Pascal Boulanger, président national de la Fédération des Promoteurs Immobiliers

"Il nous faut maintenant des mesures très rapides !"

Le président national de la Fédération des Promoteurs Immobiliers dresse un tableau catastrophique du secteur immobilier, paralysé entre le taux d'usure, l'immobilisme des élus locaux, l'attentisme des acquéreurs, et les pressions inflationnistes. Il estime nécessaire de prendre des mesures de long terme et immédiates, pour traiter à la fois les problèmes structurels mais aussi la crise d'urgence.
Rencontre.

On entend de plus en plus de cris d'alarme sur la situation du secteur du logement. Quelle est la réalité de la situation ?

On est au-delà du cri d'alarme. On est en mode véhicule arrêté sur la bande d'arrêt d'urgence avec les warnings allumés !

Comment en est-on arrivé là ?

On a d'abord une crise de l'offre. Depuis les élections municipales de 2020, les maires sont très réticents à signer les permis de construire car ils se sont rendus compte que la population n'en voulait plus. Aujourd'hui, on a une chute totale des autorisations de construction. Certains maires me disent même : je ne peux pas vous délivrer de permis de construire car la population ne l'accepterait pas, mais vous allez le déposer, je ne vais pas le signer, vous allez m'attaquer au tribunal, où je vais perdre, on va me donner l'injonction de signer le permis, au moins j'aurai sauvé la face vis-à-vis de mes administrés.

C'est notamment le cas car plusieurs maires emblématiques comme Gérard Collomb ou Alain Juppé dont le dauphin s'est fait battre par des élus écologistes. Avec comme conclusion: si tu es un maire bâtisseur, tu es un maire battu ! La population ne veut plus de construction, c'est le syndrome NYMBY : not in my backyard. Là dessus, la guerre en Ukraine a débuté en février 2022. Avec cette fois une crise du prix de revient. Quand ils lancent leurs programmes, les promoteurs savent à quel prix ils vont construire leur immeuble. Ils n'attendaient pas les réponses aux appels d'offres pour lancer les commercialisations. Aujourd'hui, en moyenne une opération sur cinq ne sort plus car la rentabilité économique ne le permet plus. Les promoteurs préfèrent attendre des jours meilleurs.

L'offre est donc à l'arrêt, mais la demande est toujours là, non ?

Le besoin est là. Mais il est arrivé quelque chose qu'on n'a pas vu arriver, c'est d'abord un ralentissement en juillet-août, une baisse en septembre. Et depuis le 1er décembre, il ne se passe plus rien! La demande est bien plus faible avec environ 35% en moins. Et on observe un niveau de désistement jamais vu. Ce niveau est en moyenne longue de 13%. Il est passé en 2022 à 27%. Et depuis le premier décembre, on a dépassé les 50%!

Comment explique-t-on ce soudain revirement ?

Les clients sont un peu inquiets, ils viennent moins. Il y a moins de réservation car il y a moins d'offres aussi. Mais malgré une offre en recul, on continue quand même à voir notre stock d'appartements à la vente progresser car on ne vend plus rien ! La moitié des désistements relève d'un phénomène psychologique, dans le délai légal de 10 jours. L'autre moitié, c'est le fait des banques qui, à cause du taux d'usure, ne peuvent pas prêter.

La mensualisation du taux d'usure devait apporter une réponse...

Une grande banque régionale me disait qu'en moyenne elle prêtait 100 M€ de crédits acquéreurs par semaine. Mais aujourd'hui elle a placé un seuil à 30 M€ par mois, c'est divisé par 14! A cause du taux d'usure les banques prêtent quasiment à perte. Avec la mensualisation du taux d'usure, c'est moins pire. Mais de toute façon il y a eu ces derniers mois une inflation de crédits acquéreur qui allait plus vite que le calcul du taux d'usure trimestriel voire mensuel. Aujourd'hui, ça se calme un peu. Mais les conditions imposées aux banques par le gouverneur de la Banque de France restent encore à ce jour (interview réalisée le 13 avril) en-dessous du prix de revient: les banques n'ont aucun intérêt à prêter à des acquéreurs qui empruntent sur 15 ou 20 ans car ce sont des pertes sur 15 ou 20 ans. Le tableau est catastrophique.

 

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La sévérisation constante des normes est-elle un élément aggravant selon vous, ou un mal nécessaire ?

Voilà très longtemps que je dis dans mes différentes fonctions que le mieux est l'ennemi du bien. Pour les normes énergétiques comme le RE 2020, l'Europe est la zone la plus exigeante et au sein de l'Europe, la France est encore plus exigeante... Chaque fois qu'on publie une norme, sur la taille des logements, la réglementation énergétique, thermique, ça part d'une bonne idée, mais à chaque fois cela a un coût. Ca se passait bien quand on avait des taux d'intérêt bas ou nuls. Aujourd'hui, il ne faudrait pas confondre l'accessoire et le principal, qui est quand même de loger nos concitoyens. On a voulu avoir un modèle de perfection. Le problème c'est que plus personne n'a les moyens de se l'acheter et c'est là que cela devient dramatique. Quand les taux d'intérêt étaient bas, qu'il n'y avait pas la crise des matériaux, ça passait. On râlait déjà. Mais aujourd'hui, j'ai titré mon dernier édito « le malade chronique arrive aux urgences »... Certains promoteurs sont en insuffisance respiratoire.

