Automobile : la révolution électrique à marche forcée

L’e-Megane est produite sur la plateforme de Douai depuis fin 2021, supervisée par le pôle Electricity de Renault. Celui-ci ambitionne 400 000 véhicules 100% électrique d’ici 2025. L’e-Megane est produite sur la plateforme de Douai depuis fin 2021, supervisée par le pôle Electricity de Renault. Celui-ci ambitionne 400 000 véhicules 100% électrique d’ici 2025.

Gros temps pour l'industrie automobile. Entre pénurie de semi-conducteurs, hausses des matières premières, perturbations de la crise sanitaire et ambition européenne de stopper le thermique dès 2035, le défi est énorme. Notre filière régionale s'y prépare, avec de gros atouts dans son jeu, un écosystème très dense et un tropisme déjà fort dans l'électrique. Où va l'automobile régionale ? Notre enquête. 

Le réservoir de l'industrie automobile des Hauts-de-France est-il à moitié vide ou à moitié plein ? Trois méga-usines de batteries vont s'implanter chez nous, dont la dernière, Verkor, à Dunkerque, posant les bases d'une vraie «vallée de la batterie». Renault, qui fut longtemps un pionnier de l'électrique, reprend aujourd'hui cette stratégie depuis les Hauts-de-France, sous l'égide de Renault Electricity, regroupant les usines de Douai, Maubeuge et Ruitz. L'usine Valeo d'Amiens investit lourdement.

Mais en parallèle, l'emploi fond dans les activités traditionnelles et la production dégringole. Une enquête menée par l'ARIA (industrie automobile régionale) il y a quelques mois confirmait une inquiétude grandissante chez les acteurs régionaux, les trois quarts se disant impactés fortement ou très fortement par la crise actuelle. Une étude nationale de la Plateforme automobile PFA (fin 2021) chiffre à 100 000 le nombre d'emplois menacés par la fin annoncée du moteur thermique. « Ce scénario tendanciel ferait sortir la France des grandes nations de la construction automobile, y compris au seul niveau européen », analyse-t-elle sans ambage.

Industrie en souffrance

Jamais cette filière essentielle de notre économie n'a été confrontée à tant d'enjeux critiques au même moment. Contrecoups de la crise de la Covid avec de graves pénuries de composants électroniques, flambée des prix des matières premières, dépendance européenne vis à vis de la Chine, transformation en profondeur de la mobilité, bascule vers l'électrique à marche forcée, crise de pouvoir d'achat des consommateurs et envol des prix de l'essence... Résultat, l'industrie automobile est en souffrance. La France, qui produisait 3,7 millions de véhicules par an en 2005, est tombée à 1,4 million d'unités en 2020. « Le point bas touché est inquiétant car il est bien plus bas que le point bas post crise fin 2008-2009», analyse Nicolas Nowicki, directeur conseil pour l'automobile chez KPMG, auteur d'une étude approfondie pour l'ARIA. Ce n'est pas sans conséquence dans la première région automobile française, les Hauts-de-France pesant 30% de la production nationale. Ce sont 50 000 salariés répartis dans tous les territoires de la région, depuis la production d'acier plat chez ArcelorMittal à la production de boîtes de vitesses à Ruitz ou à Valenciennes, en passant par la fabrication de moteurs thermiques à la Française de Mécanique et un grand nombre d'équipementiers, qu'il s'agisse de sellerie (fauteuils), de pare-brise et des vitres, ou des pièces sous capot, par exemple. Tout un écosystème très déstabilisé par les enjeux du moment.

Vitesse ou précipitation ?

Car il faut les surmonter à un rythme effréné. « La façon dont nous sommes passés du tout diesel au zéro diesel est exactement le modèle de ce qu'il ne faut pas faire. C'est à dire qu'on l'a fait avec une certaine brutalité réglementaire sans analyse d'impact réellement solide et on a totalement sous-estimé les conséquences que cela allait avoir à relativement court terme », a lâché Jean-Dominique Senard, le président de l'alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, devant l'Agora de l'Edhec à Roubaix, courant février (lire p.18). Des propos en résonance avec ceux de son homologue de Stellantis Carlos Tavares. Dans une interview retentissante dans les Echos du 18 janvier, il évoquait un risque social majeur. « Il est évident que si on interdit, comme cela a été décidé, la vente de véhicules thermiques à partir de 2035 en Europe, il va falloir commencer à transformer toutes les usines très rapidement. Nous, chez Stellantis, nous avons déjà commencé à prendre ce virage. Sans transition progressive, les conséquences sociales seront majeures. Mais nous ne sommes pas seuls. Nous avons tout un écosystème de sous-traitants autour de nous. Il va falloir qu'ils bougent aussi rapidement que nous. C'est la brutalité du changement qui crée le risque social. »

