Enquête - Filière images : Les Hauts-de-France se voient en haut de l’affiche

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Voilà plus de 40 ans que la région fait le pari de la production cinéma, audiovisuelle et jeux vidéos. Mais la dynamique s'accélère nettement. Terre d’images et d’industrie créative, les Hauts-de-France surfent aujourd'hui sur une demande mondiale très tonique. Armée de ses forces vives, la région entend bien apparaître au générique. Moteur, ça tourne (fort !).

Elles se nomment « Germinal », « Les papillons noir », « Les Petits Meurtres d’Agatha Christie » ou encore « HPI ». Le point commun entre toutes ces productions pour le petit ou le grand écran ? Toutes ont été tournées en Hauts-de-France ! Face ô combien visible d'une filière en plein essor : avec ses déjà 5 000 emplois, 500 entreprises, sa trentaine de formation et ses sites d’excellence, notre région lorgne les rôles principaux. « On s’est très tôt saisi de cette question de l’image contrairement à d’autres régions, rappelle Emmanuel Delamarre, patron de Plaine Images, hub et site d’excellence de la filière, à Tourcoing. Même si certaines ont pu copier ce qui se faisait déjà chez nous et nous dépasser, notre expertise dans l’industrie créative est historique ».

Nous disposons en effet d’infrastructures, de talents, de pépites expertes à l’instar d’Ankama dans la création numérique, Nacon (filiale du géant Bigben Interactive) pour les jeux vidéos ou encore d’Hikari pour l’audiovisuel... Bref, d’atouts indéniables pour couvrir une chaîne intégrée de A à Z pour la production de séries, films et jeux vidéos en tout genre. « Nous n’avons pas à rougir face aux autres régions, estime Flavien Boisson, délégué général chez Noranim, organisation professionnelle régionale du cinéma d’animation (70 M€ de chiffre d’affaires cumulés). Les talents sont attirés par la qualité des productions nordistes. Les professionnels d’Angoulême eux-mêmes le reconnaissent et nous le disent ! »

Ce n’est pas un hasard si le Festival Serie Mania, devenu un rendez-vous populaire et professionnel incontournable, a pris racine à Lille il y a six ans, en dépit de la concurrence frontale de Cannesérie depuis la même période. Pas un hasard non plus si l’association a décidé d’implanter ici, en région, la Serie Mania Institute, son école de formation unique en France consacrée aux métiers de production de séries. La métropole lilloise, c’est aussi le choix de l’établissement privé ArtFX, originaire de Montpellier, pour y ouvrir fin septembre les portes de son campus ultra-moderne, dédié à l’image numérique et aux industries créatives. Enfin, ce n’est pas anodin si les Hauts-de-France ont figuré parmi les trois territoires retenus comme prioritaires par le gouvernement pour son appel à projets « La Grande Fabrique de l’image ».

« Co-currence »

Inédite, cette initiative nationale vise à propulser le pays au rang de leader européen des tournages et productions numériques d’ici 2030. Le gouvernement pose sur la table une enveloppe de 350 M€, vouée à être complétée par les collectivités. Sur 68 projets labellisés, cinq sont issus des Hauts-de-France. « Nous sommes à un moment charnière pour notre filière images », analyse Godefroy Vujicic, directeur général de Pictanovo, l’agence régionale de promotion et de soutien à la filière images numériques et industries créatives. « Cette reconnaissance offrira une accélération significative aux projets ».

C’est tout le souhait du producteur de spectacles et de documentaires Selim Saïfi pour son projet Les Studios de l’Union, l'un des lauréats, au titre de sa « Grande Fabrique de l’image ». Attendus dès 2025 à Tourcoing, avec une centaine d’emplois à la clé, les Studios de l’Union constitueront l’un des plus gros complexes dédié à l’industrie audiovisuelle au nord de la France. « On peut aisément revendiquer la place de base arrière des studios parisiens ou britanniques qui ont atteint leur capacité d’accueil. Chez nous, il y aura la place et pour moins cher. Les producteurs n’ont plus qu’à venir ! », sourit Selim Saïfi. Qui poursuit : « Dès le départ, il y a eu une belle dynamique autour du projet. C’est une des particularités de la filière en Hauts-de-France : on pense d’abord intérêt collectif avant de penser concurrence. Ce n’est pas la même chose à Paris ou à Marseille, je peux vous le certifier ! »

