Alain Di Crescenzo, pdt de CCI France : "Jamais les entreprises n'ont eu autant besoin de nous"

Le président du réseau de 122 CCI françaises défend un modèle consulaire aujourd'hui largement reformaté après les coupes claires des dix dernières années. Et qui mène des actions d'intérêt général à un coût très inférieur à ce que ferait l'Etat en direct, selon lui. Rencontre.

Le réseau consulaire a subi ces dernières années des mises en cause financières, des crises multiples au point que certains annonçaient la mort des CCI. Où en êtes vous aujourd'hui ?

Les CCI en France, ce sont 9 000 chefs d'entreprises investis dont 4 400 élus, ce sont 14 000 collaborateurs dans 122 CCI dont l'une s'appelle CCI France. L'an dernier, nous avons accompagné pas moins de 419 000 porteurs de projets et de 593 000 entreprises, c'est-à-dire une entreprise toutes les sept secondes ! Et au-delà du volume, il faut aussi souligner la qualité du travail accompli. Le taux de satisfaction mesuré est de 8,1 sur 10, le taux de recommandation est aussi à 8,1%, selon une enquête Opinion Way en 2022. Mieux, les entreprises accompagnées nous disent qu'elles ont vu leur chiffre d'affaires monter, qu'elles ont investi ou qu'elles ont embauché.

Les CCI ont donc toute leur raison d'être ?

On est dans une sorte de « bashing » envers les institutions. Mais les évaluations que je viens d'évoquer montrent qu'on s'en sort bien. Nous avons également d'autres activités. On l'oublie trop souvent, nous sommes le premier formateur après l'Education Nationale ! En 2022, nous avons formé 400 000 personnes, avec un taux d'insertion à plus d'un an de 77% en formation continue, et de 80% en formation initiale. Nous gérons aussi des ports, des aéroports, au total 500 équipements. Les collectivités disent que sans nous, elles ne sauraient pas faire.

Quel a été l'impact des réductions drastiques de vos ressources fiscales ces dernières années ?
Considérable. Nous comptions 25 000 salariés en 2013, nous nous sommes séparés de 11 000 collaborateurs ! La taxe pour frais de chambre est passée de 1,383 milliard d'euros à l'époque à 525 M€ l'an dernier.

On évoquait même une baisse pour atteindre 375 M€, il me semble...
C'était en effet une trajectoire envisagée un temps par le ministère de l'économie, mais on n'en parle plus. Si on veut tuer le réseau, on passe à ce niveau ! On ne peut pas regarder les millions d'euros comme ça. Il faut savoir que quand l'Etat met un euro, nous en générons deux. Prenez le budget des CCI : les 525 M€ de la taxe représentent 30% de nos ressources. 43% proviennent de la facturation, principalement la formation, 8% des subventions, auxquelles s'ajoute la taxe d'apprentissage et les OPCO pour 18%.

Certains contestent parfois la présence des CCI dans le champ concurrentiel. Comment vous positionnez-vous sur ce plan ?
Nous sommes pleinement dans le champ concurrentiel dans le domaine de la formation. Après, la majorité de nos prestations aux entreprises sont gratuites. Il existe parfois un ticket modérateur. Il existe très peu d'activités en concurrence directe. Les CCI sont là pour créer de la valeur, pas pour créer de la concurrence.

Etes vous rassuré sur l'avenir ou vous sentez-vous toujours menacé par des restrictions budgétaires ?
Les CCI font un travail que personne ne fait. Pourquoi payer 1,7 milliard d'euros pour payer ce que nous faisons aujourd'hui pour 525 M€, il peut le faire ! On a eu une première preuve d'amour de l'Etat avec la stabilisation de la taxe pour frais de chambre pour 2022 et 2023. J'espère bien qu'après il n'y aura pas de coupe budgétaire. Jamais les entreprises n'ont eu autant besoin de nous. On a fait tout ce que l'Etat nous a demandé, on a institué des KPI, nos clients sont satisfaits de nous.

Ces dernières années ont montré un grand mouvement de fusion et de mutualisation du réseau consulaire, spécialement dans les Hauts-de-France. Faut-il poursuivre ces orientations ?

