Bio en Hauts-de-France : après les années fastes, les vaches maigres ?

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Ventes en recul, fréquentation des magasins en berne, concurrence exacerbée des labels, le tout sur fond de contexte inflationniste plus qu’incertain... Après sa dynamique sans précédent en plein Covid, l’agriculture biologique semble s’embourber. Une remise en question pour notre filière régionale, désormais en quête d’un nouveau souffle.

Coup de chaud pour la petite fleur blanche sur fond vert. Après des années de croissance folle à deux chiffres, l’appétit des Français pour les produits bio se fait moins vorace. Selon l’Institut de Recherche et d’Innovation, les ventes nationales de l’alimentaire bio ont fléchi de 3,7% en 2021. Il est vrai que la hausse avait été spectaculaire un an plus tôt en plein Covid (+12,2%).

Nouvelles habitudes

Même constat en Hauts-de-France où les distributeurs font grise mine face à des ventes en net repli depuis un an et demi. Une première pour un secteur habitué depuis toujours à une croissance insolente. En pleine pandémie, la bio régionale affichait même des per- formances au plus haut, entre +20% et +25%. Gérard Batot, vice-président « alimentation grand public » du groupement Bio en Hauts-de-France, confirme : « nous avons connu un pic de fréquentation et de consommation inégalé pendant la pandémie ». Mais au printemps 2021, la chute est vertigineuse. Celui qui a parié sur la bio depuis plus de 30 ans, à la tête des Biocoop Vitavie de Cambrai et Saint-Quentin, déplore désormais une baisse de fréquentation de l’ordre de 10 à 15% dans ses points de vente. « Les grands convaincus de la bio ont maintenu leurs achats. En revanche, la filière avait réalisé l’essentiel de ses recrutements auprès des consommateurs occasionnels pendant la crise sanitaire. Ce sont ceux-là qu’on a perdus, explique-t-il. Ils ont pris de nouvelles habitudes d’achat et de consommation. Ils font très certainement partie de ceux qui voient leur pouvoir d’achat affaibli avec le contexte actuel ».

Une analyse que partage Harold Tiberghien, cogérant depuis cinq ans des Biocoop Saveurs et Saisons à Lille, Villeneuve d’Ascq et Bouvines (45 salariés). « La baisse des ventes de produits bio, et plus largement le marché de l’alimentation générale, est structurelle. L’inflation pousse les ménages à réorienter leur budget alimentaire, et la bio est l’une des victimes de ce changement d’habitude d’achat », estime-t-il. Avant de poursuivre : « les consommateurs réalisaient leurs achats alimentaires dans 6 ou 7 enseignes différentes avant la pandémie, contre 2 ou 3 aujourd’hui. Les spécialisées bio se sont malheureusement retrouvées en haut de la liste des sacrifiés ! » 

Restructuration de marché

« Il y a un vrai dérèglement sur le marché des distributeurs », observe Maxime Durand, cofondateur et Dg de la jeune pousse lilloise BioDemain. Sa société accompagne depuis 2018 les agriculteurs dans leur conversion bio. Côté enseignes spécialisées, « on compte beaucoup de petites structures, souvent mal optimisées, aux charges élevées qu’elles répercutent sur les prix ». Sur un marché hyper concurrentiel, ces Tpe-Pme de la distribution ne parviennent pas à pérenniser leur activité. Du pain bénit pour les marques aux reins plus solides — telles Naturalia ou Bio c’Bon, adossé au groupe Carrefour depuis deux ans — qui n’hésitent pas à étendre leur maillage en rachetant les plus fragiles. « C’est une restructuration du marché... je ne vois pas cela d’un mauvais œil. Au contraire, je pense que les plus gros tirent le marché vers le haut », poursuit Maxime Durand. Pour ne pas péricliter, d’autres sont contraints de réduire la voilure.

C’est le cas du nordiste Bio Bon Gourmand (BBG), né en 2011. Après avoir atteint un réseau de six magasins et démarré une courte aventure en Belgique, il s’est vu placé en redressement judiciaire par le tribunal de commerce de Lille Métropole en novembre 2021. Déjà en proie aux difficultés avant la crise sanitaire, du fait notamment de ses emplacements péri-urbains, celle-ci semble les avoir accentuées. Aujourd’hui, l’enseigne se concentre uniquement sur la métropole lilloise avec deux points de vente, l’historique à Marquette-lez-Lille et celui de Villeneuve d’Ascq.

« Rayons surdimensionnés »

Dans les grandes et moyennes surfaces aussi, l’heure est à la réorganisation. « Les rayons bio sont devenus surdimensionnés par rapport au chiffre d’affaires qu’ils génèrent, explique le Dg de BioDemain. Ce positionnement était valable il y a quelques années, quand la bio générait de la croissance ». Résultat, certains distributeurs adoptent une nouvelle stratégie : supprimer les gondoles de produits bio pour placer ces derniers directement en rayon et ainsi amortir le décrochage des ventes. « Avoir les produits bio et conventionnels côte à côte facilite la comparaison des prix pour le consommateur. Celui-ci peut alors se rendre compte que la bio n’est pas toujours plus chère que le conventionnel ! D’autant plus quand elle est consommée de saison », complète Marie-Sophie Lesne, vice-présidente de Région chargée de l’agriculture.

