Christian Poiret, Président du Département du Nord : "C'est une crise existentielle globale"

65 ans Maire de Lauwin-Planque de 1995 à février 2022 Président de Douaisis Agglo depuis 2009 Premier vice-président aux finances du conseil départemental du Nord de 1995 à 2021 Elu président du conseil départemental du Nord depuis juillet 2021 Membre de 65 ans Maire de Lauwin-Planque de 1995 à février 2022 Président de Douaisis Agglo depuis 2009 Premier vice-président aux finances du conseil départemental du Nord de 1995 à 2021 Elu président du conseil départemental du Nord depuis juillet 2021 Membre de

Le conseil départemental du Nord est l'une des plus grosses collectivités françaises, avec ses 2,7 millions d'habitants et son budget colossal de 3,7 Mds €. Celui qui avait incarné le redressement des comptes lors du dernier mandat, comme vice-président aux finances de Jean-René Lecerf, est aux manettes depuis juillet 2021. L'homme parle cash, dans les deux sens du terme, et évoque pour Eco121 les enjeux d'une rentrée aux enjeux financiers considérables.

Comment êtes-vous impacté par la crise énergétique et l'inflation en cette rentrée ?

C'est énorme. C'est LA préoccupation de rentrée. L'inflation, d'abord, ne sera pas compensée par les dotations de l'Etat. Nous la prenons pleine face. Elle ne sera pas indexée, ce qui change complètement la donne. Notre fraction de TVA devrait évoluer un peu, mais le foncier bâti ne sera pas indexé. Il a été supprimé pour les départements et transféré aux communes pour remplacer la taxe d'habitation. Nous n'avons plus de foncier bâti et donc plus de levier fiscal. Auparavant, j'avais une évolution des bases définie par l'Etat à hauteur de l'inflation, sans besoin d'augmenter les taux. Aujourd'hui je n'ai plus cette évolution des bases. Ce n'est pas neutre en période d'inflation.

A quel niveau global évaluez-vous son impact ?

Sur 3,7 milliards d'euros de budget, cela promet d'être colossal, surtout si l'inflation se situe entre 8 et 10%. Vous avez des évolutions législatives telles que la revalorisation du point de l'indice des fonctionnaires, soit 3,5% (depuis le 1er juillet). Cela représente 13,5 M€.

L'évolution du RSA (Revenu de solidarité active) est de 4%. Pour nous, en année pleine, ce sont 25 M€. Le seul problème est que l'Etat a fixé une enveloppe nationale pour tous les départements à 120 M€, pour six mois. Et le département du Nord n'aura pas les 12 M€ qu'il devrait avoir par rapport à son poids, ce sera plutôt autour de 7 M€. Le delta, c'est le département du Nord qui le paiera. Autre exemple, les services d'aide à do- micile. L'Etat revalorise les salaires avec un « avenant 43 », qui va nous coûter 10 M€, qu'il complète d'un même montant. Ou encore l'augmentation du Smic qui représente pour le Département, dans le secteur de l'enfance, 6,8 M€ en année pleine. Le total des coûts de reste à charge pour le Département de ce qui a été décidé par l'Etat pour 2022, ce sont 62 M€. Et pour 2023, ce seront 102 M€.

C'est quasiment le prix d'un Louvre-Lens...

Et ce montant ne comprend pas tout ! Nous avons aussi le fonctionnement pur de la collectivité. Le coût de l'énergie m'interpelle le plus. En 2020, cela représentait 13 M€ pour les flux électricité, gaz naturel, chauffage urbain. Pour 2022, c'est 21,7 M€ mais pour 2023, on parle de 45,5M€!

Le Département a-t-il les capacités d'encaisser ce choc ? Si on extrapole à l'ensemble des départements, cela ressemble à une menace existentielle...

