La Catho, une vieille dame en pleine mutation

Ces dix dernières années, la première Catho de France a vu ses effectifs étudiants grimper de 66%. Ses différentes structures multiplient les plans stratégiques ambitieux. Le tout accompagné de programmes immobiliers majeurs, qui totalisent 600 M€ dans le seul quartier Vauban. Pourquoi cette réussite insolente ? Où va la Catho ? Notre enquête.

La ville de Lille vient de renoncer il y a quelques semaines, après consultation de la population, à la remise en eau de l'avenue du Peuple belge, à l'orée du Vieux-Lille. Un projet à 60 M€ auquel a finalement été préférée la création d'un plus modeste parc urbain. Les esprits se sont enflammés autour de cette perspective surmédiatisée pour laquelle les milieux économiques avaient unanimement penché pour le scénario le plus ambitieux. Pourtant, beaucoup plus discrètement, c'est une révolution à bas bruit qui est en train de transformer, à quelques encablures, tout le quartier Vauban. Pour un montant total de 550 à 600 M€, dix fois plus !

Les engins de chantier, les périmètres de travaux, le bâchage de bâtiments se multiplient partout : le Palais Rameau, en cours de transformation en un démonstrateur en grandeur réelle de l'agriculture de demain, sous l'égide de l'école JUNIA (regroupement ISA-ISEN-HEI) ; cette école est elle-même engagée dans la reconstruction à grande échelle de son campus, qui a d'ailleurs entraîné la démolition de la chapelle Saint-Joseph en février 2021. Le plan d'investissement de l'école approche les 150 M€ sur cinq ans, et permettra notamment de concentrer sur quatre sites l'école qui était dispersée sur 12 localisations.

« L'enseignement supérieur devient une industrie », souligne son directeur Thierry Occre, pour qui l'alliance des trois écoles est un atout majeur pour demain. « Les solutions se trouvent dans l'interdisciplinaire », estime-t-il.

Non loin de là, le village IESEG est en pleins travaux. L'école de management lance tout juste son plan stratégique 2022-2027 : au programme, entre autres, l'extension des campus, tant à Lille qu'à la Défense, de 34 000 m2 aujourd'hui à 50 000 m2, en vue d'accueillir 2 000 étudiants de plus d'ici cinq ans.  Son budget suivra, pour passer de 83 à 120 M€ ; ailleurs, l'ESPOL, l'école de sciences politique de Lille lancée il y a dix ans par la Catho, s'offre un nouveau bâtiment de 5 500 m2, qui doit être opérationnel pour la rentrée 2022-2023.

Un acteur économique majeur de 7 000 salariés

Ce bouillonnement immobilier est la concrétisation physique du succès spectaculaire de la première Catho de France, loin devant celles de Paris, Angers, Lyon et Toulouse. Les chiffres sont édifiants : en avril 2011, lorsque Eco121 avait interviewé l'ancien président-recteur Thérèse Lebrun, la fédération nordiste pesait déjà 23 000 étudiants. En 2022, la Catho lilloise en compte pas moins de 38 500 via ses 20 écoles et instituts, ses 5 facultés, mais aussi son groupe hospitalier et ses Ehpad. Soit pas moins de 7 000 salariés, pour moitié dans le médico-social, moitié dans le pôle enseignement : la Catho est une vieille dame devenue un acteur économique considérable, et dont le poids ne cesse de grandir, au gré des plans stratégiques de ses établissements.

« Cela n’a pas beaucoup de sens pour nous de consolider les budgets de tous nos établissements car chacun dispose d’une autonomie de fonctionnement, d’un budget, d’un Conseil d’administration. Ceci dit, si on faisait l’exercice, on totaliserait 700 M€ de budget de fonctionnement annuel à parts égales entre l’enseignement et le médico-social », glisse Patrick Scauflaire, président-recteur de la Catho depuis deux ans (lire interview p20-21). Les écoles, toutes indépendantes les unes des autres, se développent dans un environnement ultra-concurrentiel. Depuis quelques années, les fusions, les regroupements, les extensions de périmètre – comme l'ICAM qui vient d'agréger l'ECAM de Strasbourg il y a quelques jours - mais aussi la digitalisation et la dimension internationale sont des tendances de fond.

« Les enjeux sont internationaux aujourd'hui. On rentre dans une industrialisation mondiale de ce secteur, il faut être agile, et ne pas s'endormir sur ses lauriers, faire évoluer l'enseignement et la pédagogie. On ne doit pas devenir les 3 Suisses de l'enseignement supérieur !», lâche Amaury Flotat, chef d'entreprise et président de JUNIA.