On n'a jamais poussé les CCI à la fusion dans les régions. On l'a fait dans les départements. Et les CCI sont passées de 184 établissements en 2000 à 122 aujourd'hui. Après, l'organisation au sein de chaque région appartient aux CCI de la région. La plupart des régions sont aujourd'hui dans un système fédéral où la CCIR gère le personnel, distribue la taxe pour frais de Chambre, signe les contrats d'objectifs et de moyens avec l'Etat, gère l'international, est en charge d'orchestrer la mutualisation. Paris Ile de France et Hauts-de-France sont dans un système régionalisé.

Mais vous savez, la structuration de l'entreprise ne fait pas l'économie, c'est avant tout l'envie de faire. Le projet que j'ai porté est plutôt fédéral, mais avec des indicateurs de performance, et dans la mutualisation. Conserver une mobilisation forte des élus quand il n'y a pas de CCI départementales pose parfois quelques problèmes de motivation. Et il nous faut avoir des interlocuteurs à tous les niveaux, ce qui nous permet de négocier mieux, y compris des subventions et aides au niveau des départements et des communautés de commune.

Les dernières années de restrictions dans le monde consulaire ont-elles affecté l'état d'esprit de vos équipes ?
Les charges à l'encontre des consulaires se sont calmées depuis deux ans. Mon boulot, c'est que ce soit définitif ! Il y a une énergie collective. On a pu signer en quatre mois et à l'unanimité notre convention collective et notre première NAO, les équipes sont alignées.On a des gens globalement motivés et qui ont le sens de l'action publique.

La participation à la chose publique est plutôt en déclin en France. Qu'en est-il du côté des chefs d'entreprise ?
Ca tient plutôt bien. Le problème plus difficile que je dois affronter est la parité, car nous n'avons pas assez de femmes. C'est un point de grande vigilance depuis les premiers jours de mon élection : il nous faut davantage de femmes à tous les niveaux, départemental, régional et national.

Les CCI ont joué un rôle d'accompagnement pendant les crises récentes, Brexit, crise sanitaire, crise de l'énergie. Certains évoquent aujourd'hui la menace de l'IA sur nos entreprises et nos emplois, qu'en pensez-vous ?

Si on n'embauche pas ici, on embauchera ailleurs. Regardez la France, on a aujourd'hui des millions d'emplois sous tension. L'IA, c'est la possibilité d'être plus efficace, d'être meilleurs sur les tâches répétitives. Je vois cela comme une opportunité. Et à l'échelle de la France, avec les talents que nous avons dans ces technologies, c'est la possibilité de prendre le leadership et d'aller à la conquête du monde.

Vous êtes élu depuis une grosse année. Quelles sont vos grandes priorités ?
On a mis six mois à écrire un plan stratégique, avec 23 000 clients, chefs d'entreprises, porteurs de projet, apprenants et territoires... De tout ce questionnement on a sorti 70 projets dont 8 projets totems. Deux projets tournés vers l'interne, la création d'une CCI Academy et celle d'une CCI Data, pour mieux collecter et valoriser nos données, et six autres tournés vers l'extérieur. Il s'agit de transition en- vironnementale, numérique et RH, mais aussi de transmission : sait-on que plus de 20% des dirigeants ont plus de 60 ans ? Si on ne fait rien, on va transformer le territoire en no man's land. Il y a ensuite les compétences, la formation et l'emploi : il faut anticiper pour orienter vers les métiers qui embauchent. Nous avons aussi la déclinaison de France 2030, pour faire en sorte que ces 54 milliards d'euros puissent être à la disposition des entreprises. Le commerce extérieur est aussi une priorité : veut-on être parmi les grandes nations ? Si notre pays est aussi faible à l'export, c'est qu'il ne produit pas assez de biens. 80% des entreprises exportatrices produisent des biens. En France, nous sommes passés de moins de 130 000 à plus de 140 000 entreprises à l'international, c'est une belle progression mais insuffisante. En Italie, elles sont plus de 200 000 ! Le pourcentage de PIB de la France dédié à l'industrie est un tiers inférieur à celui de l'Allemagne et de l'Italie. On doit améliorer la compétitivité industrielle de la France, et la balance commerciale se rétablira.

Quel est le dernier projet qui vous anime ?

C'est l'économie de proximité. C'est ce que veulent les Français, ils veulent moins travailler dans les grandes villes. Il faut donc développer industrie, services et commerce dans les territoires, également en s'adossant à l'économie circulaire.