6 Mds € d’investissements

Face à ces défis historiques, la région a cependant de gros atouts. D'abord c'est dans les Hauts-de-France que les trois premières « gigafactories » françaises vont s'implanter. ACC (Stellantis-Total-Mercedes) a  ouvert le bal, à Douvrin, sur le lieu symbolique de la Française de Mécanique, fabricant historique de moteurs thermiques, suivi d'Envision à Douai et désormais de Verkor à Dunkerque, les deux derniers sites devant alimenter Renault qui a fait de la région sa base mondiale pour les véhicules électriques, sous la direction de Luciano Biondo. Ces trois projets totalisent près de 6 milliards d'euros d'investissement et vont susciter à l'évidence de nouveaux marchés auprès de prestataires et sous-traitants. Ils vont aussi générer 6 à 8 000 emplois. Les projets doivent du reste recevoir des aides considérables des collectivités territoriales. Il faut aussi compter sur un potentiel de relocalisations, grâce à la montée des coûts en Asie et des transports maritimes, mais aussi à l'impact du bilan carbone.

Le climat est donc à la grande vigilance plus qu'au défaitisme. D'autant que notre tissu économique est très dense, avec des acteurs bien organisés. « On a un écosystème régional disponible avec des atouts très forts », souligne Bertrand Delzenne dirigeant de l'équipementier Delzen à Douvrin, et trésorier de l'ARIA, citant notamment Transalley ou Valutec à Valenciennes, le Critt M2A à Bruay-la-Buissière ou encore le Crepim (centre sur le feu) et le CETIM (métallurgie). « Il y a un alignement de planètes, un dispositif pour utiliser notre écosystème à fond, et des possibilités de financer des structures de R & D ». De quoi affronter collectivement les défis, même si la solidarité n'est pas le point fort de la relation constructeurs - sous-traitants, comme l'avait pointé sans fard le ministre de l'économie Bruno Le Maire. L'Etat a lui-même mis la main au portefeuille à travers France Relance, dont nombre d'équipementiers ont pu bénéficier. 

Besoin en fonds de roulement

Mais dans un contexte où le moteur thermique compte cinq à six fois plus de pièces que son équivalent électrique, le nouveau grand mot est « chaîne de valeur ». Les industriels doivent se positionner sur les nouveaux produits, se diversifier, se mobiliser collectivement. « On doit créer de nouvelles structures pour prendre des marchés en grappe », lance Bertrand Delzenne dont l'entreprise se positionne sur la fabrication de produits en « multiprocess ».

Le champ «Ecosystème et collaboration» est du reste le premier chantier de la feuille de route stratégique dessinée par l'étude KPMG à la filière automobile régionale. La deuxième piste est celle de l'innovation, afin de positionner notre région sur les technologies de rupture, pour ne pas rater les virages stratégiques. Troisième axe, martelé d'ailleurs par tous les acteurs eux-mêmes, l'anticipation des besoins humains et des compétences, avec la nécessité impérieuse de plans de formation ad hoc. Enfin, KPMG suggère aussi un travail d'attractivité et de communication, pour renforcer la compétitivité régionale. Il restera une difficulté peu évoquée à ce jour, celle de la reprise. Après les creux de production historiques décrits plus hauts, la remontée en régime ne sera pas sans conséquences sur des trésoreries déjà très tendues, avec des besoins en fonds de roulement qui vont s'envoler. Il faudra donc sécuriser aussi bien les capacités financières de court terme mais aussi la capacité à investir. « Il faut qu'on soit agiles, qu'on garde de la réserve d'endettement pour la capacité à investir pour prendre certains trains en marche », décrit Bertrand Delzenne. Une belle quadrature du cercle.

A lire aussi : 

Didier Leroy : "Pour une mobilité pour tous, il faut être multi-technologies"

Valeo Amiens mobilise 80 M€ pour de nouvelles générations d'embrayages

Batteries : Verkor injecte 2,5 mds € à Dunkerque 

Jean-Dominique Sénard : "Sans anticipation, nous préparons des complexités sociales inextricables"

Toyota Yaris : La voiture la plus produite en France 

C'est à Onnaing, dans sa seule usine française que Toyota fabrique depuis 21 ans la Yaris. Un succès qui ne se dément pas au fil des nouvelles générations de cette petite citadine. L'an dernier, la Yaris (4e génération, élue voiture européenne de l'année ) a été le modèle le plus produit sur le sol national, à raison de 154 464 véhicules. Le modèle hybride est le plus recherché par les clients français, avec 33 000 immatriculations au compteur. Le marché français est le premier pour l'usine valenciennoise (18%) devant les marchés italien et britannique. En 2021, l’hybride a représenté 20% des voitures vendues par Toyota dans le monde.