Résultat : les écoles de la Catho sont devenues aussi un puissant vecteur d'attractivité internationale : pas moins de 5 600 étudiants viennent des quatre coins de la planète tandis que les étudiants de la Catho vont eux-mêmes bien souvent affiner leur cursus dans quelque école ou université étrangère.

La Catho fait partie des universités en région ayant le plus grand nombre d’étudiants à l’étranger, souligne son président-recteur. Ses différents établissements ont noué des partenariats avec plus de 500 universités de par le monde, quand ils n'ont pas développé leurs propres campus ou leurs antennes comme l'EDHEC à Londres ou Singapour. La crise de la Covid a bien secoué ce modèle mais il revient aujourd'hui en vogue, ajusté à la mode du durable et du décarboné.

Valeurs assumées

Car les établissements de la Catho se veulent aussi à l'écoute de leur temps et, mieux, acteurs des changements. « Nous avons la mission de former des managers du changement, inspirants, multiculturels et éthiques » , pointe Caroline Roussel, nouvelle directrice générale de l'IESEG, qui note les enjeux majeurs auxquels ces derniers seront confrontés : les défis écologique, social et économique, les trois piliers de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Avec un leitmotiv qui traverse les différentes écoles : la transversalité. « Je n'ai pas vu un endroit où on développe un tel niveau d'interdisciplinaire. Ici, on a cassé les silos », se félicite Jean-Philippe Ammeux, prédécesseur de Caroline Roussel.

De son côté, l’EDHEC poursuit sa stratégie « Research for Business » et mobilise ses compétences en recherche au service d'une finance verte et responsable. L’établissement crée l’EDHEC-Risk Climate Impact Institute (ERCII), avec l’ambition de faire de ce nouveau centre de recherche une référence académique pour l'accompagnement des investisseurs dans leur transition bas carbone. L'EDHEC investit 20 M€ sur cinq ans dans ce projet.

La Catho est allée plus loin depuis deux ans, en mettant en place un cursus renouvelé d'humanités, sur une année. La « Wikifactory » s'interroge sur les problématiques actuelles, entre prospective et éthique. Une initiative qui résonne aussi avec Ecoposs, la démarche de la Catho inspirée par l'ancien président recteur Pierre Giorgini pour imaginer, avec tous les acteurs de la société, les futurs souhaitables. Avec en point d'orgue, annoncée fin octobre prochain, la première biennale des rencontres Ecoposs à Lille. De quoi tracer la voie. Et placer la Catho comme un acteur incontournable de la réflexion sur notre futur collectif.

 

A lire aussi : Ecole-Entreprise : le modèle fructueux de l'ICAM

Deux formations pour comprendre et analyser le monde

Patrick Scauflaire : "Nous formons des jeunes qui peuvent avoir un impact demain"

 

 

Médico-social : Un pôle majeur dans le parcours de soins lillois

Le secteur médico-social est une composante méconnue mais importante de la Catho. C'est d’ailleurs la seule des « Cathos » a gérer des établissements de soins. A travers le Groupement des hôpitaux de l’Institut catholique de Lille (GHICL), elle est aux manettes de 5 Ehpad et 3 hôpitaux : Saint-Philibert (Lomme), Saint-Vincent-de-Paul (Lille) et Sainte-Marie (Cambrai). Soit 1 700 lits, 95 000 hospitalisations et 160 000 consultations annuelles. Le GHICL emploie la moitié des effectifs de la Catho, 3 300 salariés pour 300 M€ de chiffre d’affaires. « Pour donner une ordre de grandeur, nous sommes 4 fois plus petits que le CHU de Lille. Donc un bel ensemble mais à taille humaine ! », indique Laurent Delaby, Dg du GHICL depuis 30 ans.

Malgré la pandémie, traversée avec des finances à l’équilibre, le pôle santé a maintenu ses projets. En 2020, il a ouvert son tout premier centre de santé en périphérie de Lille, à Herlies. Mais aussi lancé les travaux pour quatre ans de modernisation et d’extension de l’hôpital Saint-Philibert. L’historique, livré en 1977 et hautement énergivore, fera progressivement peau neuve. De nouveaux bâtiments abritent déjà l’accueil général, les urgences, 16 blocs opératoires dernier cri ainsi qu’un plateau technique. « Ce projet pèse 70 M€. Pour nous, ce n’est pas une petite somme. Nos investissements sont réalisés avec beaucoup de prudence car notre statut d’acteur privé à but non lucratif nous interdit d’être en déficit, confie Laurent Delaby. Nous serons très attentifs au coût des prochains chantiers ». En perspective, l’extension de Saint-Vincent-de-Paul, encore en cours de formalisation. 

