Manuelle Malot (Edhec) : « Les jeunes diplômés tiennent les rênes du rapport de force face aux employeurs »

Emmanuelle Malot, directrice fondatrice du NewGen Talent Centre de l'Edhec. Emmanuelle Malot, directrice fondatrice du NewGen Talent Centre de l'Edhec.

Depuis 2013, l’EDHEC étudie annuellement les ambitions et les attentes professionnelles des jeunes diplômés à travers son NewGen Talent Centre. Sa directrice et fondatrice, Manuelle Malot, observe depuis 5 ans une évolution de vision significative chez les managers de demain. Nourrie entre autres par leurs préoccupations écologiques, leur quête de sens mais aussi l’impact social et sociétal des entreprises. Entretien.

Il y a 10 ans, vous avez créé l’EDHEC NewGen Talent Centre pour analyser les aspirations des jeunes diplômés. Pourquoi ?

Tout est parti d’un constat. Celui d’un décalage entre les aspirations des jeunes de l’EDHEC pour leur vie professionnelle et ce que pensaient et nous faisaient comme retour les entreprises. Tous les ans, avec une socio-démographe et une statisticienne, nous interrogeons entre 7 000 et 8 000 jeunes sur leurs ambitions afin de déterminer les grandes tendances du monde du travail dans les prochaines années. Depuis 3 ou 4 ans, en plus de leur publication en ligne gratuitement, nous partageons nos études au sein des entreprises auprès des comités de direction mais aussi du grand public.

Pourquoi avoir décidé de présenter vos travaux directement aux dirigeants ?

Nos dernières études ont révélé que les jeunes diplômés ne restaient que 19 mois en moyenne à leur premier poste. L’évolution des aspirations de la nouvelle génération ces dernières années est passée d’une problématique organisationnelle interne à une problématique business pour les entreprises. Attirer, fidéliser et engager les jeunes diplômés est devenu leur triptyque et ce, quelle que soit leur taille. En leur présentant nos études, on casse un peu la vision qu’ont encore certains dirigeants sur les jeunes, leur attentes, leur profil. On en profite également pour donner directement quelques conseils aux managers.

A quelle fréquence rencontrez-vous ces entreprises ?

Nous réalisons entre 10 et 15 présentations par an. Au sein de cabinets de conseil ou d’audit, d’avocats, aussi dans des entreprises industrielles, des spécialistes des médias ou encore de l’édition... Les secteurs d’activité sont multiples. Pour autant, tous sont confrontés à la situation actuelle du marché de l’emploi, celle d’une situation de pénurie de jeunes diplômés. Pour qui le marché est très favorable depuis 2010, malgré un tassement entre 2020 et 2021. C’est en ce sens que je dis que cette problématique de l’emploi de jeunes est devenue purement business. La santé des entreprises en dépend.

Comment expliquer cette quête effrénée de jeunes diplômés ?

La loi Pacte fin 2019 a permis aux entreprises de se définir autrement. Ajoutez à cela le réveil écologique de la nouvelle génération et enfin la crise sanitaire qui a rebattu les cartes de l’emploi. Les jeunes questionnent davantage l’utilité sociale et sociétale des postes qu’ils briguent. Sur le marché de l’emploi, ils tiennent les rênes du rapport de force face aux employeurs.

Peut-on dire qu’il y a un avant et un après flagrant dans l’évolution de leurs ambitions professionnelles ?

Avant 2017, l’international arrivait très haut dans les aspirations, à la première ou deuxième place. Les jeunes voulaient voyager et s’installer physiquement à l’international pour leur carrière professionnelle. Aujourd’hui, le développement personnel et des compétences trône à la première place. Suivi de la contribution sociétale et l’impact sur la société de leur poste et leurs missions en entreprise. La dimension internationale arrive en troisième position. Mais avec une définition différente. Pour certains, s’ils peuvent évoluer dans une entreprise internationale, sans pour autant y être physiquement c’est-à-dire en restant en France. C’est notamment le cas de ceux qui veulent moins voyager pour réduire leur empreinte carbone.

Start up versus grandes entreprises : la jeune génération fait-elle part d’une préférence ?

On observe effectivement un rééquilibrage en faveur des grandes entreprises. La chute, observée il y a quelques années, au profit de l’univers des start up et de l’entrepreneuriat, s’est stabilisée. Avant le Covid, 44% des jeunes annonçaient vouloir créer leur entreprise et se lancer en freelance. Aujourd’hui ils sont 35%. Ils sont de plus en plus à déclarer être à la recherche d’entreprises aux moyens suffisants, capables de leur offrir et leur assurer une stabilité professionnelle. Et donc financière.

Comment justifier ce rééquilibrage ?

De manière générale, les jeunes font davantage confiance au monde de l’entreprise. Pour eux, les entreprises ont un rôle énorme à jouer dans la révolution sociétale. Ils estiment que c’est en entreprise qu’ils peuvent agir et avoir un impact significatif. Dans notre dernier baromètre, 90% des jeunes diplômés disent que les entreprises sont redevables des enjeux du monde. C’est une vision totalement différente de celle de la génération 68 qui misait beaucoup sur le monde politique pour engager cette révolution sociétale. Ce qui, en soi, est plutôt positif pour les entreprises !

Mais cela représente une pression importante aussi...

C’est sûr. Quand on leur présente ces chiffres et cette vision, les entreprises se rendent compte qu’elles doivent engager une évolution interne en profondeur si elles veulent attirer la nouvelle génération. Certains dirigeants admettent que la tâche leur paraît immense et compliquée. Mais ils savent qu’ils doivent absolument franchir le pas.

Depuis la crise sanitaire, les crises géopolitiques et économiques se sont succédé. Comment la conjoncture se traduit-elle dans les ambitions des jeunes et futurs diplômés ?

La rémunération réapparaît plus haut dans leurs aspirations. Ils veulent le sens et le salaire. En parallèle, ils savent qu’ils sont tellement courtisés par les entreprises qu’ils n’ont pas forcément d’inquiétudes particulières. Que ce soit sur l’inflation, les coûts de l’énergie ou encore la fragilité géopolitique actuelle. Leur questionnement repose surtout sur l’utilité de leur futur poste et de leur employeur. Il y a 40 ans, les diplômés n’auraient pas exprimé leur volonté comme le font ceux d’aujourd’hui. Ils n’auraient pas non plus osé démissionner lorsqu’ils auraient senti un décalage entre leurs besoins, leurs convictions et leurs missions en entreprise. Ce n’est pas un effet de mode, c’est une tendance de fond. Ce sera un enjeu essentiel pour les employeurs : définir correctement l’utilité sociale et sociétale de leur activité et de chacun de leurs postes à pourvoir s’ils souhaitent attirer le plus grand nombre. Recueilli par Julie Kiavué

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