Les pouvoirs publics ont-ils pris conscience de l'acuité du problème ? Le secteur immobilier est stratégique...

Je tire la sonnette depuis mon élection en juillet 2021. Aujourd'hui, il y a prise de conscience totale de la situation, la preuve c'est qu'Elisabeth Borne comme Emmanuel Macron ont créé un CNR sur le logement. Ca va dans le bon sens. Mais mon patient est aux urgences. On ne traite pas un diabète classique comme une insuffisance respiratoire. J'ai dit au ministre du logement : « Il nous faut maintenant des mesures très rapides. J'ai des promoteurs qui font des mois négatifs avec plus de désistements que de réservations. Il faut donner tout de suite l'envie de revenir dans nos prix de vente, de racheter du logement, et trouver des solutions pour que ces taux de désistement reviennent à des chiffres normaux».

Quid dans la région Hauts-de-France ?

La région Hauts-de-France a des chiffres encore moins bons qu'au niveau national. Les réservations nettes ont baissé de 59% en mars par rapport au même mois de 2022, et février était en recul de 56%... Et il ne faut pas oublier que 2022 était déjà une annus horribilis, pire que 2020, année Covid...

Quelles mesures rapides permettraient de redonner de l'air à la profession ?

J'ai besoin de deux dispositifs, pour la maladie chronique et pour l'urgence. Sur le premier point, je propose de flécher une partie de la TVA immobilière au-delà d'un certain niveau vers les maires bâtisseurs. C'est du gagnant-gagnant.

Prenons une ville moyenne qui réalise 300 logements par an, mais qui n'y a plus intérêt, les voisins râlent. Le chantier, c'est la poussière, l'encombrement, puis quand les logements arrivent, il n'y a plus de place dans les écoles ou les crèches. Il faudrait que le héros ne soit plus celui qui a réussi à stopper les projets mais à les faire sortir. L'idée serait que jusqu'à 280 logements, le maire ne touche rien, mais à partir du logement suivant, il y aurait un partage de la TVA avec Bercy, qui ne serait donc pas perdant dans l'histoire.

Une autre mesure de long terme que j'appelle de mes vœux, c'est une pause normative : les entreprises du bâtiment viennent nous voir parfois pour nous dire qu'elles ne sont même pas sûres d'y arriver techniquement ou financièrement... Il faudrait instituer une servitude de densité minimale : que les PLU doivent être considérés comme un minimum garanti, car les élus s'amusent parfois à rabaisser la constructibilité... Je demande aussi la reconnaissance d'un statut du bailleur professionnel, qui pourrait amortir son bien comme un entrepreneur. Ce ne serait plus une niche mais un modus operandi, un métier.

Et pour les mesures d'urgence ?

La sortie mensuelle du taux d'usure s'arrête normalement au 30 juin. Pourquoi ne pas prolonger au moins jusqu'au 31 décembre ? Il faudrait aussi assouplir les conditions d'accès au crédit notamment pour les propriétaires investisseurs. Or on compte l'investissement immobilier dans les 35% d'endettement. On devrait le neutraliser. Je préconise aussi le retour au Pinel classique et l'abandon du Pinel + qui ne marche pas du tout. C'est trop compliqué, les logements sont trop grands.

Autre exemple : en 1993-94, sous Balladur, tout appartement neuf acheté sur une période donnée était exonérée de droits de succession. Ce qui permettait à des gens d'acheter en empruntant et de faire une donation à leurs enfants dès le lendemain. Sous Nicolas Sarkozy, la déduction de 25% des intérêts d'emprunts avait été remise pour les accédants. On pourrait le refaire sur une période limitée.


Même si plusieurs de ces mesures devaient être adoptées, il y a un effet d'inertie. Ne risque-t-il pas d'y avoir de la casse dans la profession ?

Oui et non. On sait que CDC Habitat et les bailleurs sociaux, Action Logement, se préparent à faire comme en 2008, aider à déstocker des programmes. Si ça continue et qu'on ne fait rien, face à des promoteurs qui doivent normalement faire des milliers de logements par an mais sont quasiment à zéro fin mars, ce n'est pas possible. Un logement moyen en France, c'est 250 K€ hors taxe. Le promoteur qui a plusieurs centaines de logements de retard, vous voyez l'impact !

En 2008, l'Etat avait encore des moyens. Aujourd'hui beaucoup moins...

Vendre aujourd'hui des logements neufs exonérés de droits de succession, en empruntant, cela génère des rentrées de TVA pour l'Etat, qui ne se prive de droits que pour dans 20 ans. Bruno Le Maire me dit qu'il ne faut pas toucher à la TVA. Mais les mesures que je propose ne coûtent rien à l'Etat. J'ajoute que construire, c'est bon pour la planète : les logements qu'on bâtit aujourd'hui sont 5 fois moins énergivores qu'il y a 30 ans.

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