Industrie : le grand retour ?

"Relocalisation", "made in France", "réindustrialisation" : l'industrie fait son grand retour, au moins dans le discours et les dispositifs publics. Finis le tout tertiaire et la France sans usines jadis prêchés par Serge Tchuruk. L'heure est au secteur statistiquement qualifié de "secondaire" mais redevenu prioritaire. La région des Hauts-de-France, au tropisme industriel encore puissant, veut jouer de cet avantage pour rebondir. Le réarmement industriel régional est-il possible ? Notre enquête.

"Les industriels se sentent soutenus tout d'un coup alors qu'ils se sentaient les parias de l'économie". Patrice Pennel, président régional du Medef, ardent défenseur de l'industrie depuis toujours, ne cache pas sa profonde satisfaction face au changement d'état d'esprit très perceptible dans notre pays et dans les Hauts-de-France. « L'industrie n'est plus un gros mot », confirme Olivier Hutin, son homologue à l'UIMM. Le mouvement était déjà perceptible, mais la Covid a imposé une prise de conscience de l'importance vitale de conserver un tissu industriel. La dépendance de la France a mis à jour nos vulnérabilités, criantes dans le domaine de la santé, aujourd'hui dans celui de l'automobile, entravée par les pénuries de semi-conducteurs. Plus un discours de candidat à la présidentielle sans référence à l'industrie voire aux relocalisations. Jusqu'au haut-commissaire au plan François Bayrou qui préconise un « plan Marshall pour la reconquête industrielle et productive ».

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Il faut dire que le détricotage industriel a coûté cher à la France et à notre région. La part de l'industrie dans la richesse nationale est tombée à 12,5% (et même 10,1% pour la seule industrie manufacturière), contre 21,1% en Allemagne. En région, les effectifs ont fondu de 14% entre 2010 et 2020. Bien sûr avec les gros dossiers qui ont pu faire les gros titres comme Tim (cabines d'engin, près de Dunkerque), Bridgestone, Whirlpool ou Sambre & Meuse à Maubeuge parmi bien d'autres. Mais aussi à travers les petites restructurations, les disparitions discrètes mais non moins douloureuses en perte d'emplois. Même les collectivités dont la plupart évitaient de se positionner sur le champ industriel (aux exceptions très notables de Dunkerque et Valenciennes) n'ont plus d'état d'âme. Illustration : notre région est celle qui compte le plus de zones d'activités labellisées « sites clés en mains ». Les treize parcs affichent ainsi la garantie que toutes les procédures préalables ont été purgées et que tout industriel intéressé peut compter sur un délai de réaction très court.

Sujets d'avenir

Ce dispositif est l'un des nombreux outils déployés depuis la crise sanitaire pour doper l'industrie, succédant aux Territoires d'industrie ou au programme Industrie du futur. En région, une mission de réindustrialisation - unique en France - avait même été confiée à Philippe Vasseur avec une priorité sur sept territoires en forte déprise industrielle. France Relance s'est avéré un puissant accélérateur du mouvement, tout en orientant l'investissement. « On n'a pas fait de la relance juste pour soutenir l'activité, mais vers des sujets  d'avenir : la décarbonation, les industries stratégiques, les relocalisations », décrypte Laurent Buchaillat, secrétaire général pour les affaires régionales. A travers différents appels à projets, l'Etat a ainsi donné un coup de booster contracyclique bienvenu. « On aurait pu penser que les investissements seraient orientés vers les grandes entreprises, mais les deux tiers des lauréats sont bien des Pme », souligne Yannick Jeannin, chef du service économique de l'Etat en région. Les Hauts-de-France ont particulièrement bénéficié de ces subsides, grâce au fort volontarisme local. Près de 1 000 entreprises auront reçu près d'un demi-milliard d’euros (463 M€) pour rebondir, générant un fort effet levier. Soit un résultat largement supérieur au poids économique de la région. « Il y a une dynamique sur ce territoire, car il y a une histoire, des traditions, des salariés qui ont des compétences et un rapport aux savoir-faire industriel », se félicite Laurent Buchaillat. 

