Aéronautique : Après la menace du crash, un redécollage sous tension
En région, la filière aéronautique est sortie de la zone de turbulences créée par le Covid. Son redécollage extrêmement rapide profite à l’ensemble des industriels, mais génère aussi des tensions sur le front de l’emploi.
Dans le ciel de la Somme, l’immense silhouette du Beluga, l’avion XXL chargé de transporter les pointes avant (les nez, ndlr) entre le site d’Airbus Atlantic de Saint-Nazaire et l’usine de Méaulte, se détache comme à son habitude, faisant oublier le long trou d’air traversé par la filière aéronautique en 2020 et 2021. Durant ces deux années, le confinement mondial a cloué les compagnies aériennes au sol. Et fait craindre le crash pour ce secteur stratégique de l’industrie des Hauts-de-France. «En un an, un quart des emplois directs et indirects de la zone d’Albert-Méaulte, épicentre historique de la filière depuis qu’Henri Potez y créa son usine il y a cent ans, ont en effet été détruits», illustrait à l’époque Stéphane Demilly, le sénateur centriste, à la tête de la ville pendant près de trois décennies. Heureusement, la levée des restrictions a mis fin, à temps, à la dangereuse zone de turbulences.
Premier Bourget depuis quatre ans
Depuis, les voyages sont repartis dans le monde, les commandes des compagnies aussi, de plus belle. En 2022, Airbus a fabriqué 661 aéronefs. Il compte en livrer plus de 700 cette année ! Son carnet de commandes bat des records : plus de 7 200 avions programmés, en décembre dernier. Et le rythme ne semble pas près de faiblir. Après quatre ans d’absence, le salon du Bourget a ainsi été l’occasion pour l’avionneur d’officialiser la plus grosse commande de son histoire avec quelque 500 appareils de type A320 et A321 - les locomotives de la gamme Airbus - achetés par la compagnie indienne IndiGo. De quoi dégager l’horizon de l’usine picarde et des sous-traitants de la région, durant de nombreuses années...
D’autant qu’Airbus est loin d’être le seul, en région, à redécoller en mode supersonique. Porté par ses commandes, elles aussi record, Dassault Aviation a même dû pousser les murs de son usine de Seclin, spécialisée dans la fabrication de pièces dites « primaires » en aluminium et en titane, pour les avions civils et militaires du groupe. Moyennant 12 M€ d’investissement, 13.000 m2 supplémentaires y ont été adjoints, portant la surface totale du site à 50.000 m2.
« Les investissements massifs de ces dernières années se sont accompagnés d’une forte hausse des effectifs : l’usine accueillait 300 salariés en 2018, nous en recensons actuellement plus de 600, en comptant les prestataires sur site, les intérimaires et les apprentis. La cible est de 700 personnes au total en 2025 », annonçait Eric Trappier, PDG de Dassault Aviation, lors de l’inauguration de l’extension, en septembre dernier. Idem pour Matra Electronique dans l’Oise, qui a investi, en 2021, 40 M€ afin de se doter d’une usine 4.0 dédiée à la fabrication de ses équipements électroniques pour les avions, civils et militaires, les fusées et autres satellites.
A ces activités en pleine expansion se sont ajoutées deux implantations récentes, dans le Valenciennois : le groupe indépendant Aresia (ex Rafaut) s'est installé en bordure d'aérodrome à Rouvignies, où il fabrique des corps de bombe, un secteur d'activité évidemment favorisé par l'actuel contexte géopolitique ; et Airfoils Advanced Solutions, coentreprise entre Air France et Safran, spécialisée dans la maintenance des ailettes de compresseurs haute pression des moteurs d'avion, qui a posé ses valises à Sars-et-Rosières, moyennant un investissement de 20 M€. La Covid a ralenti ses développements, mais le site affiche l'ambition de monter à 170 collaborateurs.
Grosses difficultés de recrutement
Le barycentre de l'aéronautique régionale se trouve donc en Haute-Picardie, avec plusieurs sites d'excellence dans le Nord ou l'Oise. La fusion des régions aura donc au moins eu ce mérite de permettre à la filière aéronautique locale de se construire. Dans ce but, l’historique Pôle Hydraulique et Mécanique d’Albert, plus connu sous l’acronyme de PHMA, a été rebaptisé en 2018 pour devenir Altytud. Un cluster qui rassemble aujourd’hui 80 membres, de la TPE au géant industriel, qui pèsent au total une « dizaine de milliers d’emplois », selon Sophie Pouillart, sa déléguée générale. Financé par la Région et les cotisations des adhérents, le groupement emploie trois salariés et dispose d’un budget de 200 K€ annuels. De quoi mener des actions d’animation de la filière, mais aussi accompagner les entreprises dans leur transformation (cf l’interview ci-après). Et c’est peu dire que les défis ne manquent pas. Le rapide rallumage des feux du secteur a provoqué des échauffements qui ont mis les industriels sous tension. Car tous les problèmes d’approvisionnement en composants électroniques ou en matières premières sont loin d’être résolus. Et la crise de l’énergie n’a fait qu’aggraver la situation... Mais tout cela n’est sans doute rien, comparé aux difficultés de recrutement.
En 2022, les quelque 200 industriels de la filière ont dû trouver plus de 500 profils, la plupart extrêmement techniques. Au moins autant devraient être recrutés cette année. « Nous recherchons tous, jusque dans les petites Pme en territoires, la bonne main d'œuvre », déclarait il y a quelques jours sur BFM Eric Trappier, patron de Dassault Aviation. Pour gonfler leurs rangs, les entreprises déploient des trésors d’imagination et tentent, comme elles le peuvent, de rendre l’industrie séduisante aux yeux des jeunes. Job Dating, « Aerogame » (un escape game spécial aéronautique), journée de « découverte des entreprises d’avenir », participation à des meeting aériens... Ces derniers mois, les responsables d’Altytud ont ainsi fait feu de tout bois pour tenter de susciter les vocations.
« C’est aujourd’hui l’un des principaux problèmes », reconnaît Sophie Pouillard. D’autant que les acteurs de la filière doivent évoluer très vite pour répondre aux mutations technologiques du secteur, liées à la décarbonation du transport aérien, mais aussi à la multiplication des innovations liées, par exemple, aux nouvelles mobilités. Pour la première fois, les pré-commandes concernant des taxis volants et autres aéronefs électriques ont dépassé celles d'Airbus et de Boeing, lors du dernier salon du Bourget. Une véritable révolution à laquelle « l’ensemble des acteurs, les sous-traitants notamment, doivent se préparer », selon Sophie Pouillart. « Heureusement, les savoir-faire sont bien ancrés en région », conclut-elle.
Témoignage : Véronique Hiolle, dirigeante du groupe Hiolle Industries
Le groupe valenciennois s'est diversifié il y a quelques années dans le secteur aérien en rachetant des entreprises de câblage. Un choix qui s'avère fort judicieux. « On est sur l'aérien militaire, ça se développe bien. On fait notamment l'équipement câblé embarqué pour le Rafale. Les cadences annoncées vont doubler sur les prochains mois », indique la dirigeante Véronique Hiolle. Le groupe travaille aussi pour les Falcon ou encore pour la maintenance des trains d'atterrissage au profit de Safran. « L'aérien représente aujourd'hui 10% du chiffre d'affaires du groupe et fait travailler 50 salariés. L'objectif est de monter ce chiffre à 15% dès 2025 »
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