Dossier agriculture - Philippe Choquet (UniLaSalle) : "L'exploitation familiale est sans doute la plus résiliente"

Philippe Choquet, directeur d’UniLaSalle Beauvais. Philippe Choquet, directeur d’UniLaSalle Beauvais.

Quelques semaines après le début du mouvement des agriculteurs dans le pays, le directeur d’UniLaSalle Beauvais Philippe Choquet livre son regard à Eco121 sur l’état de santé du secteur agricole. Notamment en Hauts-de-France où la bio et l’élevage entre autres connaissent de grandes difficultés. Pour autant, les opportunités et les voies de développement pour l’ensemble de la filière ne manquent pas. Entretien.

Quel regard portez-vous sur la crise actuelle du monde agricole ?

Le mouvement est né dans le sud-ouest pour une problématique de revenu. Pendant le Covid, les Français ont réintégré la fragilité de notre filière alimentaire et l’importance de notre souveraineté alimentaire. Mais au sortir de la crise, c’est reparti en éclats. On est revenu à un fonctionnement qui consiste à payer le moins cher possible son alimentation.

Le mouvement a petit à petit gagné le reste de la France, amplifié avec d’autres préoccupations émergent d’un mal-être profond des agriculteurs. Lié aux critiques les qualifiant de pollueurs à cause de l’usage de pesticides. Or, ce sont les premiers à faire attention à l’environnement. Un mal-être lié aussi à la surcharge réglementaire. La France s’impose des règles que d’autres pays, européens ou non, ne s’imposent pas. Leur prix de revient est plus faible que le nôtre car ils utilisent des OGM. Il y a vraiment un souci de cohérence, ça ne peut plus continuer ! Certes, il est important de baisser l’utilisation des OGM et des produits phytosanitaires. Mais cela fait grimper les prix de production et la viabilité des rende- ments des agriculteurs. Comment peuvent-ils garantir un volume de production ? Ils font face à une variabilité qu’ils ne peuvent pas gérer alors qu’ils ont des prêts à rembourser. Cette contrainte de revenus liée à la réglementation doit être gérée par l’Etat.

La France était largement exportatrice autrefois. Aujourd’hui, on importe davantage. C’est un vrai sujet...

La France était en effet une grande exportatrice de viande de porc, par exemple. Elle est devenue importatrice nette. Parce que d’autres pays n’ont pas les mêmes contraintes environnementales, parce qu’ils ont su développer leur filière et parce qu’on n’a pas su accompagner la croissance de la nôtre. C’est regrettable d’être passé d’une situation excédentaire à une situation structurellement déficitaire. L’enjeu est celui de notre souveraineté. Autre exemple, l’Egypte achetait avant du blé français et maintenant du blé russe. Doit-on adopter une politique volontariste exportatrice ? La géopolitique doit être prise en compte. La France a des conditions de production qui peuvent lui permettre d’alimenter des pays ayant des variabilités de production menaçant leur sécurité alimentaire. Les Hauts-de-France ont naturellement une vocation plus exportatrice que d’autres régions françaises grâce aux conditions de production assez exceptionnelles.

Justement, quel est l’état de l’agriculture régionale ?

La problématique de revenus des agriculteurs est aiguë dans certaines régions et dans certaines filières, comme celles du bio ou de l’élevage. La ferme des Hauts-de-France est affectée par la variation du prix des intrants et des engrais qui entend se compenser par la hausse du prix des produits agricoles. Cette année, il y a un décalage entre les prix de ces produits et ceux des intrants restés relativement élevés. Mais de manière générale, l’agriculture régionale se porte plutôt bien car elle est plurielle.

Le bio ne risque-t-il pas d’être coupé dans son élan comme la filière solaire ?

Cette filière demande du temps pour la conversion de l’agriculteur puis de la mise en route de la production. C’est coûteux et nécessite beaucoup de main d’oeuvre. Ce n’est pas un changement que l’on opère du jour au lendemain en fonction du marché. Notre région n’est pas mauvaise élève mais partait de plus loin en termes de production bio par rapport à d’autres régions. Il y a eu un effet yoyo sur les prix, notamment dû à une baisse drastique des achats des consommateurs et de ce fait d’une sur-production.

Un prix supérieur à celui des produits conventionnels qu’il faut accepter de payer...

Il y a en effet un prix de base à accepter. Le consommateur est-il prêt ? Il y a sans doute encore de la pédagogie à faire. S’il ne l’est pas, c’est à l’Etat (donc le consommateur indirectement) de payer pour soutenir nos filières alimentaires, bio ou non. Notre souveraineté alimentaire ne peut pas supporter les effets de marchés actuels. Il faut sécuriser et ce n’est pas le rôle de la politique agricole commune de l’Union européenne. Elle soutient certaines productions, mais très peu en sont éligibles. Il y a des réflexions à mener sur les aides pour l’ensemble des filières agricoles.

Quant à l’élevage, également en difficulté, comment aider la filière ? On se souvient de l’échec de La Ferme aux 1 000 vaches en région...

Avec un élevage pluriel. La Ferme aux 1 000 vaches répondait selon moi à un type d’exploitation intermédiaire, permettant une agriculture respectueuse de l’environnement, des prix de revient compétitifs et où les agriculteurs pouvaient travailler ensemble. Le modèle n’était pas aberrant dans le contexte d’exploitations intermédiaires des Hauts-de-France. Mais ne convenait pas forcément à d’autres régions. Certaines ont des fermes de taille plus importante où ça se passe très bien car elles sont acceptées par l’environnement et pas opposées à l’agriculture de campagne.