 

Bio Express

Président CCI France depuis janvier 2022

61 ans

Formation : ENSAM et DEA de maths appliquées à l'ENSTA

Il fut 24 ans président de l'éditeur de logiciels IGE+XAOavantdedevenir senior vice président de Schneider Electric. Président de la CCI Toulouse Haute Garonne de 2011 à 2016, président de la CCI Occitanie (2017-2021) CCI France représente 122 CCI et 14 000 collaborateurs.

 

A lire aussi 

Enquête : A quoi servent encore les chambres de commerce ?

La CCI de l'Oise veut continuer à piloter l'aéroport de Beauvais

Rubika : le pari gagnant de la CCI Grand Hainaut

Rev3, une structure hybride dédiée à la transition écologique

Ces articles peuvent également vous intéresser :

Publié le 25/05/2023 Julie Kiavué Grand Angle

Rubika, le pari gagnant de la CCI Grand Hainaut

Depuis 1988, l’école valenciennoise forme des créatifs de haut niveau dans les secteurs de l’animation, du jeu vidéo et du design industriel. Avec une recette gagnante, désormais sous statut associatif, déployée à l’international.

Publié le 25/05/2023 Guillaume Roussange Grand Angle

La CCI de l'Oise veut continuer à piloter l'aéroport de Beauvais

Alliée à Transdev et désormais au groupe NGE, la CCI de l'Oise est candidate à sa propre succession pour la gestion de la première plateforme low cost de France, dont la concession sera renouvelée, fin 2023, pour trente ans.

Photo Dominique Dokalo
Publié le 25/05/2023 Yann Suty Grand Angle

Rev3, une structure hybride dédiée à la transition écologique

Le prospectiviste américain Jeremy Rifkin voulait faire du Nord-Pas-de-Calais une région laboratoire de la troisième révolution industrielle. La mission Rev3, structure hybride entre CCI et Région, porte aujourd'hui cette ambition.

Publié le 25/05/2023 Yann Suty Grand Angle

A quoi servent encore les Chambres de commerce ?

La baisse des ressources étatiques a contraint les chambres consulaires à un aggiornamento complet ces dernières années. Avec un nouveau modèle de fonctionnement, pour les faire entrer dans une logique d’entreprise. La multiplicité des crises récentes leur a donné un regain de légitimité. Eclairage.

Les fondateurs de Gabby.
Publié le 03/05/2023 Julie Kiavué Grand Angle

Gabby : La data pour doper les agences immobilières

La jeune pousse se veut apporteur d’affaires pour les professionnels de l’immobilier. Armée d’un outil SaaS qui a vocation à convertir un prospect en mandat de vente.

Publié le 03/05/2023 Julie Kiavué Grand Angle

Sergic pousse les feux pour doubler de taille

Le groupe familial de services immobiliers est en pleine croissance. Pour nourrir son développement tous azimuts, il vise l’embauche de 400 personnes rien qu’en 2023.

Grand prix régional de la FPI, le programme Sensorium accueillera entre autres 135 logements à la Madeleine. Une opération signée Sogeprom-Projectim et Bouygues Immobilier attendue fin 2024.
Publié le 03/05/2023 Olivier Ducuing et Julie Kiavué Grand Angle

Dossier Logement : Relancer le moteur au plus vite !

Le secteur immobilier est encalminé. La construction est en berne, les prêts en panne. Le logement s'est installé dans une grande atonie. Conscient de l'acuité du problème, le gouvernement annonce un assouplissement de l'accès au crédit. Il est temps. Car la demande est toujours forte. Si certains segments du marché comme le haut de gamme ou la résidence secondaire résistent bien à la morosité, il est urgent de desserrer l'étau.

La politique de l'Etat  s’oriente désormais vers « un recul stratégique », c’est-à-dire un abandon pur et simple des zones les plus menacées.
Publié le 28/03/2023 Guillaume Roussange Grand Angle

Érosion du trait de côte : la quadrature du cercle

Comme tout notre littoral régional, la côte picarde est menacée par l'avancée de la mer, face à laquelle les communes sont bien désarmées.

"Les aléas climatiques ont coûté 10 milliards d'euros en 2022"
Publié le 28/03/2023 Julie Kiavué Grand Angle

Questions à Patricia Lavocat Gonzales, DG de Groupama Nord-Est

"Les aléas climatiques ont coûté 10 milliards d'euros en 2022"