A quoi servent encore les Chambres de commerce ?

La baisse des ressources étatiques a contraint les chambres consulaires à un aggiornamento complet ces dernières années. Avec un nouveau modèle de fonctionnement, pour les faire entrer dans une logique d’entreprise. La multiplicité des crises récentes leur a donné un regain de légitimité. Eclairage.

 

Le couperet est passé près. Au point que certains pensaient que les chambres de commerce allaient disparaître. Encore
récemment, la Cour des Comptes, dans son rapport du 18 mars 2021, les critiquait sévèrement. La juridiction financière pointait leur rôle « marginal» auprès des entreprises pendant la crise sanitaire, qui aurait surtout consisté à «délivrer gratuitement de l’information». Elle dénonçait aussi une connaissance superficielle du marché économique, en raison d’investissements insuffisants en matière de formation des collaborateurs. Dans leurs conclusions, les magistrats de la rue Cambon recommandaient «une évaluation complète et sans tabou de l’utilité des réseaux consulaires pour les entreprises», qui «devra permettre de vérifier la légitimité du maintien du financement public».
En 2014, le gouvernement de Manuel Valls avait déjà décidé de réduire drastiquement leurs dotations fiscales. Auparavant, la contribution publique représentait 50% du budget de la CCI Hauts-de-France. Un ratio tombé à 30%. A la CCI Grand Lille, elle a chuté de 40%. Mais cette baisse était sans doute un mal nécessaire pour que les institutions consulaires s’interrogent sur leur fonctionnement et engagent leur aggiornamento.

« Les CCI se sont comportées pendant un certain nombre d'années à la manière de notables et d'institutions, elles n'ont pas voulu se remettre en cause », estime Philippe Vasseur, ancien président de CCIR.
Pour compenser, des plans drastiques d’économie ont été mis en place. A la CCI Hauts-de-France, une partie du patrimoine immobilier a été cédée et plus de 200 collaborateurs ont été licenciés. « Chaque CCI de la région a dû apporter sa contribution au plan social, témoigne un ancien cadre. Malheureusement, des compétences très importantes ont été perdues, car de nombreux seniors sont partis.» « La mission de développement des pôles économiques est un peu moins forte en raison de la baisse des dotations de l’Etat », ajoute Yann Orpin, le président du Medef Lille Métropole.

Changement de modèle économique 

« Un changement de modèle économique s’imposait, avec une augmentation des ressources privées», détaille David Brusselle, le directeur général de la CCI Hauts-de-France. Les collaborateurs ont été formés à la relation client. « On a mis quatre ans à le faire. Tous nos collaborateurs sont désormais dans une logique de soutien aux entreprises et de facturation, tout en restant très attachés au statut d’établissement public de la CCI.»

« On devient une entreprise », relève Aurélie Vermesse, la présidente de la CCI Grand Lille. « Aujourd'hui, une autre trajectoire est trouvée et les CCI ont des capacités de démontrer qu'elles servent à quelque chose », se félicite Philippe Vasseur.

La succession de crises (Brexit, covid-19, inflation, Ukraine, énergie) a aussi obligé les CCI à revoir leur façon de travailler. « La crise sanitaire a accéléré la proximité et notre volonté de servir les entreprises en mode task forces, avec la Région et l’ensemble des acteurs locaux », explique Philippe Hourdain, le président de la CCI de région. Pour Yann Orpin, « la baisse budgétaire oblige les CCI à travailler avec d’autres organismes, tels que le Medef ou les confédérations d’artisans. On n’a plus les moyens de porter seul les sujets.»

Lobbying
Aujourd’hui, la CCI des Hauts-de-France (comme toutes les CCI) a trois missions fondamentales : le conseil aux entreprises, la formation, la gestion et le développement d’infrastructures (ports, aéroports, parc d’activités). Philippe Hourdain en ajoute une quatrième, représenter les entreprises, « non dans une logique syndicale, mais pour présenter leurs différences et leurs besoins à divers interlocuteurs. Pour que cette quatrième mission réussisse, il est impératif que les trois missions fondamentales fonctionnent. » « On essaie d’être le plus présent possible auprès des politiques pour défendre les entreprises, en faisant du lobbying », commente Aurélie Vermesse.

