Enquête innovation. Yannick Da Costa (Bpi) : "La région a des points forts, appuyons-nous dessus !"

Le directeur régional Lille de Bpifrance Hauts-de-France Yannick Da Costa dresse un état des lieux de l’innovation dans la région. Il passe au crible les forces, les faiblesses et les axes d’amélioration de l'écosystème. Il pointe aussi les dispositifs de financement et d’accompagnement proposés par Bpi pour stimuler l’innovation. Rencontre.

La région affiche de faibles performances en matière d’innovation. Comment l’expliquer ?

Certains indicateurs, comme le poids de la R&D par rapport au PIB de la région, pourraient laisser penser que les Hauts-de-France ne font pas partie des régions les plus dynamiques en termes d’innovation.

Mais ces données sont à prendre avec des pincettes. Il faudrait regarder quels sont les grands pans de l’activité régionale qui portent notre PIB, et si ceux-ci sont par nature innovants ou pas. On peut potentiellement se retrouver avec des indicateurs biaisés.

A l’inverse, si on regarde d’autres données, comme l’activité de financement et d’accompagnement de l’innovation chez Bpifrance, auprès de start up, Pme et Eti, nous sommes quasi systématiquement sur le podium des régions les plus actives (hors Paris) en nombre d’interventions et de montants injectés dans les projets de R&D. La Bpi étant la banque de l’innovation, son volume d’intervention me paraît logiquement représentatif du tissu de l’innovation par région.

De beaux dossiers comme Nénuphar, Giroptic ou Otonohm ont disparu. Selon vous, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Je n’ai pas les éléments de détails sur ces dossiers. Mais plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un projet n’aboutisse pas. L’innovation est un processus risqué, avec des verrous technologiques plus ou moins complexes à lever. L’échec technologique fait partie du risque. Notre rôle, à travers les financements, est d’inciter les dirigeants à prendre ce risque d’innover. D’autre part, l’échec peut être lié à une question de timing vis-à-vis d’un marché peu ou pas assez mature. Ou à une « crise de cash ». Parfois, l’entreprise espère lever des fonds à différentes étapes-clés et cela ne se passe pas comme prévu. En quelques mois seulement, l’entreprise peut se retrouver en cessation de paiement. Même s'il y a de vraies marques d’intérêt d’investisseurs, lever des fonds prend du temps. D’ou l’importance de l’accompagnement des porteurs de projet et des dirigeants.

Une autre explication peut être que le projet n’était finalement pas si innovant ou qu’il ne s’adressait pas au bon marché, au bon consommateur. C’est toute la différence entre l’invention et l’innovation.

Le nombre de chercheurs et de centres R&D reste moins élevé chez nous. Cela illustre aussi une innovation moins forte qu’ailleurs...

Là encore, il faut modérer le constat fait à partir de ces indicateurs. Notre région est (par exemple) très bien placée chez Bpifrance en ce qui concerne le financement de projets d’innovations de rupture issues de laboratoires de recherche. Cela démontre une belle dynamique liée aux transferts de technologies des chercheurs vers nos entreprises.

Notons également qu’une partie des investissements en région est issue d’entreprises étrangères ou de groupes dont le siège est en dehors de la région, mais, qui s’implantent chez nous pour industrialiser des innovations nées ou accompagnées dans d’autres territoires. L’innovation n’a donc peut-être pas été développée ici mais en fin de compte, les Hauts-de-France permettent de concrétiser les projets. Nous sommes une terre fertile à la création d’entreprises avec la présence de foncier disponible aux portes de Paris, d’un écosystème facilitateur pour l’implantation de groupes français ou étrangers... Je suis plutôt optimiste, nous avons tout un écosystème d’acteurs engagés et qui travaillent bien ensemble.

Pour autant, tout n’est pas parfait...

En effet, cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas mieux faire, mais nous partons d’un socle solide, porté par un fort esprit entrepreneurial dans notre région et un écosystème puissant concerné par l’innovation. La Région nous dote de fonds pour nous permettre d’accompagner encore plus massivement. La Région Hauts-de-France est la première avec qui Bpi a travaillé sur le financement de la deeptech par exemple !

