Une économie régionale résiliente face à la guerre

 


Après le Brexit et le Covid, la guerre... Dans un climat économique dominé à nouveau par l'incertitude, les entreprises régionales font le dos rond. L'inflation est désormais leur premier point d'inquiétude, mais l'impact du conflit semble pour l'heure assez limité à quelques entreprises et quelques secteurs à commencer par l'agriculture. Tandis que la solidarité des milieux économiques se déploie pour l'Ukraine.

 

 

16 mars 2020 : Emmanuel Macron annonce dans un discours mémorable que la France entre « en guerre » contre la Covid et le monde entier découvre le grand confinement. S'ensuivront deux années de dysfonctionnements complets de notre économie qui, au final, s'en relevait plutôt bien. Toutes les notes de conjoncture confirmaient début 2022 une belle reprise, même si celle-ci s'accompagnait d'une montée des prix. Mais c'était compter sans Vladimir Poutine. Le 24 février 2022, le maître du Kremlin envoyait ses tanks envahir l'Ukraine, avant de lâcher des tapis de bombes meurtrières détruire les infrastructures mais aussi des cibles civiles à la stupéfaction du monde entier.

Nous laisserons la géopolitique aux experts. Mais quel sera l'impact pour notre économie? Le 28 février, la Banque de France Hauts-de-France et la CCI de région présentaient un bilan sur l'année 2021 et surtout des perspectives plutôt favorables pour 2022.

Devenues entièrement caduques en quatre jours seulement. Car même si globalement, la Russie et l'Ukraine ne sont pas des pays économiques de première importance, la guerre produit déjà des effets. Directs comme
les sanctions adoptées contre la Russie, et qui interdisent certaines activités commerciales, et très immédiates aussi pour les entreprises implantées sur place parmi lesquelles quelques grands noms régionaux.

Mais surtout indirectes : la Russie est le deuxième producteur mondial de pétrole, elle contrôle 29% du blé mondial, associée à la production ukrainienne. Et 40% des engrais azotés. Elle est aussi premier producteur mondial de palladium, indispensable pour les pots d'échappement, numéro deux du nickel, majeur pour les batteries électriques, ou de l'aluminium. Moins connue, l'assemblage de câbles pour l'industrie automobile et ferroviaire est une spécialité ukrainienne, dont les difficultés rejaillissent aujourd'hui sur l'aval des filières.

 

Dépendances
Une dépendance assez large donc, qui s'est traduite très rapidement par l'envolée des prix et des craintes
de pénuries. Or la hausse des matières premières et de l'énergie avait déjà plombé les marges dans nombre de secteurs. L'agriculture se trouve en tête de liste des secteurs ébranlés par la nouvelle situation avec un niveau d'inquiétude inégalé.

« L'an dernier, on a déjà subi une hausse de 30% sur les matières premières », pointe la dirigeante d'un groupe régional spécialisé dans les résines qui s'attend cette année à des poussées de prix tous azimuts et s’inquiète de sa capacité à les répercuter. Une fonderie du Nord envisageait de stopper sa production face à des hausses de l'énergie trop fortes. Plusieurs entreprises électro-intensives (telles Nyrstar ou Aluminium Dunkerque) avaient du reste déjà décidé en fin d'année des mesures de chômage partiel pour éviter de prendre de plein fouet l'envolée des prix. Le monde du transport routier, pour lequel les carburants pèsent plus du quart des charges, a vu venir très vite, lui aussi, un effet ciseau dévastateur. « La guerre n'est qu'un accélérateur d'un phénomène d'inflation sur différents postes dont l'énergie, qu'on avait déjà enregistré au second semestre 2021. Mais il y a eu accélération phénoménale », note Olivier Arrigault, secrétaire général de la fédération du transport routier. Devant la forte mobilisation des professionnels, et le blocage d'un certain nombre de dépôts pétroliers, l'Etat a rapidement lâché du lest à travers un plan de résilience. Une libéralité facilité par l'Union Européenne qui a annoncé mettre en place des dérogations exceptionnelles aux procédures d'aide aux entreprises en difficulté. « Nous devons atténuer les conséquences économiques de cette guerre et soutenir les entreprises et les secteurs durement touchés et agir de manière coordonnée », a déclaré la commissaire à la Concurrence, Margrethe Vestager. Le gouvernement accorde ainsi une aide qui  peut monter à 1 300 euros par tracteur routier, sur une enveloppe nationale de 400 M€. « C'est un coup de pouce en trésorerie», se félicite Olivier Arrigault qui souligne néanmoins que les marges de la profession sont très faibles (1,5% en moyenne) et que le décalage dans le temps de la répercussion des hausses laisse un delta à la charge des transporteurs.

L'impact de la guerre et des sanctions dans la durée reste donc un gros point d'interrogation.
Le secteur de la pêche, des 850 marins pêcheurs de la région, et de l'écosystème des produits de la mer à Boulogne (5000 emplois) est dans une situation très proche du fait de l'envolée des prix des carburants (+ 50% en un an). Avant même la guerre, la viabilité des entreprises devenait problématique, suscitant une intervention inquiète de Xavier Bertrand auprès du Premier ministre. «Cette hausse fait peser une menace économique considérable sur les entreprises de pêche qui sont littéralement étouffées, ainsi que sur le salaire des pêcheurs, indexé sur le coût du carburant dans une logique de rémunération à la part», relevait le président de Région évoquant une filière déjà fragilisée par le Brexit et la Covid. Là encore, l'Etat a apporté une réponse rapide, à savoir uneaide de 35 centimes par litre de gazole jusqu'au 31 juilet prochain.