Alors, coup d'arrêt pour la success story du bio ou simple trou d'air ? Certains évoquent plutôt un juste retour vers un rythme de croissance « normal » pour la filière. Au reste, malgré le fléchissement des ventes, la filière afficherait dans son ensemble, et pour l’heure, un niveau similaire voire au-dessus de celui de 2019, selon les professionnels. « Je pense que le marché poursuivra sa croissance, mais de façon plus modérée », estime Maxime Durand. « On prend comme référence les deux ou trois ans avant la Covid. Mais n’est-ce pas une période durant laquelle la croissance du marché bio était justement beaucoup trop rapide ?, questionne Harold Tiberghien, convaincu que notre région a tous les atouts pour peser davantage avec son agriculture bio, malgré son retard notable par rapport à d’autres régions du pays. Peut-être est-ce le bon moment pour se réinventer et enfin trouver notre place ? »

A lire aussi : Enquête Bio en Hauts-de-France - Olivier Dauger (Chambre d'agriculture Hauts-de-France) : "Il ne faut pas baisser les bras sur la bio !”

Concurrence de labels peu exigeants

Il est vrai que ces cinq dernières années, le secteur alimentaire a vu arriver pléthore de labels, pas toujours synonymes de rigueur ou de qualité. « Haute valeur environnementale », « Zéro résidus de pesticides », « Agri Confiance », « Sans nitrites »... autant d’alternatives certes plus chères que le conventionnel, mais moins que les labels bio. Bien que peu exigeants, ces labels trouvent l'oreille des consommateurs. Au grand dam des professionnels de la filière bio. « Notre problème est qu’on a baissé la garde ces dernières années du fait de notre croissance exponentielle. Le résultat est ce qu’il est aujourd’hui, on s’est fait dépasser », admet Simon Hallez, responsable filières et territoires de Bio en Hauts-de-France.

Les acteurs régionaux du secteur en ont pris conscience : pour se démarquer, il va falloir se retrousser les manches et actionner le levier de la communication tous azimuts. D’une même voix, ils appellent à des états généraux de la bio nordiste. Essentiels pour mettre les bouchées doubles. 

Loi EGalim : Peut (beaucoup) mieux faire !

Promulguée fin 2018, la loi issue des Etat généraux de l'alimentation vise entre autres à favoriser « une alimentation saine, sûre et durable pour tous ». Avec l’ambitieux objectif pour 2022 d’atteindre en restauration collective 50% de produits durables ou sous signes d'origine et de qualité, dont 20% issus de l’agriculture biologique française. Force est de constater qu’en région, et ailleurs, on en est loin. Très loin même. « Dans les faits, les produits bio ne représentent que 5 à 6% du contenu des assiettes de nos cantines ! », indique Benoît Firmin, responsable communication de l’association régionale A Pro Bio. Tout reste donc à mettre en œuvre pour que la restauration collective puisse représenter un vrai débouché pour la filière bio nordiste. « Il y a un marché à fort potentiel avec la restauration collective. Le problème est que la commande publique ne respecte pas cette fameuse loi EGalim. D’où la part du bio encore très faible aujourd’hui, poursuit le responsable filières et territoires de Bio en Hauts-de-France Simon Hallez. 20% bio dans nos cantines impose au secteur de la restauration collective un changement de pratiques en cuisine, la formation des équipes et une nouvelle gestion des budgets. C’est le premier verrou. Le second est que, comme le grand public, certaines collectivités préfèrent le local au détriment du bio qu’elles estiment, à tort, importé ». 

Sucre bio : une première nationale

Les tout premiers semis remontent à 2016. Six ans plus tard, le projet de créa tion d’une filière de valorisation de betteraves sucrières bio vient enfin de germer. Accompagnés par le groupement Bio en Hauts-de-France, des producteurs régionaux de betteraves sucrières ont en effet créé ce dernier printemps la SAS coo pérative « FABrique à sucres ». Première étape avant la construction de la toute première micro-sucrerie de betteraves bio, durable et équitable de France. Un pro- jet soutenu par une vingtaine d’acteurs régionaux et nationaux, d’organismes de recherche et de développement aux distributeurs, en passant par les transformateurs. Ceux-ci étaient en quête d’un sucre bio local depuis plusieurs années. Un pari délicat. « Il nous fallait revoir le process actuel des sucreries qui est surdimensionné et complexe, mais aussi réinventer la logistique ou encore le modèle économique », explique le responsable filières et territoires de Bio en Hauts-de- France Simon Hallez.

Le collectif à la tête de la « FABrique à sucres » est parvenu à mettre au point un procédé d’extraction simple et économe pour la production de sirop et de sucre cristallisé complet ou semi-complet « pour garder tous les nutriments de la betterave ». Des essais en labo ont validé le procédé l’an dernier et une ligne pilote, finalisée cet été, a permis de confirmer l’industrialisation à l’échelle d’un outil intermédiaire.

La SAS coopérative souhaite démarrer au plus tôt la construction de sa micro-sucrerie, entre Arras, Cambrai, Douai et Lens, pour lancer son activité de transfor- mation dès la fin 2023. Avant une commercialisation, espérée début 2024, de son sucre labellisé « commerce équitable ». La transformation devrait concerner 400 ha de betteraves à terme. La coopérative envisage de mettre en route sa micro-sucrerie selon les besoins du territoire et des producteurs. Elle étudie néan- moins la possibilité d’une activité annuelle avec par exemple la transformation de fruits et légumes en jus de février à mi-août.

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