Ukraine-Russie : un impact global limité, mais fort pour quelques entreprises

Leroy Merlin a déjà payé un lourd tribut à travers le bombardement d'un magasin à Kiev le 20 mars dernier. Les principales enseignes de l'AFM comptent 90 000 salariés et plus de 400 magasins entre l'Ukraine et la Russie Leroy Merlin a déjà payé un lourd tribut à travers le bombardement d'un magasin à Kiev le 20 mars dernier. Les principales enseignes de l'AFM comptent 90 000 salariés et plus de 400 magasins entre l'Ukraine et la Russie

Peu d'entreprises des Hauts-de-France commercent avec la Russie ou l'Ukraine. Mais certaines très fortement, à commencer par les enseignes majeures de la famille Mulliez.

L'Ukraine est un très petit pays d'échanges commerciaux avec notre région. S'appuyant sur les chiffres des Douanes, la CCI Hauts-de-France recense seulement 42 entreprises régionales exportant vers ce pays, et pour un montant modeste de 150 M€, soit notre 43e pays d'export. La Russie occupe la 13e place, mais à un niveau encore faible : nous y exportons pour 647 M€ de valeur, avec sur le podium des produits exportés des produits chimiques, parfums et cosmétiques, devant les produits agroalimentaires et les machines industrielles et agricoles.

Peu d'entreprises sont présentes sur place, mais évidemment leur situation est compliquée voire catastrophique pour celles qui sont en Ukraine. Etienne Mourmant, consul d'Ukraine dans les Hauts-de-France, y a une unité textile (40 salariés) près de Lviv dans l'ouest du pays, territoire encore largement préservé à l'heure où nous rédigions ces lignes, et qui tourne au ralenti. Lesaffre a une usine à Kriviy Rih qui continue à fonctionner dans le centre du pays, dans une logique d'alimentation de la population, ainsi qu'un bureau commercial dans la capitale. Leroy Merlin a de son côté vu un de ses magasins bombardé à Kiev. Bonduelle dispose d'une filiale commerciale à Kiev (20 personnes), mais qui a très rapidement été mise en suspens dès l'invasion du pays.

Si l'on élargit le spectre à la Russie, plusieurs poids lourds de la région y comptent des intérêts très importants : Auchan y totalise près de 280 magasins, et y réalise 10% de ses ventes ; Leroy Merlin réalisait une expansion spectaculaire (et très rentable) dans ces pays qui pèsent près du cinquième de son chiffre d'affaires. Décathlon est fortement présent avec 64 magasins. Soit un total de 90 000 salariés pour l'ensemble des enseignes liées à l'AFM. Lesaffre a trois usines en Russie. Bonduelle y compte un kolkhoze et trois usines, et y réalise 150 M€ de ventes.

Effet de change désastreux

On ajoutera que ces entreprises vont encaisser un effet de change désastreux avec un rouble dont la valeur avait chuté de 50% dans les trois premières semaines de l'invasion. Si l'activité des entreprises alimentaires n'est pas concernée par les sanctions, contrairement aux parfums comme ceux d'Eaux Primordiales, la question de leur maintien se posait néanmoins. Peu après le bombarde- ment d'un de leurs magasins, des salariés ukrainiens de Leroy Merlin en appelaient d'ailleurs directement dans une pétition à la fermeture de leurs homologues en Russie : "Nous demandons vigoureusement à Adeo et à l’AFM de cesser leurs activités en Russie, ce qui privera l'agresseur de l'opportunité de financer l'offensive russe en Ukraine”. Une position réaffirmée par le président Zelensky devant le Parlement français le 23 mars, estimant que "les valeurs valent plus que les bénéfices".

Le lendemain, le DG d'Adeo confirmait dans la Voix du Nord sa volonté de conserver ses magasins ouverts. A l'inverse, Renault (dont l'Etat français est encore le premier actionnaire) indiquait son intention de cesser ses activités industrielles et d'évaluer sa présence au capital d'AvtoVAZ (Lada), dont il détient 68%. Le 29 mars, c'est la direction de Décathlon qui annonçait que, faute d'approvisionnement du fait dses sanctions internationales, les acticvités en Russie étaient suspendues.  

Autant dire que la pression monte clairement d'un cran et que les groupes étrangers présents en Russie et en Ukraine sont chaque jour davantage sur des charbons ardents.

 

Remous slaves pour les Eaux primordiales 

Deux ans de travail partis en fumée : la société de parfums haut de gamme les Eaux primordiales, basées à Acq près d'Arras, venait tout juste de débuter un partenariat commercial très prometteur en Russie et alentour quand les tanks sont entrés en Ukraine. Au dernier trimestre 2021, le chiffre d'affaires avait déjà dépassé les 100 K€ et la société misait sur 250 K€ de chiffre d'affaires réalisés sur 45 boutiques en Russie cette année. Les sanctions internationales en ont décidé autrement. Or le déploiement devait se poursuivre en Géorgie, Moldavie, Ukraine mais aussi les pays baltes, la Pologne ou la Roumanie. Un défi énorme pour l'entreprise fondée par Arnaud Poulain, qui a vendu l'an dernier 20 000 flacons sous sa marque pour un demi-million d'euros. « Heureusement, on avait déjà mis au point une solution de secours pendant la crise sanitaire », explique-t-il à Eco121. Les magasins de produits non essentiels ayant du fermer, les Eaux Primordiales privées de points de vente pendant un an ont pivoté vers le conditionnement à façon, se sont équipé en machines, au point d'en faire une activité de même poids que les produits sous marque. Bien en a pris à la jeune société qui vise cette année un doublement de cette activité de conditionnement. Des ventes certes moins rentables, mais qui permettent d'amortir les charges de l'entreprise et de pérenniser ses 20 salariés. En parallèle, la société qui espérait doubler aussi ses ventes sous marque a révisé à la baisse ses ambitions, tout en basculant vers d'autres horizons moins compliqués : Chine, Afrique noire, Asie. « Mais c'est beaucoup de temps perdu et nous sommes privés de ce gros levier de croissance qu'était le plus grand distributeur russe », raconte Arnaud Poulain, contraint de réinventer son modèle. « Soit on attend de mourir, soit on tente des choses ! Si on n'aime pas les coups durs quand on est entrepreneur, on change de métier ! », sourit-il. Au programme pour redynamiser la société : la création d'une marque moins haut de gamme pour le marché français et l'ouverture du capital.

 



 

 

 

 

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