« Entre nous, on aime parler de co-currence, confirme Laurent Peroy, délégué général de l’organisation professionnelle régionale du jeu vidéo Game In (1 000 emplois, 270 M€ de chiffre d’affaires). On échange, on s’entraide, on crée des projets communs et surtout on se mobilise pour vanter les atouts de notre région en France et à l’international ». « Notre intérêt à tous est le développement de la filière », renchérit son homologue de Noranim.

« Film friendly », le guichet unique régional

L’initiative est unique en France. Voilà deux ans que l’agence régionale de promotion et d’accompagnement de filière images Pictanovo s’est dotée d’un réseau « Film Friendly ». Ce dernier compte à ce jour 14 villes des Hauts-de-France ; Dunkerque, Arras, Tourcoing, Roubaix, Amiens, Saint-Quentin, Douai entre autres et bientôt Lille. Objectif ? Favoriser, à travers un maillage territorial, l’accueil de tournages dans les villes partenaires et optimiser la promotion de la région auprès des professionnels du cinéma et de l’audiovisuel. « Nous mettons ainsi en place un guichet unique pour ces professionnels avec un interlocuteur référent dans chacune des villes du réseau, explique Godefroy Vujicic, Dg de Pictanovo. Ce guichet a pour but de leur faire gagner du temps dans leurs repérages, l’accès aux décors, aux paysages ou encore dans leurs démarches administratives ». 

Près de 9 M€ d'aides à la production

Ce développement est largement soutenu par une politique forte et volontariste depuis les années 80. Qui s'est traduite entre autres par la création du Centre régional des ressources audiovisuelles, devenu Pictanovo. « Il y a 40 ans, c’était un vrai pari. Il fallait être visionnaire », d’après Godefroy Vujicic. « Il n’y avait pas d’écosystème fédéré et clairement identifié comme aujourd’hui. Chacun travaillait dans son coin », se souvient Emmanuel Delamarre. De fait, une certaine guerre des territoires prévalait régulièrement entre Plaine Image, Wallers-Arenberg et la Serre Numérique d'Anzin pour attirer des projets, avec quelques ratés comme la greffe des serious games, qui n'aura finalement pas pris à Valenciennes. La filière joue aujourd'hui l'union sacrée, tandis que les projets se multiplient.

« Au fil des années, on a vu se créer l’école Supinfocom (Rubika) à Valenciennes, le Fresnoy à Tourcoing, Ankama à Roubaix, l’école Pôle IIID début 2000, suivie de Plaine Images en 2012... Toutes ces initiatives ont dessiné les contours d’une vraie filière et créé des émules », relève Emmanuel Delamarre. Désormais, la Région accompagne chaque année plus de 200 productions, de leur écriture jusqu’à leur diffusion, à hauteur de 8,6 M€. Un montant doublé depuis 2017 avec l’arrivée du nouvel exécutif de Xavier Bertrand.

De quoi nourrir puissamment la santé du secteur. Pour preuve, les Hauts-de-France cumulent 775 jours de tournage par an au compteur. Un chiffre en constant progrès depuis trois ans, observe le Dg de Pictanovo. Avec des retombées économiques importantes : entre 4 et 6€ pour 1€ d’aide publique, d’après le CNC. Selon Pictanovo, chaque année, les Hauts-de-France empocheraient plus de 22 M€ de retombées liées à l’emploi, aux services mais aussi au tourisme. 15 ans après « Bienvenue chez les Ch’tis », Bergues reçoit toujours autant de touristes. Tout comme Dunkerque après la sortie de la série « Baron noir » ou du film « Dunkerque » de Christopher Nolan en 2016. « C’est devenu notre carte de visite ! », raconte Marjorie Eloy, adjointe à la Ville chargée des animations. Depuis, la Communauté urbaine de Dunkerque accueille un tournage tous les trois jours, soit une centaine par an.