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La CCI a de son côté identifié 60 projets de relocalisation d'activités industrielles, à l'exemple de Nidaplast, FashionCube ou Safilin. Au total, ces dossiers pèseraient un potentiel de 1 700 emplois. Ajoutons à cela la première place des Hauts-de-France en matière d'investissement industriel étranger depuis quatre ans

Impôts de production

Portés par ces nouveaux courants favorables, les Hauts-de-France pourront-ils réarmer durablement leur tissu industriel ? « Ce sera compliqué de faire revenir des industries, même s'il y a de vrais atouts : les salaires ont monté en chine, les écarts se sont affirmés entre la production en France ou à l'autre bout du monde. Mais on reste handicapés en France par les impôts de production qui restent élevés par rapport à d'autres pays comme l'Allemagne », analyse Olivier Hutin, qui souligne en revanche l'image positive de la France et une région dont les politiques sont ouvertement pro-industrie. «Bien sûr qu'il faut produire localement, ça fait 20 ans qu'on le dit », lâchait Didier Leroy, président de Toyota Motor Europe lors des 20 ans de l'usine nordiste courant novembre. « A l'époque, tous les constructeurs n'avaient qu'une idée en tête : il n'est plus possible de construire un véhicule en Europe », se rappelle le capitaine d'industrie. Force est de constater que le groupe japonais a pleinement réussi son pari avec le succès remarquable de sa Yaris made in Onnaing qui aura généré ici près de 5 000 emplois directs.

Pour autant, la route ne sera pas pavée de pétales de roses. Le très gros secteur automobile régional (55 000 salariés) est en souffrance aujourd'hui non seulement du fait des pénuries mais aussi de l'abandon accéléré du moteur thermique. L'arrivée des gigafactories ACC (Douvrin) et Envision (Douai) risque bien de ne pas suffire à compenser les secousses chez les fournisseurs de pièces thermiques. Par ailleurs, l'actuelle hausse des prix de l'énergie et des matières premières pénalise fortement nos gros industriels (Arc, Ascoval...), sans parler des difficultés parfois aiguës de recrutement. Et l'arrivée en Europe de produits manufacturés à l'autre bout du monde sans nos contraintes sociales ou environnementales crée la même concurrence déloyale qui, il y a vingt-cinq ans, a déjà détruit notre industrie textile. « La région a un positionnement géographique, une tradition d'entreprises, de savoir-faire, un écosystème plutôt favorable, une volonté des acteurs de jouer le plus collectif possible, mais il ne faut pas se reposer sur ses lauriers », résume le SGAR Laurent Buchaillat.

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Petit vademecom de la relance industrielle

1. France industrie

Organisation professionnelle représentative de l’industrie française créée en 2018 Déclinée localement par des comités régionaux de l’industrie (référent régional : Laurent Bataille, président de Poclain Hydraulics)

Missions : valoriser et promouvoir le rôle de l’industrie ; mener des actions sur les enjeux du secteur tels la compétitivité, l’emploi, les compétences, la transition écologique, l’innovation ou encore la politique industrielle européenne.

2. territoires d’industrie

Lancés en 2018
Missions : accompagner le développement des entreprises situées sur les territoires à forts enjeux industriels ; soutenir les projets financièrement (+1Md€ de budget), administrativement, techniquement et humainement.

3. France relance (2020-2022)

Missions : accélérer les transformations écologique, industrielle et sociale. Avec pour visée des résultats en matière de décarbonation, reconquête industrielle, renforcement des compétences et des qualifications

Budget : 100 Mds€

4. France 2030

Dévoilé en octobre 2021
Missions : faire émerger « les futurs champions technologiques » de demain ; développer la compétitivité industrielle ; accompagner les transitions des secteurs énergie, automobile ou encore aéronautique. Avec l’ambition affichée de « permettre à la France de retrouver le chemin de son indépendance environnementale, industrielle, technologique, sanitaire et culturelle ». Budget : 30 Mds€ sur 5 ans

 

 

 

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