Un choc comme ça il y a quelques années et le Département était mort ! Oui, c'est une crise existentielle globale. Les Régions sont dans la même situation, les Communes aussi. Peu de monde se rendent compte de la crise dans laquelle nous rentrons, qui va plus perturber les  Français que la crise de la Covid. On est en négociations avec l'Association des Départements de France pour faire un pacte avec les collectivités et permettre d'équilibrer nos budgets.

Vous allez prendre des dispositions pour réduire la facture énrgétique ?

On ne va pas fermer des musées ! Aujourd'hui, je n'en suis pas là dans mon raisonnement. On regarde comment équilibrer le budget avec toutes ces obligations. La situation est vraiment très délicate. On va continuer à faire attention. Je souhaite que dans les collèges, tout comme dans les bâtiments du Département, on ne baisse pas la température, mais qu'on ne se retrouve pas non plus à 22 ou 23 degrés. Il faut être dans le supportable.

Vos capacités d'investissement sont-elles atteintes ?

On sera obligés de revoir notre copie sur les investissements. Ils vont évoluer aussi du montant de l'inflation et du fait que les matériaux sont rares, et par l'évolution du Smic et des points d'indice. J'attends de voir comment se passent les négociations avec l'Etat. Nous avions doublé les investissements depuis 2015 : nous étions à 185 M€, en 2022, on devrait être aux alentours de 340 M€. Le souhait est de rester à ce niveau. Comment avec les coûts supplémentaires ? Par de l'optimisation en interne. On travaille sur la projection financière à 2025, pour voir les atterrissages. Tout dépendra de la guerre, mais aussi de l'Etat : viendra-t-il nous aider dans notre démarche ? J'ai besoin de lui, c'est très clair. Dans un moment comme la Covid, on est allé dans le quoi qu'il en coûte. Aujourd'hui, que fait-on si les gens ne peuvent pas sortir, aller à la piscine, si les entreprises ne peuvent plus investir voire sont obligées de fermer ? Quand il a fallu fermer les entreprises avec la Covid, elles ont eu des compensations. Demain, si elles doivent s'arrêter pour des raisons de coût énergétique, auront-elles des compensations, je pose la question.

On a le sentiment que les vacances ont un peu anesthésié l'opinion et que le réveil est extrêmement brutal...

Pas complètement brutal : on savait que le problème énergétique serait difficile, mais pas à cette hauteur là, c'est vrai. Pour l'inflation, tout dépendait si l'Etat était à nos côtés ou pas. Car cela change tout : quand je lance un investis- sement à 20 M€, qui finit à 25 M€, comment faire ?

Cet effet de ciseau va-t-il faire pousser le Département à renforcer la fiscalité et à creuser à nouveau sa dette ?

Pour la fiscalité, c'est non, on ne peut pas. On n'a plus le levier fiscal. Il reste les DMTO (Droits de Mutation à Titre Onéreux), mais même s'ils évoluaient de 5%, sur un montant de 400 M€, c'est 20 M€, ça paye tout juste l'énergie ! Ca ne changerait pas la donne. Donc on doit gérer, on doit piloter le département.

Concernant notre dette, elle est devenue saine. En 2015, il fallait 13 ans pour désendetter le département. En 2022, on devrait être à 3,83 années, avec un encours de 1,175 md€ contre 1,45 à l'époque. On a nettement amélioré. Demain, si on veut soutenir l'investissement, il faudra un peu aller à l'emprunt -je dis bien un peu-, mais ce ne sera pas la fuite en avant. Je n'en veux pas comme variable d'ajustement unique. Il faut continuer à maîtriser le fonctionnement malgré tous les aléas pour avoir de l'épargne et donc des capacités d'investissement.

Vous aviez déjà passé les dépenses du Département à la paille de fer pour le sortir de l'ornière. Avez-vous encore des marges ?