 

Ces articles peuvent également vous intéresser :

Guillaume Poitrinal, président de la Fondation du Patrimoine. Crédit Jean-Baptiste Guiton
Publié le 30/05/2022 Julie Kiavué Grand Angle

Guillaume Poitrinal (Fondation du Patrimoine) : "Notre patrimoine est notre identité"

Restauration, financements, mécénats... le président de la Fondation du Patrimoine Guillaume Poitrinal se confie sur l'importance de la préservation de notre patrimoine régional. Entretien.

Publié le 26/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

«La recherche de mécènes constitue un travail chronophage»

Le propriétaire du château d'Esquelbecq, Johan Tamer, nous explique comment il résout l'équation financière

Publié le 26/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

Ambleteuse, bientôt au patrimoine mondial de l'Unesco ?

Le dernier fort construit par Vauban sur la Côte d'Opale a accueilli 6 000 visiteurs en 2019.

Le site pourrait drainer quelque 200 000 visiteurs par an, espèrent les promoteurs du projet.
Publié le 26/05/2022 Guillaume Roussange Grand Angle

La Cité de la langue française, un projet culturel mais aussi économique

Au terme d'un investissement considérable de 185 M€, le château de Villers-Cotterêts va accueillir la Cité internationale de la langue française. Un projet culturel stratégique pour le pays et majeur pour l'attractivité touristique du sud de l'Aisne.

Publié le 25/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

80 M€ pour muer l'abbaye Saint-Vaast en phare culturel et patrimonial

La ville d'Arras a retenu la formule d'un partenariat public privé (PPP) face aux enjeux financiers énormes de la restauration de cet ensemble historique de 20 000 m2 en hypercentre.

Le château d'Esquelbecq, près de Dunkerque, construit entre 1590 et 1610
Publié le 25/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

Rayonnement culturel : Notre patrimoine est-il en péril ?

Alors que les Hauts-de-France recèlent un patrimoine riche et diversifié, sa préservation apparaît comme un enjeu de plus en plus impérieux du fait de sa valeur historique et sociale, mais aussi de son potentiel économique. De quoi notamment inciter les pouvoirs publics à mettre en œuvre des politiques volontaristes dans ce domaine

Publié le 02/05/2022 Julie Kiavué Grand Angle

Etienne Vervaecke : "En terme de soutien à la filière santé, il n'y a pas d'équivalent en France"

Investissements, innovation, accompagnement... la filière santé est particulièrement dynamique depuis le début de la pandémie. Entretien avec Etienne Vervaecke, directeur général du pôle d'excellence Eurasanté.

Publié le 02/05/2022 Olivier Ducuing, Julie Kiavué et Guillaume Roussange Grand Angle

Dossier santé : 10 projets régionaux qui vont révolutionner la santé de demain

Qui sait que plusieurs avancées majeures pour la santé humaine mitonnent dans les labos et biotechs des Hauts-de-France ? Eco121 a choisi de mettre en lumière ces structures qui, dans l'ombre et les difficultés propres à ces recherches et développements au temps souvent très long, vont apporter des bénéfices parfois considérables à la condition humaine. Découverte.

Ici un entrepôt mis à disposition à Dourges par Simastock (groupe Bils-Deroo)
Publié le 28/03/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Mobilisation exceptionnelle- Questions au consul d'Ukraine à Lille

La CCI appuyée par le conseil régional coordonne une collecte très large auprès des entreprises régionales, dans 7 entrepôts sur tout le territoire des Hauts-de-France avant de les acheminer à la frontière ukraino-polonaise.

Leroy Merlin a déjà payé un lourd tribut à travers le bombardement d'un magasin à Kiev le 20 mars dernier. Les principales enseignes de l'AFM comptent 90 000 salariés et plus de 400 magasins entre l'Ukraine et la Russie
Publié le 28/03/2022 Olivier Ducuing Grand Angle

Ukraine-Russie : un impact global limité, mais fort pour quelques entreprises

Peu d'entreprises des Hauts-de-France commercent avec la Russie ou l'Ukraine. Mais certaines très fortement, à commencer par les enseignes majeures de la famille Mulliez.