Mais la palme d’Or revient au Château de Chantilly, dans l’Oise qui, parmi les 17 tournages réalisés en 2021, a accueilli pendant un mois une superpro- duction de Netflix : « The Gray Man » avec Ryan Gosling. Avec ses 200 M$ de budget, c’est de loin le film le plus cher de l’histoire de la plateforme américaine. Depuis sa diffusion, le Château de Chantilly — choisi par les producteurs parmi une centaine de châteaux européens — ne cesse de voir les visiteurs affluer.

« Autant que l'automobile »

Cette filière images régionale est-elle au final une simple niche ou une véritable turbine d’attractivité ? « Nous sommes souvent sous-estimés car les gens ne se rendent pas compte du nombre de personnes qu’il faut pour produire les contenus qu’eux-mêmes consomment tous les jours », regrette Godefroy Vujicic. « Certes, on n’est pas dans cette posture de monde post-industriel qui annonce des milliers d’emplois avec l’implantation d’une seule usine, lance Emmanuel Delamarre. Nous, c’est sous-marin ce qu’on fait. Ça ne se voit pas. Mais on crée des emplois pérennes et ancrés sur le territoire. »

Jean-Paul Mulot, conseiller régional délégué aux relations internationales, affirme quant à lui (sur LinkedIn) que « les industries culturelles et créatives pèsent plus de 650 mds€ en Europe, (...) autant, voire plus que l’automobile. (...) Oui, les artistes et les auteurs participent à la reconstruction industrielle de ce pays, de nos territoires, au même titre que la Vallée de la batterie ou le Canal Seine Nord ». La région a toutes les cartes en main. A elle d’en faire bon usage !

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Side Invest, nouveau véhicule du divertissement nordiste

Soutenir l’industrie régionale du divertissement culturel, médiatique, sportif et des loisirs. Telle sera la mission de Side Invest, nouvelle société d’investissement co-crée au cœur de l’été par la Région, IRD et l’Association Familiale Mulliez. Avec un budget à terme de 50 M€, Side Invest, créée pour 12 ans, entend soutenir « des projets structurants ». Le premier à en bénéficier est le Racing Club de Lens qui a récemment créé « le Racing Coeur de Lens », son fonds de dotation. 

Arenberg Creative Mine en quête d'un levier de croissance

Le site totem de la Porte du Hainaut se cherche un second souffle, sous la houlette d’un nouveau directeur.

En passant de la houille au numérique, le site de Wallers-Arenberg a réalisé une reconversion à 360° alimentée par plus de 30 M€ d’investissement à ce jour. Ce site de 34 ha, qui accueillit le tournage de « Germinal » en 1992, est l’un des trois pôles d’excellence de la filière images numériques et industries créatives régionale, aux côtés de Plaine Images et de la Serre Numérique. Pourtant, malgré la présence du laboratoire de recherche DeVisu de l'Université Polytechnique Hauts-de-France, de plateaux TV et de tournage, de régies et de salles de projection, ce sont les séminaires professionnels qui réalisent la majorité de son activité.

Avant la Covid, le site accueillait 50 jours de tournage par an. Depuis, « c’est difficile de déterminer le nombre de jours dédiés aux prises de vue. Cette année, nous avons eu seulement 15 jours au premier semestre. Il y aura peut-être d’autres occasions, l’année n’est pas finie ! », confie Jérôme Copin. Recruté en mai notamment pour donner un second souffle au site, le nouveau directeur mise entre autre sur l’ouverture au grand public. Car « lorsqu’il n’y a pas d’activité de cinéma, les lieux sont refermés sur eux-mêmes. Notre volonté est de les ouvrir pour qu’on puisse davantage parler d’eux ». Il mise aussi sur le projet « TA-Board » pour lequel le site est lauréat de « La Grand Fabrique de l’Image ».

Evalué à 35 M€, ce programme prévoit de nouveaux équipements, l’agrandissement et la modernisation des studios avec 3 000 m2 supplémentaires. Mais aussi la création de 2 000 m2 de studios modulables et d’une école pour la formation à l’écoproduction.

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