On avait réussi à remettre les comptes dans le bon ordre. Aujourd'hui on serait capable de passer 2022 et finir 2023 tout juste. Ce sont plus les années 2024 et 2025 qui vont poser problème. La situation est difficile, on ne désarme pas, on ne se laisse pas abattre. On va piloter ce département pour passer cette crise qui ne peut pas durer indéfiniment. Je crée un service contrôle de gestion-optimisation. J'ai recruté pour cela une directrice générale adjointe à la directrice des finances, qui crée un véritable service d'une vingtaine de personnes, qui vont travailler sur des missions et des dossiers bien définis. A commencer par les consommations énergétiques dans chaque établissement pour avoir un reporting complet dans ce domaine, pour pouvoir alerter et modifier les choses. C'est un exemple parmi tant d'autres.

Certains départements n'arriveront pas à passer l'obstacle...

Je pense que non. Mais nous sommes un département hors norme. On doit continuer. On est reconnus pour ce qu'on fait. Il ne faut pas faire de catastrophisme, la crise existe, mais elle ne va pas durer. Le prix du gaz, ce sont des cours. Comme le baril de pétrole, ça va redescendre.

Si nombre d'entreprises se font piéger par la crise énergétique, les courbes du chômage vont remonter. Et c'est vous qui financez ...

Nous sommes dans une logique où on baisse encore le nombre d'allocataires du RSA. Je ne sou- haite pas que le ministre Combe (ministre des solidarités, ndlr) décide que toute personne qui peut avoir le RSA le touche automatiquement. Ce serait une catastrophe si on devenait distributeur automatique de billets. Ce ne serait pas raisonnable et on ne s'en sortirait pas. L'Etat aujourd'hui, suite à la crise de la Covid, avec le quoi qu'il en coûte, doit faire des économies, pour être dans les ratios européens. Il ne peut donc pas être à nos côtés pour l'instant dans cette deuxième crise qui s'empile à la hauteur où on pourrait l'espérer. On va devoir assumer. On ne baisse pas les bras.

Quel est le nombre d'allocataires du RSA à date ?

On est à 91 150. Nous avons réduit ce nombre de 8 500 en un an. C'est la priorité. C'est le meilleur résultat depuis des années. On ne lâche rien. C'est surtout du retour à l'emploi, c'est le fruit du travail réalisé avec Doriane Bécue avec les Maisons départementales de l'insertion et de l'emploi. J'ai créé ensuite les MDIE jeunes pour les 25-35 ans. Nous avons 40 000 allocataires dans cette tranche d'âge, on ne va pas les garder jusqu'à 60 ans !

L'idée de conditionner le versement du RSA à une activité vous séduit-elle ?

Oui, j'ai écrit au Président de la République, je souhaite que le département du Nord soit un territoire d'expérimentation, avec 15 ou 20 heures d'activités. Redonner la dignité aux habitants par l'emploi, c'est notre ADN. Pour le RSA, on maîtrise, on travaille, on y met les moyens. Par exemple, nous avons pris la décision de créer 3 400 contrats initiative emploi. Je ne sais pas si nous pourrons continuer. Ils coûtent 10 M€ au Département, c'est très volontariste. Les gens sont pris sur une durée de 9 mois, ça leur permet de sortir du RSA. 

Le Département n'a plus la compétence économique mais il continue à intervenir en accompagnement sur les sujets structurants. Pourrez-vous continuer ?

Oui nous sommes ainsi le quatrième financeur du canal Seine Nord, avec 217 M€. On ne réduira pas notre engagement. Sur l'aide aux communes et aux intercommunalités, nous l'ajusterons. En 2022, nous avons délibéré 54 M€, c'est important pour elles. Mais elles-mêmes vont rencontrer des difficultés pour mener à bien leurs projets, qui seront surenchéris. On peut supposer qu'il y aura moins de projets dans les prochaines années. Le Département peut aussi mettre moins d'argent.

Et pour les grands projets, comme les giga-factories ?

