Rayonnement culturel : Notre patrimoine est-il en péril ?

Le château d'Esquelbecq, près de Dunkerque, construit entre 1590 et 1610 Le château d'Esquelbecq, près de Dunkerque, construit entre 1590 et 1610

Alors que les Hauts-de-France recèlent un patrimoine riche et diversifié, sa préservation apparaît comme un enjeu de plus en plus impérieux du fait de sa valeur historique et sociale, mais aussi de son potentiel économique. De quoi notamment inciter les pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques volontaristes dans ce domaine.

Enfin ! Après vingt-cinq ans de fermeture pour cause de travaux, la crypte néogothique située sous la cathédrale de la Treille, à Lille, a rouvert ses portes au public fin avril. Un événement attendu avec impatience par de nombreux habitants, tout comme l’avaient été, quelques mois plus tôt, les réouvertures de la maison natale de Charles de Gaulle dans la capitale des Flandres, du Château de Rambures dans la Somme, ou encore celles, il y a quelques années, du MUDO Musée de l’Oise à Beauvais et de celui de Picardie à Amiens. L’engouement autour du patrimoine culturel des Hauts-de-France n’aurait jamais été aussi prononcé qu’aujourd’hui. « Il n’y a qu’à voir le niveau de fréquentation lors des Journées européennes du Patrimoine, qui augmente année après année », se réjouit Valérie Cuvillier, vice-présidente du Département du Pas-de-Calais, en charge de la culture et des enjeux patrimoniaux. Lors de la dernière édition en septembre, sur le thème « Patrimoine pour tous », près de 2 000 événements ont ainsi été organisés dans la région, avec des sites accessibles pour la première fois aux visiteurs, tels le Casino de Saint-Quentin dans l’Aisne, le parc du Château de Lihus dans l’Oise ou encore la chapelle Notre-Dame de la Barrière à Saint-André dans le Nord...

Effet « Loto du Patrimoine »

Il faut dire que les Hauts-de-France recèlent un patrimoine riche et varié. « Il est à la fois rural avec ses nombreuses églises, mémoriel avec les sites en lien avec les guerres mondiales, défensif avec les constructions érigées par Vauban, et transfrontalier avec les beffrois », énumère Franck Sénart, directeur régional adjoint délégué aux patrimoines de la Direction régionale des affaires culturelles (Drac). Fruit des différentes périodes de l’histoire, cette diversité tient également à la fusion de deux anciennes régions en 2016, la Picardie s’imposant comme terre de cathédrales tandis que le patrimoine du Nord-Pas-de-Calais est marqué par la reconstruction d’après-guerre et son passé industriel et minier. Ceci sans compter un patrimoine naturel majeur entre Baie de Somme, site des deux caps ou marais audomarois. Chargé de recenser, d’étudier et de faire connaître le patrimoine urbanistique, architectural et mobilier, le Service de l’inventaire de la Région a documenté, à ce jour, pas moins de 28 000 « objets d’étude ».

Si les confinements ont sans aucun doute exacerbé chez certains l’envie de (re)découvrir les joyaux des environs, la tendance serait, avant tout, structurelle. «En faisant du patrimoine une forme de grande cause nationale, le lancement concomitant de la Mission Bern « Patrimoine en péril » et du Loto du Patrimoine en 2018 a constitué un tournant, observe Philippe Roumilhac, délégué régional de la Fondation du Patrimoine. Depuis, nous constatons non seulement un regain d’intérêt pour le patrimoine, mais aussi une réelle prise de conscience quant à l’importance de le préserver.»

Dimension communautaire

Les élus, eux aussi, l’ont bien compris. Au-delà de la nécessaire sauvegarde des vestiges historiques, comme à Esquelbecq dans les Flandres, beaucoup ont réalisé à quel point le patrimoine pouvait représenter, pour leur territoire, un vecteur de cohésion sociale. C’est le cas à Thérouanne, près de Saint-Omer, où un couple de propriétaires a décidé de restaurer un ancien four à pain sur son terrain en vue de le mettre à la disposition des habitants des environs. « Le « petit patrimoine » constituant à nos yeux un excellent canal de transmission, nous avons voulu redonner à ce four à pain sa dimension originelle, qui était communautaire, expliquent Sébastien et Nadège Ansel. Ce projet a par ailleurs d’autres vertus puisque nous avons décidé de travailler sur la restauration avec des entreprises locales, en utilisant des techniques d’antan. » Autant d'initiatives qui permettent d’entretenir localement des filières de métiers d’art (ferronnerie, taille de pierre, couverture...) et leurs savoir-faire ancestraux. « Nous avons la chance d’héberger des leaders nationaux, comme Chevalier Nord dans la taille de pierre, et d’avoir un lycée des métiers d’art à Amiens, qui contribuent au rayonnement de la région », pointe François Decoster, vice-président de la Région en charge notamment de la culture et du patrimoine.

