Eco 121 : Avec la crise sanitaire, les collectivités sont confrontées à un effet ciseau : moins de recettes et plus de dépenses, comme s'en est alarmé Jean-René Lecerf, président du département du Nord. Quel est votre point de vue sur cette problématique ? Qu'en est-il exactement pour Beauvais, entre les distributions de masques, les aménagements divers (école, transports en commun…) ?
Il est aujourd’hui évident que l’impact de l’épidémie de coronavirus sera fort pour les finances communales et communautaires. On voit se dessiner trois mouvements :
- moins de recettes,
- plus de dépenses liées au Covid mais aussi à la nécessaire relance économique,
- et enfin des dépenses non réalisées pour "service non fait ».
À Beauvais, nous évaluons le bilan de cette crise sanitaire de 1,4 M€ pour la Ville et à 2,2M€ pour l’Agglo. Ce sont des sommes très importantes et, pour l’instant, ce ne sont que des estimations pour les budgets 2020. De surcroît, l’impact de cette crise se fera inévitablement sentir en 2021 et 2022 pour la Communauté d’Agglomération du Beauvaisis, notamment parce que, du fait de la baisse d’activité économique la fiscalité sera très diminuée.
En tant que présidente de Villes de France, l’association qui fédère les villes de taille moyenne, j’ai fait des propositions au Gouvernement afin que l’État puisse limiter l’impact financier de cette crise. Cela me paraît essentiel car la relance passera aussi par la commande publique. En effet, 70 % de l’investissement public est porté par les communes et les intercommunalités. Nous sommes donc un vrai levier pour l’activité économique.
Nous avons besoin de visibilité rapidement sur ces sujets afin que nous puissions lancer de nouveaux investissements, et non pas simplement poursuivre ceux déjà engagés.
Des discussions sont en cours avec le Gouvernement pour d’abord évaluer l’impact financier de manière précise puis esquisser des solutions avec, notamment, la création d’une section « Covid » dans nos budgets que l’on pourrait financer par de l’emprunt.
Toujours concernant Beauvais, à combien estimez-vous le surcoût engendré par cette crise ?
Nous sommes dans une situation nouvelle : le budget voté en décembre n’est plus d’actualité. Nous allons devoir remettre notre travail sur l’ouvrage pour réajuster et réorienter nos choix au regard de la situation telle qu’elle est aujourd’hui. Cela va également nous amener à opérer une relecture du projet municipal à la lumière de nos moyens budgétaires qui sont, il ne faut pas se le cacher, affaiblis.
Nous allons donc établir des priorités : en premier lieu, maintenir la qualité des services régaliens qui doivent être assurés par la Ville et l’Agglomération puis, dans un second temps, prioriser les actions et réaliser d’abord celles qui nous paraissent indispensables. L’impact mesuré aujourd’hui pour la Ville est le suivant :
- 1,8 à 2 millions de pertes de recettes consécutives à la crise,
- 1,2 millions de dépenses non effectuées du fait de la crise ou qui ne pourront pas l’être (Fête de la musique, Scènes d’été, 14 juillet…),
- 600 K€ de dépenses supplémentaires liées à l’épidémie de COVID-19.
Concernant l’Agglomération du Beauvaisis, nous évaluons - aujourd’hui et sans certitude - le manque à gagner à 2,2 millions d’euros pour le seul budget 2020. Les estimations en matière de perte de recettes sont complexes. Nous les estimons - à ce jour- à 500K€. Dans le même temps, nous avons 1,65 M€ de dépenses supplémentaires liées à l’épidémie de coronavirus et 400 K€ de dépenses non réalisées.
Même si ce sont les Départements qui risquent d'être le plus impactés (hausse du RSA, etc.), les comm' de comm' vont aussi devoir amortir le choc social provoqué par cette crise. Quelles mesures préconisez-vous ou imaginez-vous mettre en place ? Sachant qu'il est difficile d'agir sur le levier fiscal... Qu'attendez-vous de l'État ?
Pour notre part, nous avons d’ores et déjà mobilisés 1,5 M€ pour le soutien au secteur économique. À partir de la rentrée de septembre, s’y ajouteront 1,5 millions de prêts consentis aux entreprises. Parallèlement, un plan de relance national va être élaboré. Nous plaidons aussi, avec mes collègues de Villes de France, pour que l’État s’appuie sur les programmes déjà existants (Action Cœur de Ville, Territoires d’industrie…) qui sont connus des élus et auxquels nous devons donner plus de souplesse et de moyens. Des projets d’ores et déjà mûrs sont identifiés et permettront une relance rapide par les territoires.
Enfin, cette crise doit nous conduire à une analyse prospective. Elle a sans aucun doute modifié notre façon d’appréhender le monde et la société qui nous entourent. Nous devons à présent nous interroger, collectivement, sur ce qui prime pour que nous puissions, tous, bien vivre ensemble.
C’est pourquoi je veillerai, dans les prochains mois, à ce que soit installé à Beauvais le Conseil du futur, prolongement des Conseils de l’avenir et de la Prospective. Il réunira des Beauvaisiens de tous horizons et aura pour mission de questionner notre avenir à l’aune des changements à opérer, en analysant les ressorts de cette crise et en exposant les solutions locales qui peuvent y être apportées. À mon sens, il ne s’agit plus de « Penser global pour agir local » mais bien de « Penser local pour agir global », c’est-à-dire avoir une vraie influence sur notre façon de vivre. C’est, à mon sens, l’une des révélations de cette crise. Penser notre avenir différemment n’est plus une option, c’est une obligation.