Nous sommes partie prenante. Le Département est surtout là pour aider les investisseurs dans leurs recrutements. Nous avons un vivier d'allocataires du RSA, nous travaillons avec la Région pour les former et leur permettre de revenir à l'emploi. Envision (la méga usine de batteries qui s'implantera à Douai, ndlr), ce sont 50 cadres de haut niveau, une centaine de techniciens supérieurs et des centaines d'opérateurs. On doit travailler pour les détecter. Si demain des infrastructures sont nécessaires pour le développement économique et l'emploi, le Département sera partenaire avec la collectivité, on l'a toujours été, on le sera toujours.

Ces articles peuvent également vous intéresser :

Crédit Région Hauts-de-France
Publié le 26/08/2022 Julie Kiavué Grand Angle

Bio en Hauts-de-France : après les années fastes, les vaches maigres ?

Ventes en recul, fréquentation des magasins en berne, concurrence exacerbée des labels, le tout sur fond de contexte inflationniste plus qu’incertain... Après sa dynamique sans précédent en plein Covid, l’agriculture biologique semble s’embourber. Une remise en question pour notre filière régionale, désormais en quête d’un nouveau souffle.

Publié le 26/08/2022 Julie Kiavué Grand Angle

Bio en Hauts-de-France - Olivier Dauger : "Il ne faut pas baisser les bras sur la bio !”

Après un dynamisme insolent en pleine pandémie, le marché bio montre des signes d'essoufflement. De quoi susciter un profond questionnement chez les acteurs de la filière nordiste. Entretien avec le président de la Chambre d'agriculture des Hauts-de-France Olivier Dauger.

Publié le 27/06/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Patrick Scauflaire (La Catho) : “Nous formons des jeunes qui peuvent avoir un impact demain"

Elu à la tête de l'Université catholique de Lille à l'été 2020, Patrick Scauflaire évoque avec Eco121 le fil rouge de son mandat de président-recteur. Développement des établissements de la Catho, international, développement durable, transdisciplinarité... Entretien.

Publié le 27/06/2022 Guillaume Roussange Grand Angle

Deux formations pour comprendre et analyser le monde

Moins connues que les cursus techniques, les formations en science politique et en journalisme proposées au sein de l'Espol et de l'IJTM démontrent la volonté de la Catho de former des étudiants capables de décrypter le monde contemporain.

Publié le 27/06/2022 Julie Kiavué Grand Angle

3 Questions à... Emmanuel Métais, Dg de l'EDHEC

“Mettre la puissance du business au service de la société”.

Publié le 27/06/2022 François Prillieux Grand Angle

Ecole-Entreprises : le modèle fructueux de l'ICAM

L'école d'ingénieurs place ses étudiants en situation réelle avec un engagement de résultat sur un projet d'entreprise concret. La formule séduit de plus en plus d'entreprises régionales.

Publié le 27/06/2022 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

La Catho, une vieille dame en pleine mutation

Ces dix dernières années, la première Catho de France a vu ses effectifs étudiants grimper de 66%. Ses différentes structures multiplient les plans stratégiques ambitieux. Le tout accompagné de programmes immobiliers majeurs, qui totalisent 600 M€ dans le seul quartier Vauban. Pourquoi cette réussite insolente ? Où va la Catho ? Notre enquête.

Guillaume Poitrinal, président de la Fondation du Patrimoine. Crédit Jean-Baptiste Guiton
Publié le 30/05/2022 Julie Kiavué Grand Angle

Guillaume Poitrinal (Fondation du Patrimoine) : "Notre patrimoine est notre identité"

Restauration, financements, mécénats... le président de la Fondation du Patrimoine Guillaume Poitrinal se confie sur l'importance de la préservation de notre patrimoine régional. Entretien.

Publié le 26/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

«La recherche de mécènes constitue un travail chronophage»

Le propriétaire du château d'Esquelbecq, Johan Tamer, nous explique comment il résout l'équation financière

Publié le 26/05/2022 Arnaud Lefebvre Grand Angle

Ambleteuse, bientôt au patrimoine mondial de l'Unesco ?

Le dernier fort construit par Vauban sur la Côte d'Opale a accueilli 6 000 visiteurs en 2019.