Effet levier

L’enjeu autour de la conservation du patrimoine est aussi économique. D’après une étude de Pluricité en 2021 sur l’impact socio-économique des projets sou- tenus par la Fondation du Patrimoine, 1 € investi dans des chantiers de restauration se traduit par... 21 € de retombées directes (emplois...) ou indirectes, via le tourisme notamment ! Or le poids de la consommation tou- ristique dans la production de richesse n’est pas anecdotique. Selon la Mission Attractivité Hauts-de-France, cette dernière a généré 6,22 mds€ de recettes en 2019, soit 4 % du PIB régional. Une manne provenant de particuliers français et étrangers, pour l’essentiel belges, hollandais et britanniques, mais aussi d’entreprises désireuses de mieux connaître le patrimoine régional. « Dans le cadre de sessions de team building ou de séminaires, un nombre croissant de sociétés tendent à solliciter ce type de prestations, confirme Henri Bervick, fondateur de L’Equipée Verte. A ce titre, j’ai récemment organisé, en marge de leurs réunions de travail, la visite de l’ancienne fosse de Oignies ou une visite guidée privatisée du beffroi de Bailleul. »

Monuments en sursis

Les collectivités comme l'Etat apportent tous leur pierre financière aux édifices. Mais est-ce suffisant ? Certains passionnés regrettent que certains pans du patrimoine, historique notamment, ne soient pas as- sez valorisés et exploités d’un point de vue touristique. « Il y a un endroit à Boulogne-sur-Mer où l’empereur Napoléon a décerné la première légion d’honneur de l’histoire de France, illustre Pierre Verley, membre de l’Association Les Amis du Fort d’Ambleteuse. Malgré le caractère exceptionnel de l’événement, ce lieu, où ne figure qu’un modeste panneau, n’est absolument pas entretenu!» Surtout, les dispositifs nationaux et régionaux d’aides et de subventions existants apparaissent largement insuffisants tant globalement qu'à l’échelle de certains projets. « Pour une petite commune devant réaliser la réfection du toit de son église, le coût de son reste à charge demeure souvent prohibitif, au point de rendre impossible le lancement de travaux, admet Valérie Cuvillier. En cela, davantage de mécénat serait incontestablement bienvenu. » Mais son niveau dans notre région reste insuffisant. De quoi expliquer que, faute de financement, de nombreux édifices sont en sursis, à l’image de la Sucrerie d’Eppeville (photo ci-contre) ou de l’Eglise Sainte-Germaine de Calais. En passe d’être démolies, toutes deux ont été classées in extremis Monuments Historiques l’an dernier. Mais la question du financement de leur restauration reste centrale. Il n’est du reste pas rare d’assister à la disparition, totale ou partielle, de certains d’entre eux, à l'instar des châteaux de Terdeghem (Nord), outre-Manche à Coquelles (Pas-de-Calais) ou Lagny-le-Sec (Oise).

« Pour qu’une restauration réussisse, il faut certes parvenir à la financer, mais aussi et surtout qu’il y ait un projet précis et solide qui la sous-tende, insiste Philippe Roumilhac. S’il s’agit de créer l’énième musée des environs consacré aux métiers anciens ou autre, il n’est pas garanti que sa pérennité soit assurée. Il est primordial de faire preuve de créativité, ce qui manque parfois. » Et le délégué régional de la Fondation du Patrimoine de citer en exemples l’aménagement de terrils dans le Nord-Pas-de-Calais en parcs régionaux afin de sauvegarder la faune et la flore, la transformation du Château de Villers-Cotterêt dans l’Aisne ou le projet de réhabilitation en hôtel de l’ancienne prison pour femmes de Doullens (Somme). «Sans de tels projets, beaucoup de monuments finiraient par devenir des ruines, avant d’être rasés, défend Philippe Roumilhac. Face à cette perspective, le principe consistant à implanter des appartements ou un hôtel de luxe, par exemple, ne m’apparaît pas gênant dès lors que cette solution contribue à assurer la préservation du site. » Pour cela, encore faut-il toutefois vaincre les réticences d’opposants, quasi systématiques dans le cadre de projets de réhabilitation impliquant un acteur privé. 

 

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DES DISPOSITIFS D’AIDES AUX DIFFÉRENTS ÉCHELONS

Les pouvoirs publics mettent en œuvre des politiques volontaristes en faveur de la préservation du patrimoine, public ou privé. Dans le cas de monuments historiques protégés (classés ou inscrits), l’Etat peut déjà subventionner, à travers la Drac, jusqu’à 50 % des travaux. « L’enveloppe annuelle oscille entre 17 et 20 M€ dans la région », précise Franck Sénant. La Région a mis en place plusieurs dispositifs: le premier dédié à la restauration de patrimoines ruraux non protégés, le deuxième aux patrimoines protégés, le troisième réservé aux propriétaires privés, que leur bien soit protégé ou non. « S’agissant de ce dernier volet, nous pouvons participer à hauteur d’un maximum de 50 % du coût global du chantier, dans la limite de 30 K€», indique François Decoster. En 2021, 145 dossiers ont été soutenus dans le cadre de ces trois programmes, pour 6,5 M€. « A titre de comparaison, les budgets qu’allouent la Normandie et le Grand Est dans ce domaine se limitent à respectivement 3 et 4,2 M€ », compare l’élu. Enfin, chaque département dispose de sa propre politique d'aides en faveur du patrimoine. « L’an dernier, nous avons distribué 3 M€ de subventions, répartis sur une trentaine de chantiers (Basilique Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception à Boulogne-sur-Mer, remparts de Montreuil, Eglise Notre-Dame des Sables à Berck-sur-Mer...) », informe ainsi Valérie Cuvillier, vice-présidente du conseil départemental du Pas-de-Calais.

 

 

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