Bio en Hauts-de-France - Olivier Dauger : "Il ne faut pas baisser les bras sur la bio !”

Nous connaissons depuis cet été une sécheresse sans précédent. Comment impacte-t-elle notre agriculture en région ?

La moisson n’a pas été mauvaise, nous avons réussi à sauver les meubles. En revanche, les cultures d’automne, la betterave ou encore le maïs, ne seront pas bonnes du tout. Une question se pose aussi sur les semis, exemple de colza. Certains agriculteurs ne veulent pas planter leurs semis car il y a un risque que rien ne se pousse à cause de la sécheresse et les fortes chaleurs actuelles. Les sols sont inadaptés en ce moment pour les semis. Côté éle- veurs, il n’y aura pas de coupes de foin à la période habituelle, à savoir septembre - octobre. Pour nourrir leurs animaux, notamment les bovins, les éleveurs vont devoir toucher à leurs réserves plus tôt que prévu. En résumé, la situation ne va pas en s’améliorant. Et 2 à 3 mm d’eau de pluie ne serviraient à rien car insuffisants pour entrer assez en profondeur dans les terres. Il faudrait au moins 50 mm pour observer une amélioration.

Vous présidez la Chambre régionale d’agriculture depuis 2019. Quelles sont les priorités de votre mandat ?

L’une d’elles est étroitement liée à mes mis- sions à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) au national : les conséquences du climat pour les agriculteurs. On dit toujours que l’agriculture est victime ou cause du réchauffement climatique. Elle est à ciel ouvert et subit de plein fouet les incidents climatiques, les canicules, les inondations et le gel. Mais elle peut aussi être une solution. L’agriculture est par exemple en mesure de capter du carbone, de produire du carbone renouvelable pour remplacer en partie le carbone fossile. Tout l’objectif est donc de travailler sur les systèmes agricoles afin qu’ils soient plus résilients. Il ne faut pas se leurrer, on ne résoudra pas tous les problèmes. Mais on peut faire en sorte que l’agriculture puisse mieux passer le cap lorsque la météo n’est pas au beau fixe. A terme, notre mission est d’accompagner toutes les filières agricoles vers cette réflexion du sol.

Concrètement, comment cela se traduit ?

Il ne peut pas y avoir une évolution des agriculteurs sans évolution du marché. On essaie de convaincre l’ensemble des acteurs qu’il n’y a pas qu’une solution unique. On travaille sur les potentielles évolutions vertueuses que l’on pourrait mettre en place pour notre industrie. Notre rôle est aussi de convaincre le plus grand nombre que même dans nos régions du Nord, les impacts du réchauffement climatique sont graves. Qu’il faut s’imaginer avec 2 ou 3°C de plus en 2040. Ce qui est énorme ! Est-ce qu’on continue à produire les mêmes cultures ? D’ici 20 ou 30 ans, on aura très certainement, en Hauts-de-France, des cultures qu’on ne connaît pas encore aujourd’hui. On travaille également autour de l’eau, car sans elle il n’y a pas d’agriculture. Il y a un vrai sujet de fond et structurel de son utilisation. On réfléchit à des systèmes moins gourmands, de stockage ou de réutilisation. En parallèle avec une évolution vers des cultures ou des variétés plus adaptées au changement de climat. Par exemple, il existe des pommes de terre qui consomment moins d’eau que l’on pourrait produire en plus grande quantité. Le consommateur devra s’habituer à avoir demain des frites un peu différentes de celles de son cornet McDo ! En France, on a vécu pendant très longtemps avec de l’eau, de l’énergie et de la nourriture à volonté. Sauf qu’aujourd’hui, on rentre dans une période où tout cela coûtera de plus en plus cher.

La bio occupe 2,5% de la surface agricole utile régionale. Comment expliquer ce retard en Hauts- de-France ?

L’explication est simple, c’est facile de faire du bio dans les régions sèches où il y a moins de champignons. En Provence par exemple, beaucoup de vins rosés sont bio. A contrario, c’est plus compliqué de faire de la bio en Champagne-Ardenne où la prise de risque est plus importante.

Les régions sud-est ont démarré fort. Chez nous, on a démarré plus tard en raison de notre climat.

L’an dernier, il y a eu 143 nouvelles fermes bio en région. Comment la Chambre d’agriculture accompagne-t-elle ces conversions ?

Essentiellement dans le suivi technique car l’agriculture bio est une production très technique... si ce n’est la plus technique. Moins vous utilisez de produits chimiques extérieurs, plus vous devez être bons en agronomie. La nature, les parasites, les maladies évoluent au fil du temps. Donc la Chambre accompagne les agriculteurs là-dessus également. Avec des formations par exemple.

La transition en bio est longue et onéreuse. Les aides financières suffisent-elles pour soutenir les agriculteurs ?

Au vu de la crise actuelle et pour éviter que des agriculteurs ne stoppent leur conversion, je suis tout à fait d’accord pour un coup de pouce de l’Etat, pendant un ou deux ans, pour relancer et stabiliser l’activité des agriculteurs bio. En revanche, c’est un sujet sur lequel je reste assez mesuré. J’estime que toujours plus de subventions équivaut à toujours plus de perfusions. Et rester sous perfusion n’est jamais bon pour un malade ! De plus, quand vous avez des aides directes, malheureusement le marché les intègre. Que ce soit en bio ou en conventionnel. C’est-à-dire que lors des négociations avec les industriels ou les grandes surfaces, ceux-ci n’hésitent pas à mettre sur la table ces quelques euros par hectare. Pour eux, ces subventions font partie de nos revenus et ils les déduisent du prix de vente des produits. Les agriculteurs ont certes plus d’aides, mais ils vendent moins cher... Produire c’est bien, mais vendre, c’est quand  même mieux. Donc pour moi, une agriculture bio ultra-subventionnée, c’est non ! L’argent public, il y en a de moins en moins. Donc il ne suffira pas pour monter en puissance. Structurellement, il faut apprendre à vivre sans et, surtout, apprendre à vendre au prix juste pour vivre correctement.