« Degré élevé de résilience »

De manière générale, l'invasion de l'Ukraine demeurait encore fin mars un choc économique limité dans notre région. «Une première étude en cours sur le moral des chefs d'entreprises montre qu'il n'est pas si mauvais que cela », révèle Philippe Hourdain, président de la CCI Hauts-de-France. L'élu consulaire veut y voir un degré élevé de résilience après les crises successives du Brexit et de la Covid. «Les chefs d'entreprise sont tous impactés, spécialement celles qui produisent. Et ce qui les inquiète le plus, c'est l'inflation, y compris avec les charges salariales. Mais il n'y a pas de découragement, et au contraire un esprit de résilience hyper fort que je ne sentais pas il y a deux ans ».

 

 

 

 

 

 

Ces articles peuvent également vous intéresser :

L’e-Megane est produite sur la plateforme de Douai depuis fin 2021, supervisée par le pôle Electricity de Renault. Celui-ci ambitionne 400 000 véhicules 100% électrique d’ici 2025.
Publié le 25/02/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Automobile : la révolution électrique à marche forcée

Entre pénurie de semi-conducteurs, hausses des matières premières, perturbations de la crise sanitaire et ambition européenne de stopper le thermique dès 2035, le défi est énorme. Notre filière régionale s'y prépare. Où va l'automobile régionale ? Notre enquête.

Publié le 25/02/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Didier Leroy : “Pour une mobilité pour tous, il faut être multi-technologies"

L'ex numéro 2 de Toyota, conseiller personnel de son Pdg Akio Toyoda, a une vision mondiale des tendances lourdes de l'industrie automobile. Pour lui, le choix du 100% électrique recèle de gros dangers. Entretien.

“On ne passe pas du thermique à l'électrique et au software juste d'un claquement de doigts ” Jean-Dominique Senard
Publié le 25/02/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Jean-Dominique Senard : « Sans anticipation, nous préparons des complexités sociales inextricables !

Le président de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi était l'invité de l'Agora à l'Edhec de Roubaix début février. L'occasion pour ce grand capitaine d'industrie de poser calmement mais sans fard les enjeux d'une filière sommée par les politiques d'opérer une mutation sans précédent.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Interview Mathias Povse (EDF) : "La neutralité carbone est accessible en 2050!"

L'opérateur historique de l'électricité est aux premières loges des changements de modèle énergétique, alors que l’Etat vient de lui demander un effort de 8 Mds€ pour alléger le choc de la flambée des prix. Nous avons souhaité interroger son délégué régional Mathias Povse sur ces mouvements telluriques qui vont transformer notre économie. Entretien.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Les prix de l'énergie plombent nos industriels

Le ministère de l'industrie vient de jouer les pompiers en ouvrant davantage le robinet bon marché de l'électricité nucléaire, au grand dam d'EDF. Les électro-intensifs demeurent très affectés, tandis que les coûts de l'énergie grignotent les marges de toutes nos entreprises.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

« Faire du Dunkerquois un hub de la décarbonation »

L'interview de RafaeL Ponce, directeur général d'Euraénergie et DGA de la communauté urbaine de Dunkerque

Ci dessus le démonstrateur Energo testé dans une ferme près de Compiègne
Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Deux exemples de start up de l'énergie : Hydrogenis et Energo

Energo veut révolutionner l'énergie avec le plasma catalytique; Hydrogenis a mis au point une solution de production sans électricité d’hydrogène sans CO2. Avec à la clé, la promesse d’un coût de production et d'un rendement compétitifs.

Le projet DMX visant à capter le CO2 associe une dizaine d'industriels, sur le site d'ArcelorMittal Dunkerque. Crédit ArcelorMittal France
Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

28 ans pour décarboner les Hauts-de-France

2050 est la nouvelle frontière des experts du climat pour éviter l'emballement de la température terrestre. Atteindre la neutralité carbone à cette échéance est un défi colossal. Chez nous encore plus, avec une économie très carbonée, entre Arcelor, les « électro-intensifs », les transports, les logements, dans une région très peuplée. Derrière le trop médiatique véhicule électrique, une révolution plus importante est en route sur les procédés industriels et le grand remplacement énergétique. La région fourbit ses armes.

Ici les laboratoires GSK, à Saint Amand, ont annoncé la production d’adjuvant pandémique, qui permettra la création de 100 nouveaux emplois.
Publié le 29/11/2021 Julie Kiavué et Guillaume Roussange Grand Angle

Réindustrialisation : Focus sur trois filières régionales

En région, la santé, l'agroalimentaire et le textile font partie des secteurs qui additionnent les projets de réindustrialisation ou d'extension de capacité de production. Avec des annonces d'investissements colossaux et des emplois à la clé. Tour d'horizon.

Denis Dauchy, professeur en stratégie d'entreprise et directeur de l'executive MBA de l'Edhec.
Publié le 29/11/2021 Julie Kiavué Grand Angle

Denis Dauchy (Edhec) : “On ne retrouvera pas la structure d’emploi d’il y a 30 ans”

Néo-industrie, investissements, filières émergeantes... le professeur en stratégie d'entreprise et directeur de l'executive MBA de l'Edhec livre son regard sur le mouvement de réindustrialisation en région Hauts-de-France.