Ces articles peuvent également vous intéresser :

Publié le 25/02/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Didier Leroy : “Pour une mobilité pour tous, il faut être multi-technologies"

L'ex numéro 2 de Toyota, conseiller personnel de son Pdg Akio Toyoda, a une vision mondiale des tendances lourdes de l'industrie automobile. Pour lui, le choix du 100% électrique recèle de gros dangers. Entretien.

“On ne passe pas du thermique à l'électrique et au software juste d'un claquement de doigts ” Jean-Dominique Senard
Publié le 25/02/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Jean-Dominique Senard : « Sans anticipation, nous préparons des complexités sociales inextricables !

Le président de l'Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi était l'invité de l'Agora à l'Edhec de Roubaix début février. L'occasion pour ce grand capitaine d'industrie de poser calmement mais sans fard les enjeux d'une filière sommée par les politiques d'opérer une mutation sans précédent.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Interview Mathias Povse (EDF) : "La neutralité carbone est accessible en 2050!"

L'opérateur historique de l'électricité est aux premières loges des changements de modèle énergétique, alors que l’Etat vient de lui demander un effort de 8 Mds€ pour alléger le choc de la flambée des prix. Nous avons souhaité interroger son délégué régional Mathias Povse sur ces mouvements telluriques qui vont transformer notre économie. Entretien.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Les prix de l'énergie plombent nos industriels

Le ministère de l'industrie vient de jouer les pompiers en ouvrant davantage le robinet bon marché de l'électricité nucléaire, au grand dam d'EDF. Les électro-intensifs demeurent très affectés, tandis que les coûts de l'énergie grignotent les marges de toutes nos entreprises.

Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

« Faire du Dunkerquois un hub de la décarbonation »

L'interview de RafaeL Ponce, directeur général d'Euraénergie et DGA de la communauté urbaine de Dunkerque

Ci dessus le démonstrateur Energo testé dans une ferme près de Compiègne
Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Deux exemples de start up de l'énergie : Hydrogenis et Energo

Energo veut révolutionner l'énergie avec le plasma catalytique; Hydrogenis a mis au point une solution de production sans électricité d’hydrogène sans CO2. Avec à la clé, la promesse d’un coût de production et d'un rendement compétitifs.

Le projet DMX visant à capter le CO2 associe une dizaine d'industriels, sur le site d'ArcelorMittal Dunkerque. Crédit ArcelorMittal France
Publié le 27/01/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

28 ans pour décarboner les Hauts-de-France

2050 est la nouvelle frontière des experts du climat pour éviter l'emballement de la température terrestre. Atteindre la neutralité carbone à cette échéance est un défi colossal. Chez nous encore plus, avec une économie très carbonée, entre Arcelor, les « électro-intensifs », les transports, les logements, dans une région très peuplée. Derrière le trop médiatique véhicule électrique, une révolution plus importante est en route sur les procédés industriels et le grand remplacement énergétique. La région fourbit ses armes.

Ici les laboratoires GSK, à Saint Amand, ont annoncé la production d’adjuvant pandémique, qui permettra la création de 100 nouveaux emplois.
Publié le 29/11/2021 Julie Kiavué et Guillaume Roussange Grand Angle

Réindustrialisation : Focus sur trois filières régionales

En région, la santé, l'agroalimentaire et le textile font partie des secteurs qui additionnent les projets de réindustrialisation ou d'extension de capacité de production. Avec des annonces d'investissements colossaux et des emplois à la clé. Tour d'horizon.

Denis Dauchy, professeur en stratégie d'entreprise et directeur de l'executive MBA de l'Edhec.
Publié le 29/11/2021 Julie Kiavué Grand Angle

Denis Dauchy (Edhec) : “On ne retrouvera pas la structure d’emploi d’il y a 30 ans”

Néo-industrie, investissements, filières émergeantes... le professeur en stratégie d'entreprise et directeur de l'executive MBA de l'Edhec livre son regard sur le mouvement de réindustrialisation en région Hauts-de-France.

Publié le 26/11/2021 Olivier Ducuing Grand Angle

Perrine Gilbert et Jean Dumont : "On est impatients d'y être !"

Société Générale et Crédit du Nord vont fusionner leurs réseaux en 2023. Eco121 a souhaité savoir où en était ce projet qui va modifier sensiblement le paysage bancaire régional. Entretien avec Perrine Gilbert, déléguée régionale de Société Générale et Jean Dumont, directeur régional du Crédit du Nord.

Tags: