Urgence climatique : La région se hâte lentement

Credit Michael Lachant Credit Michael Lachant

Les épisodes météo extrêmes se multiplient. L'érosion côtière s'accélère. La ressource en eau se raréfie. Des zones entières du littoral sont menacées à terme de submersion. Le risque climatique est de moins en moins virtuel dans notre région très exposée. Mais si la prise de conscience est désormais pleinement acquise, la réponse de terrain se révèle très lente.

Chaleur extrême, montée des eaux, mouvements de sol, sécheresse, incendies... D’ici à 2050, les conséquences du changement climatique seront toujours plus dévastateurs. Notre région est particulièrement exposée. Elle serait même la plus menacée de l’Hexagone — devant Provence-Alpes-Côte d’Azur et Grand Est — et la 121e au rang mondial, selon XDI. Pour dresser son classement, cette société australienne d’analyse des risques climatiques a centré son étude sur les dommages causés sur le bâti ; les maisons, les usines, les infrastructures...
De son côté, l’établissement public BRGM s’est intéressé aux submersions marines à travers une carte interactive mise en ligne sur son site Internet qui met en évidence les zones à risque. Pour notre région, le constat est édifiant. Toute la banane étendue entre Calais et Dunkerque, en passant évidemment par Gravelines, est dans le rouge. Une zone hautement stratégique avec un parc industriel majeur, et où se- ront encore injectés des milliards d’euros pour l’implantation ou le développement de projets structurants. A l’instar de celui de la décarbonation d’ArcelorMittal, de l’usine de batteries électriques de Verkor moyennant un investissement d’1,3 Md€. Ou encore de la centrale de Gravelines désignée par le gouvernement pour accueillir deux EPR à horizon 2035, à l’issue d’un investissement d’environ 17 Mds€.

« La zone Calais-Dunkerque est un polder depuis le XIIe siècle. Ce n’est un secret pour personne, atteste le délégué général du Medef Côte d’Opale Franck Hélias. On est exposé à ce risque de submersion depuis très longtemps. On vit avec car, sur le territoire, nous avons la culture de la gestion du risque. Nous avons des solutions pour faire face, comme la surélévation des sites sensibles. »

Au-delà de ces projections lointaines, les évènements météorologiques toujours plus fréquents et plus intenses d’année en année sont le reflet que le changement climatique est d’ores et déjà une réalité en Hauts-de-France. Depuis le milieu des années 50, le niveau de la mer s'élève : +10,1 cm à Dunkerque. La température moyenne aussi, avec 2 degrés de plus en 70 ans à Lille comme à Beauvais, selon l’Observatoire Climat Hauts-de-France du Centre Ressource du Développement Durable. Les jours « anormalement chauds » sont plus nombreux, contrairement à ceux de gel. 2022 aura été l’année de tous les dangers. Marquant même « une rupture », d’après la Dg de Groupama Nord-Est Patricia Lavocat Gonzales. La tempête Eunice aura causé bien des dégâts sur son passage à la mi-février. Avant qu’une vague de chaleur extrême n’asphyxie les Hauts-de-France en plein été. Avec des températures frôlant les 40°C fin juillet à Lille, Arras ou Boulogne-sur-Mer. A l'automne, deux immeubles s'effondraient à Lille, tandis que 14 autres maisons fissurées étaient éva- cuées dans les semaines suivantes.

Des nappes presque à sec 

Et la situation ne semble pas aller en s’améliorant. Cet hiver, la pluie fut rare. La période entre novembre et mars, généralement propice au rechargement des nappes, s’est soldée par un déficit pluviométrique inédit depuis... 1959. Voire alarmant si un énième épisode aride devait ressurgir dans les prochains mois. Une catastrophe selon les spécialistes. Nos nappes phréatiques souffrent. Leur niveau est jugé « modérément bas » dans le Pas-de-Calais et la Somme, voire «bas» et «très bas» dans le Nord et l’Aisne. Didier Benard, Dg régional de Veolia Eau, le confirme : « Le niveau de nos nappes est en dessous de celui de 2019, année déjà considérée comme très difficile ». A défaut de précipitations, ce seront donc les arrêtés sécheresse qui ne devraient pas tarder à pleuvoir chez nous... Encouragés par le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu qui, début mars, a invité les préfets « à ne pas avoir la main qui tremble ». Après le plan de sobriété énergétique, un plan de sobriété sur l’eau apparaît donc de mise.

Notre région est donc vulnérable. Et le tic-tac de l’horloge climatique pousse à accélérer nos défenses. Mais quelles sont nos marges de manoeuvres ? Comment nos territoires s’adaptent-ils ? Les initiatives se multiplient, ici et là. Des projets volontaristes certes, mais de longue, voire de très longue haleine.

Evolution climatique 1955-2018
Niveau de la mer : + 10,1 cm à Dunkerque
Température moyenne : + 2° à Lille ou Beauvais
Jours de gel :
- 28 jours à Abbeville
- 24 jours à Boulogne-sur-Mer
 
Reconquête des cours d'eau
 
A la MEL, on mise sur un plan de reconquête des cours d’eau (600 km de rivières et 100 km de canaux). Avec le déploiement d’ouvrages contre les inondations, la renaturation des cours ou bien la création d’îlots de fraîcheur. Soit 44 projets d’ici 2044. Pour notamment pallier les risques d’inondations mais aussi améliorer l'environnement et renforcer l’attractivité du territoire. « Le temps peut paraître long, reconnaît Alain Blondeau, conseiller métropolitain délégué à la Gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. Mais c’est le temps de l’instruction qui nous l’impose. Avant de nous délivrer les autorisations, qui peuvent prendre deux ans, l’Etat veut s’assurer que l’on ne déplace pas le problème qu’on cherche à résoudre. »

Sur le littoral, le Pôle Métropolitain Côte d’Opale (PMCO) accompagne les territoires, tout en sensibilisant élus et concitoyens des 11 intercommunalités qu’il réunit. Depuis deux ans (seulement !), ce syndicat mixte, créé il y a 50 ans, intègre le changement climatique à ses discussions. Objectif : « établir un état des lieux sur les thématiques de l’eau, des sols ou de l’urbanisme pour identifier les trous dans la raquette », détaille son vice-président Christian Leroy. Bien qu'« il n’existe pas de solution miracle, admet Olivier Caillaud, ingénieur au PMCO, on dispose de plusieurs solutions adaptées aux spécificités de chaque territoire ». Au sud de Wissant par exemple, la Ville renforce ses dunes avec du sable pour éviter la submersion de ses lotissements. A Ault dans la Somme, aidée par la Région à hauteur de 8 M€ environ, la municipalité s’équipe d’infrastructures pour gérer les eaux pluviales acides qui accélèrent l’érosion de ses falaises. Par ailleurs, la construction des nouveaux logements publics dans l’arrière-pays est devenue la règle. A l'inverse, certains privés continuent de faire pousser des programmes un peu partout sur le littoral, pourtant en proie aux plus grands risques. « Pour l’instant rien dans la loi n’interdit ces constructions », regrette Olivier Caillaud.

Réutilisation des eaux usées 

Veolia Eau accompagne quant à elle les collectivités dans la préservation de la ressource en eau potable. En développant par exemple des technologies comme des capteurs acoustiques capables de détecter les fuites sur les réseaux. « Avec la multiplication des grands froids et de dégels rapides, les casses se multiplient, explique Didier Benard, Dg régional. Le rendement de notre réseau est de 80% en moyenne. Il nous faut limiter ces 20% perdus grâces aux nouvelles technologies et à la sensibilisation à la sobriété dans les usages. »

La filiale de Veolia entend aussi accélérer dès cet été l’utilisation des eaux usées traitées. Les stations d’épuration de Mazingarbe et de Loison-sous-Lens réutilisent déjà ces eaux non conventionnelles dans leur process de fonctionnement. Etape suivante : le lancement d’une expérimentation sur la station d’épuration de Marquette-lez-Lille qui consistera à l’irrigation in situ de certaines cultures maraîchères. Veolia Eau serait prêt à passer la surmultipliée avec cette technique maîtrisée de longue date. Mais pas- ser à la vitesse supérieure requiert un feu vert des pouvoirs publics qui se fait attendre. Or l'enjeu est loin d'être anecdotique : en Espagne, 14% des eaux non conventionnelles sont déjà réutilisées, contre... 0,8% dans l'Hexagone !

Dans la course contre la montre de l'urgence climatique, le temps long des procédures administratives à la française gagnerait sans doute à être écourté.

Le changement climatique est aussi source d'opportunités 

Dans l’agriculture, l’arrivée de nouvelles cultures dans nos terres est une des conséquences directes du changement climatique.
La plantation de vignes en région est l’exemple le plus frappant. Ci-contre, les parcelles cultivées par l’agriculteur Laurent Sellie à Quiéry-la-Motte pour le compte de Ternovéo, filiale d’Advitam, qui sera chargé de transformer le raisin en vin. « Pour accueillir de nouvelles cultures, il faut que les variétés soient adaptées à notre terroir, maintenant que le climat est favorable. C’est notre travail», explique Marin Desprez, directeur stratégie du semencier Florimond Desprez. « Notre activité consiste à faire le travail des abeilles mais en plus ciblé. » Un travail de longue haleine puisqu’il peut prendre entre 7 et 10 ans !

Crédit : Laurent Mayeux

A lire aussi : Carré teste l'agriculture de demain dans sa ferme pilote

Questions à Patricia Lavocat Gonzales, DG de Groupama Nord-Est 

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