Ce sera un moment fort pour notre université. Ce n’est pas seulement un appel à l’engagement, il y aura aussi des décisions concrètes.

Vous vous inscrivez pleinement dans EcoPoss...

Ce n’est pas un hasard. A l’initiative de l’Université Catholique de Lille, EcoPoss se veut un événement rassembleur pour réfléchir aux futurs possibles, aux futurs souhaitables. La signature en est « Osons l’éloge du futur », suivant une intuition de Pierre Giorgini. C’est-à-dire prendre le contre-pied d’une attitude de défaitisme. Non par méthode Coué, mais en se disant qu’il est urgent d'identifier les leviers pour prendre notre futur en main. Si les chrétiens ne sont pas porteurs d’espérance, c’est un peu embêtant !

La pandémie et la crise ukrainienne affectent-elles la dimension internationale de la Catho ?

Nous avons toujours été très ouverts à l’international. La Catho est l’une des universités envoyant le plus d’étudiants à l’étranger et accueillant le plus d’étudiants internationaux. C’est très lié à notre positionnement transfrontalier et nos liens avec les pays européens. Nous croyons beaucoup aux vertus des rencontres interculturelles. Ce serait dramatique qu’un repli national empêche nos étudiants de rencontrer des étudiants de différentes nationalités ! Si nous voulons maintenir notre ambition, nous devons réfléchir et inventer d’autres types d’expériences internationales, telle que l’internationalisation à domicile. Avec les outils numériques, il est facile par exemple de faire intervenir un professeur américain dans un amphi boulevard Vauban sans le faire venir sur place.

Depuis la Covid, on observe un engouement renoué pour les voyages. Mais ils devront évoluer à l’avenir. Être réfléchis en prenant davantage en compte le rapport entre apport personnel et coût, notamment carbone. A travers des voyages plus longs par exemple, ou plus proches s’ils présentent les mêmes atouts.

"On sera amené à répercuter l'inflation sur les frais de scolarité" 

La transdisciplinarité semble être une voie pédagogique de choix dans vos établissements. Qu’en est-il ?

C’est une chance pour La Catho d’avoir un large panel de disciplines, de compétences et de champs de recherches. La transdisciplinarité est très importante pour nos étudiants car dans leur vie professionnelle, en grande majorité, ils seront amenés à travailler dans des équipes plu- ridisciplinaires. Chez Junia, la fusion de HEI, ISA et ISEN marquait cette volonté de réunir les trois types de formations d’ingénieurs. L’école du numérique, lancée il y a un an au sein de la FGES, propose un programme couvrant des aspects techniques : numérique, programmation, systèmes d’information, ainsi qu’un apport de philosophie et d’éthique. A La Catho, c’est l’une de nos marques de fabrique. Nous développons également des doubles cursus, comme celui de la Fac de droit et de l’EDHEC qui mène à un double diplôme.

Un mot sur l’inflation. L'envolée des charges vont-elles impacter les frais de scolarité ?

On ne sait pas jusqu’où ira cette inflation. C’est la grande incertitude. Ce qui est sûr c’est que dans notre modèle économique, la subvention de l’Etat par étudiant est très faible. Moins de 700€ par étudiant et par an aujourd’hui, contre 1 100€ il y a 10ans.. Et il faut que nos produits, composés à 70% ou plus des frais de scolarité, équilibrent nos charges. Dans un univers avec inflation, clairement, nous serons donc amenés à la répercuter sur nos frais de scolarité. Comment ? A quelle vitesse ? Avec quelle capacité de prévision pour les familles ? Avec quels mécanismes d’atténuation et de solidarité ? Ce sont toutes ces questions que nous travaillons.

 

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