Le conseil passe par la publication d’un guide des services aux entreprises, ou bien par le site Internet Les-aides.fr recensant les dispositifs dont peuvent bénéficier les entreprises. Sur les 170 000 à 180 000 établissements des Hauts-de-France, la CCI en accompagne 15 000 chaque année. 40 000 personnes sont formées annuellement par la CCI Hauts-de-France, ce qui en fait le deuxième acteur de la formation régionale après l’Education Nationale. Cette offre est scindée en deux, entre la nouvelle marque Laho, qui chapeaute tous les établissements gérés par la CCI, et les filiales (Sup de Co Amiens, CEPI...). « Pour une grande partie de leur activité, les CCI sont en concurrence avec le privé, relate l’ancien cadre de la CCI Hauts-de-France. Leur valeur ajoutée n’est pas énorme, d’autant plus qu’elles sont soumises à certaines règles, comme celles des marchés publics. Même si le niveau des formations proposées par les CCI est bon, la quasi-totalité d’entre elles sont aussi assurées par des organismes privés. Si les CCI disparaissaient demain, leur place serait facilement prise.»

La seule fusion intégrale

L’international est l’une des missions prioritaires de la CCI Hauts-de-France, avec CCI International.
«Les entreprises qui résistent le mieux aux crises sont celles qui innovent et celles qui vont à l’international, explique David Brusselle. On veut qu’il y ait plus d’exportateurs et plus d’exportations.» C’est dans cette perspective qu’a été créé TFE, Team France Export en collaboration avec Business France. Aujourd’hui, la région compte 12 000 exportateurs. 1 600 entreprises sont accompagnées chaque année.

La CCI Hauts-de-France est la seule structure consulaire de l’Hexagone qui ait intégralement fusionné. Le mouvement avait été lancé dès 2006-2010, avant la baisse des dotations. De 13 chambres à l'époque, la carte s'est simplifiée à une CCI de région, 7 CCI territoriales et 25 agences. « C’est un modèle unique qui s’appuie sur deux piliers, la proximité à l’entreprise et la stratégie régionale, expose David Brusselle. On travaille dans la collégialité. Tout le monde est associé à la réflexion. Avant, il y avait 18 budgets, maintenant il n’y en a plus qu’un, piloté par une seule direction générale. »

« Un programme peut être rapidement mis en œuvre. C’est un marqueur, mais aussi une source de légitimité », ajoute Philippe Hourdain.

La notion de territoire reste fondamentale


Mais pourquoi ce modèle « unique » n’a-t-il pas fait florès en France ? Ne peut-il pas entraîner des décisions trop centralisées ? « On n'avait pas le choix pour la fusion, se rappelle Philippe Vasseur, mais la contrepartie, c'est qu'il faut des modes de gouvernance très transversaux. La notion de territoire reste fondamentale. Le jour où elles perdent leur dimension locale, les CCI ne servent plus à rien.»

Le pilotage fin de la gouvernance est d'autant plus nécessaire dans les Hauts-de-France que le monde patronal y compte un autre acteur incontournable - et unique en France, le campus Entreprises & Cités, et son arsenal d'outils de développement territorial. Alors qu’une chambre de commerce est une institution qui lève l’impôt, sous la tutelle du préfet, Entreprises & Cités est privée. «Notre originalité, c’est d’être une organisation patronale», assume Jean-Pierre Letartre, son président. Son action est cousine de celle des CCI. «Nous avons de très bonnes relations avec les chambres de commerces, et on est prêt à faire plus de choses ensemble.» Un discours qui rejoint celui de Philippe Hourdain: «On ne travaille pas assez ensemble. Il faut progresser là-dessus.» Le message est passé.

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