“Le niveau d'incertitude n'a jamais été aussi élevé" Laurent Degenne, FRSEA

Le président de la fédération régionale des syndicats d'exploitants agricoles (FRSEA) juge que la crise actuelle montre les limites de "la mondialisation à outrance" et plaide pour un modèle plus raisonnable. 

 

Le monde agricole paie la crise internationale au prix fort. Quelle analysefaites-vous de la situation actuelle ?

Très clairement, à conditions exceptionnelles, mesures exceptionnelles. Il faut revenir aux fondamentaux : le principal est le rôle nourricier de l’agriculture, qui va devenir prépondérant dans les deux années qui viennent. La priorité doit être de produire. En respectant l’environnement certes, le foncier ou la ressource en eau – la profession fait la preuve de sa capacité à le faire – mais il faut produire davantage. Or, les contraintes européennes et françaises nous empêchent de le faire.

Que demandez-vous prioritairement ?
L’urgence de la situation impose, à mon sens, l’arrêt de la stratégie européen « Farm to fork » et du Green deal, dont le symbole était les jachères. C’était un non-sens. Alors que le prix des matières alimentaires flambent, l’Europe nous imposait jusqu’à présent des jachères ! A cela s’ajoutent les règlements franco-français, comme la mise en place des ZNT, là encore un non-sens. En Hauts-de-France, les surfaces perdues avec ces deux seules mesures entraînent la disparition de 275 millions de repas chaque année pour les ZNT, de 900 millions pour les jachères. Il faut donc lever les verrous réglementaires. Ceux qui nous empêchent, par exemple, d’employer les résidus riches en potasse issus de la méthanisation, alors qu'on en importe des cargos entiers d’Ukraine. Je pense que la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont accéléré la prise de conscience de la nécessité de remettre en cause le modèle de la mondialisation à outrance, qui date des années 1980 et 1990. Il ne s’agit pas de fermer les marchés ou mettre en place des mesures protectionnistes, mais de revenir à un modèle plus raisonnable.

D’accord, mais produire plus sans créer de valeur n’est pas vraiment une solution de long terme...

En effet, c’est pourquoi, au-delà de l’aspect réglementaire, il est urgent d’agir en faveur de la réindustrialisation. Il faut retrouver de la souveraineté concernant certaines productions, en tout cas être moins dépendant de l’extérieur. Prenons l’exemple des Hauts-de-France : notre balance commerciale est déficitaire de 900 M€ en valeur, alors qu’on est exportateurs de 700 M€ de matières premières. Pourquoi ? Parce que nous envoyons en-dehors de notre territoire ces matières et que nous réimportons des produits transformés. C’est le cas avec les pommes de terre, valorisées en Belgique. Réindustrialiser, c’est la condition de la création de la valeur ajoutée, mais aussi un moyen de remettre de la vie, du vivre ensemble, dans les territoires ruraux.

Comment voyez-vous la conjoncture de ces prochains mois ?
Alors que les cours montent, le système n’est pas plus rémunérateur pour la production. C’est vrai pour le blé, la betterave. Concernant les éleveurs, ils sont pris dans un effet ciseau, qui risque de mettre à mal nombre d’exploitations. Le niveau d’incertitude n’a donc jamais été aussi élevé. N’oublions pas également que pour faire du commerce, il faut être deux. Avec des cours aussi hauts, il n’y aura pas d’acheteur. On va créer de la détresse, des continents vont connaître la famine et malgré cela, des gens prônent la décroissance, c’est incompréhensible.

 

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