Puis, nous disposons d’incubateurs de renom sur le territoire qui stimulent l’émergence d’innovations et de start up. Nous travaillons également à travers des partenariats avec la SATT Nord, les écoles et les laboratoires de recherche pour aller chercher l’innovation le plus en amont possible.

Mais que pourrions-nous faire de mieux ?

Peut-être décentraliser davantage par rapport à la MEL qui bénéficie d’un tropisme logique. Même s’il est évident qu’il se passera toujours plus de choses dans la MEL qu’ailleurs en région, nous devons collectivement travailler pour mieux mailler le territoire. Nous avons des axes de progrès. Les différents acteurs en sont conscients et c’est pour cette raison que des incubateurs de renom se sont installés ailleurs, comme Vivalley à Liévin, Eurasenior à Arras ou Blue Living Lab chez Nausicaa à Boulogne-sur-Mer. De même, beaucoup d’EPCI sont volontaristes et travaillent pour attirer des start up sur leur territoire plus ou moins éloigné de la MEL. L’autre axe à travailler en matière d’innovation est celui des Pme-Pmi qui sont plus matures et qui doivent continuer à innover pour garder leur avance technologique et/ou se démarquer de la concurrence. Pour certaines, c’est dans leur ADN et nous les accompagnons avec des dispositifs incitatifs tels que des prêts à taux 0. Pour d’autres, c’est moins évident car elles ne disposent pas des moyens humains, techniques ou financiers nécessaires. Notre rôle est de leur faire profiter de notre réseau d’accompagnement et de nos dispositifs de financement pour les pousser à innover.

Comment se passent ces accompagnements ?

Nous proposons aux entreprises des diagnos- tics qui se traduisent par du coaching de dirigeants, de porteurs de projet, de chercheurs. Nous les mettons en relation avec des cabinets de conseil indépendants. L’idée est de leur donner toutes les armes dont ils auront besoin pour maximiser la réussite de leurs projets. Et là aussi, au sein de Bpi, c’est en Hauts-de-France que nous réalisons le plus de diagnostics « innovation ». Cette année, nous visons les 100 diags rien que sur ce volet innovation !

Côté financement de l’innovation, quels sont vos dispositifs ?

Nous nous appuyons sur des dispositifs natio- naux mais aussi régionaux pour accompagner les projets du territoire. La Région nous confie une partie de son budget pour que nous intervenions encore plus massivement. En 2022, cela a représenté un engagement d’un peu plus de 19 M€ sur fonds de la Région. Un budget plutôt en hausse ces dernières années dès lors qu’on y intègre les dispositifs nationaux déclinés dans les régions comme « France 2030 régionalisé », qui finance aussi l’innovation.

Nos dispositifs de financement, sous forme de subventions, d’avances récupérables ou de prêts, nous permettent de financer des entreprises, quel que soit leur stade de maturité, et quel que soit le stade de maturité de leur projet, depuis les phases d’idéation, jusqu’à l’industrialisation, en passant par les étapes de R&D.

Nous intervenons également en prêts en parallèle de la recherche de fonds propres, pour pallier les tensions de trésorerie que les start up peuvent rencontrer lors de cette étape critique de leur financement, ou encore après la réalisation effective d’une levée de fonds aux cotés des investisseurs, toujours dans cet objectif de renforcer la trésorerie. Ces prêts disposent d’un différé de 3 ans pour laisser le temps aux entreprises de se positionner sur leur marché. L’an dernier, nous avons injecté 228 M€ pour le financement de projets régionaux innovants, ce qui a permis de faire levier pour atteindre 478 M€ de financements au global pour 450 bénéficiaires.

Peut-on s’attendre à de nouveaux outils financiers ?