A lire aussi : Enquête Bio en Hauts-de-France - Après les années fastes, les vaches maigres ?

La bio est en déclin en grande distribution. Quelles sont les relations des agriculteurs avec ce secteur ?

Les agriculteurs bio historiques sont présents en grande surface, mais aussi chez les restaurateurs, en circuit court et ce depuis 20 ou 25 ans. Ils ont développé leur marché et sont moins dépendants de la grande distribution. En revanche, pour ceux qui se sont lancés dans la bio en tant qu’entrepreneurs, car il y avait à l’époque un marché en plein boom, c’est compliqué aujourd’hui. Car ils sont en lien direct avec la grande surface dont ils sont très dépendants.

Pour la grande distribution, moins c’est cher, mieux c’est. La bio ou le local en tête de gondole, c’est pour se donner une image. La preuve, la bio bat de l’aile aujourd’hui et voilà que la surface des rayons bio diminue... Alors qu’il y a quelques années, ces grandes enseignes se disaient pro bio et engagées pour la planète.

Pour autant, je pense qu’il ne faut pas baisser les bras sur la bio et ne pas décourager les jeunes agriculteurs qui souhaitent se lancer. On devra les aider à trouver leur place en fonction de l’évolution du marché.

"Faire croire qu'on pourra baisser le prix de la bio est une aberration !"

La bio a connu une belle dynamique en pleine pandémie sur tous les canaux de distribution. Quel regard portez-vous sur le retournement de situation actuel ?

En effet, le soufflé est fortement retombé. A des niveaux parfois en dessous de 2019 pour certaines exploitations bio. Il y a un effet de pouvoir d’achat moins important, c’est un fait. C’est un problème structurel. Les ménages font des choix de consommation. L’alimentation n’est plus le premier et passe après les loisirs. Loisirs qui ont beaucoup manqué ces deux dernières années. Donc je ne blâme pas les consommateurs. Chez les agriculteurs, le coût de la main d’œuvre et de l’énergie augmentent, comme partout. C’est répercuté sur les prix de vente. Sauf que le consommateur était habitué à une alimentation moins chère et aujourd’hui il ne suit plus. Sauf que faire croire qu’on baissera le prix de la bio demain est une aberration !

Il y a aussi les effets négatifs de la sortie de la bio de sa niche d’antan. Il y avait un marché qui permettait de valoriser ces produits un peu plus que d’autres. Sauf qu’il y a eu un engouement général pour faire davantage de bio. Notamment dans la grande distribution, avec de gros volumes. C’est un monde de requins. Michel-Edouard Leclerc disait : « Je suis pour la bio mais au prix du conventionnel ». Ça veut tout dire... Comprenez, c’est la fin de la bio !

Il y a un travail à mener pour mieux communiquer sur tout l’intérêt du produit local, de saison. Bio ou pas, je n’oppose pas les deux. Chaque système a sa place, je ne fais pas de différence.

La loi EGalim promulguée en janvier vise 20% de bio en restauration collective cette année. On n’est qu’à 5 ou 6%. Où est-ce que ça coince ?

La restauration collective est un débouché évident pour la filière bio. Mais tout comme les consommateurs, ce secteur doit accepter de payer le prix de la bio. Vouloir maintenir des repas à 1,50€ avec des produits bio, ce n’est pas concevable. C’est même impossible, il ne faut pas rêver ! On a vu passer certains appels d’offres avec de la bio importée. Ça pose question puisqu’on sort de l’intérêt de produire de saison. Le deuxième point à corriger est l’acceptabilité des responsables de restauration. Ils sont généralement habitués à travailler des produits surgelés, coupés, préparés, prêts à réchauffer. Les produits bio impliquent un certain temps de préparation sur place. Les salariés ne seraient pas contre, mais encore faut il qu’ils aient le temps. N’est-ce pas le moment de réfléchir à l’ouverture de légumeries collectives par exemple ?

Quelle évolution voyez-vous pour notre filière bio régionale ?

Il faut des produits bons pour la planète, pour la santé et pour le portefeuille. Je pense qu’il faut une mixité de l’offre pour satisfaire tout le monde. Il ne faut pas croire qu’on ne fera que de la bio demain ! C’est impensable. Déjà, parce qu’elle ne répond pas à tous les enjeux climatiques. Ceux-ci imposent qu’on touche le moins possible à nos terres, grâce aux systèmes agricoles dits de couverts, qui évitent de trop retourner la terre. Or en agriculture biologique, surtout dans notre région, il faut régulièrement retourner et biner la terre, notamment pour le désherbage. Une des solutions peut être les robots. Ils réaliseraient les tâches ingrates. La bio est une agriculture très physique. Problème, la filière a elle aussi beaucoup de mal à recruter. Donc je crois beaucoup à l’arrivée nouvelles technologies dans les exploitations pour faciliter le quotidien des agriculteurs et aider la filière à se développer. C’est l’agriculture 4.0.

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