Nous innovons nous aussi avec de nouveaux dispositifs. Nous avons lancé en 2022 le Prêt Nouvelle Industrie (PNI) pour financer la phase d’industrialisation des innovations développées. Lorsqu’il s’agit de débloquer des fonds pour la première usine d’une start up, c’est souvent trop tôt pour le monde bancaire privé et, côté Bpifrance, nous intervenions massivement sur les étapes de développement précédentes mais étions limités lorsqu’il s’agissait de passer à l’échelle industrielle. Il y avait donc une faille à ce stade. Le PNI nous permet de co-financer la création d’une première usine (ou d’une usine pilote) et peut aller jusqu’à 15 M€ sur une du- rée de 15 ans et sans garanties. C’est un dispositif national mais nous avons déjà quelques beaux sujets en région.

Nous lançons également une Bourse French Tech « Lab » qui permettra d’intervenir avant même la création d’une start up. L’idée est de soutenir le développement business d'un projet deeptech issu d’un laboratoire de recherche, qui a déjà bénéficié d'un financement en maturation ou pré-maturation sur le volet technologique, mais cette fois-ci pour financer et couvrir divers sujets tels que la recherche de cofondateurs ou les études de marché permettant d’aboutir à la création d’une entreprise et d’en maximiser les chances de réussite.

L’idée est-elle de faire évoluer le chercheur en entrepreneur ?

Un chercheur est mis en avant par ses publications. Nous souhaitons que ce soit aussi le cas lorsqu’il crée une entreprise pour exploiter le fruit de ses recherches. Nous voulons leur permettre de créer une entreprise à partir de leur innovation, d’adresser un marché, de créer de la valeur et de l’emploi. Certains chercheurs ont du mal à se transformer en entrepreneurs alors-même qu’ils en ont l’envie. D’autres n’y pensent même pas.

L’économie régionale a été malmenée par une succession de crises dont bien sûr le covid. Quel a été l’impact sur l’innovation ? Le covid aura permis de faire consensus sur la nécessité de relancer l’industrie, relocaliser, innover pour réduire notre dépendance vis-à-vis d’autres pays. Chez Bpi, nous en étions conscients puisque nous avions participé dès 2017 au lancement de la French Fab qui a pour but de fédérer les industriels et renforcer la promotion de l’industrie française. Les crises de ces dernières années ont accéléré le mouvement et l’innovation est l’une des clés permettant ce renouveau industriel. D’ailleurs 2022 a été une année record pour les levées de fonds, notamment auprès de start up industrielles !

N’est-ce pas tout simplement un effet de rattrapage, largement aidé par de gros dossiers comme Exotec ?

Ça peut l’être. Mais 2022 reste un record aussi bien au niveau national que pour la région, puisque les Hauts-de-France ont occupé la deuxième place des régions ayant connu les plus fortes levées de fonds, après l’Île-de-France.

Quelles sont vos prévisions pour 2023 ?

Nous ne serons certainement pas sur les mêmes bases que 2022. Les taux directeurs ont fortement augmenté, ce qui peut avoir pour ef- fet de réorienter une partie des ressources sur des placements moins risqués au détriment d’investissements dans des start up innovantes. Pour autant, il existe dans notre région un nombre important de business angels, d’investisseurs indépendants, de petits groupements d’en- treprises qui permettent aux start up de réaliser leur première levée de fonds. Ces investisseurs-là sont encore présents.

Comment cela se traduira-t-il dans l’activité de Bpifrance ?

L’année n’est pas terminée. Mais en tout cas, dans les Hauts-de-France, 2023 restera dynamique pour l’innovation. Nous restons optimistes, c’est l’une de nos valeur d’ailleurs. Nous poursuivons le travail d’accompagnement et de communication avec l’aide de tout l’écosystème de l’innovation. L’objectif est d’intervenir le plus en amont possible des projets et de maximiser ainsi l’émergence en nombre de start up et donc, le cas échéant, du nombre et des montants de levées de fonds.

Quels seraient vos conseils aux entreprises qui souhaitent innover davantage ?

C’est une course contre la montre. Il faut aller vite et massivement. Si le projet est cohérent, qu’il y a une preuve de concept solide et que la solution développée s’adresse à un marché à fort potentiel, il ne faut pas perdre de temps. Alors, mon conseil ? Rester ambitieux et surtout se faire accompagner ! La région est attractive et dynamique, appuyons-nous dessus !

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