Il faut laisser la possibilité d’expérimenter puis de tirer les conséquences et les leçons, avant d’être arc-bouté sur des postures. Malheureusement pour La Ferme aux 1 000 vaches, il y a eu beaucoup de postures et d’oppositions. Je pense qu’il fallait aller jusqu’au bout de l’expérimentation.

A lire aussi : Dossier Les 10 grands défis de l'agriculture régionale

Comment a évolué notre agriculture régionale ces dernières décennies ?

Elle a fait d’énormes progrès sur la maîtrise de ses éléments de production, de coûts et d’usage. On a baissé l’utilisation des intrants de manière importante. Les nouvelles technologies permettent une meilleure gestion et prévention des risques, comme les maladies de la plante. D'énormes progrès aussi sur la traçabilité des produits. On n’a jamais été aussi précis. Ce sont des garanties de qualité qu’on apporte aux consommateurs. Avec une meilleure gestion de la biodiversité, une nouvelle agriculture fait son apparition basée sur la richesse et la vie des sols pour que la plante soit la plus saine possible. C’est l’agroécologie. Là aussi, de nombreux progrès ont été faits avec l’aide de la recherche et d’établissements comme UniLaSalle. Les agriculteurs sont conscients qu’on n’a jamais été aussi professionnels dans la conduite de l’agriculture.

A quelle agriculture doit-on s’attendre en Hauts-de-France demain ?

Nos cultures sont très industrielles. Le modèle qui prédomine chez nous est l’exploitation familiale. Sans doute le plus résilient selon moi. Pour l’avenir, il nous faut un juste équilibre entre spécialisation et diversification. L’agriculture est de plus en plus sollicitée pour sa fonction alimentaire mais aussi non-alimentaire. Pour une industrie décarbonée, il faut des substituts naturels au pétrole, comme la paille de lin ou de chanvre, pour la fabrication de matériaux composites ou encore de biocarburants. La production agricole peut avoir des débouchés variables. Il y a des opportunités à saisir. Certains agriculteurs iront chercher de la valeur ajoutée sur des exploitations de 60, 80 ou 100 ha. D’autres iront sur des modèles plus industriels et auront des fermes plus importantes pour alimenter des industries de transformation.

Je pense qu’il faut de tout pour que notre système puisse résister. Je suis résolument optimiste pour nos activités agricoles en région. Notre avantage est qu’on peut tout faire. On commence même à planter de la vigne !

Vous côtoyez quotidiennement des jeunes au sein d’UniLaSalle. Le métier d’agriculteur fait-il encore rêver ?

Le métier attire encore. Nous avons pas mal d’enfants d’agriculteurs à UniLaSalle et certains ont dans leur projet cette volonté d’installation parce que c’est un métier qui a du sens. Aujourd’hui, un agriculteur est un entrepreneur d’une Pme avec une dimension technique, marketing, de gestion d’exploitation. C’est un changement majeur par rapport à l’agriculteur d’il y a 20 ans. S’installer en tant qu’agriculteur demande énormément de compétences et un niveau de formation élevé. Ce niveau de formation des agriculteurs de nos régions est en moyenne plus élevé que celui d’autres secteurs d’activité. Cette formation a été poussée par les organisations professionnelles agricoles qui ont le souci de la formation continue pour accompagner les évolutions de la filière.

Quelle est la part de vos étudiants qui veulent s’installer à leur compte ?

10 à 20% des diplômés d’UniLaSalle franchissent le pas à moyen-long terme. Une part sans doute renforcée par le Covid et par la mise en évidence de l’importance de nos filières alimentaires françaises. Mais aussi par les atouts des Hauts-de-France, de bons sols globalement, un bon climat et des exploita- tions viables économiquement.

Les jeunes qui s’installent sur l'exploitation familiale le font avec des projets différents de ceux de leurs parents. Ils font des choix liés à l’évolution du marché, de la société, du secteur agricole. Cela passe par des productions à valeur ajoutée en plus de celles de leurs parents. Il y a de vraies possibilités de développer de nouvelles activités pour sécuriser et renforcer la viabilité économique des exploitations. Les Hauts-de-France sont dans un environnement de grandes métropoles qui ont le sens de l’entrepreneuriat. Il y a des choses à faire !

Changement climatique, nouvelles technologies, alimentation-santé... Comment l’école anticipe-t-elle ces évolutions ?

Ce sont des enjeux majeurs. Sur l’alimentation-santé, on forme nos étudiants avec un fil rouge : comment notre alimentation retrouve sa vocation première de bonne alimentation en apports énergétiques et en qualité. Le changement climatique aux impact sur l’agriculture et la biodiversité. Les étudiants sont formés sur les anticipations à mener sur les variations de rendements, les nouvelles espèces résistantes à la sécheresse ou aux forts taux d’humidité. On leur apprend à aller plus vite sur ces nouvelles variétés, ces nouvelles génétiques, tout en diminuant la quantité de produits phytosanitaires. Ce sont des équations complexes à résoudre. Mais de nouveaux outils le permettent. C’est là qu’intervient le sujet des nouvelles technologies.

Comment ces enjeux influencent les attentes de vos étudiants ?

Ils renforcent le métier d’agriculteur comme cultivateur du vivant, qui prend soin de sa terre, ses végétaux, ses animaux et qui essaie de gérer cet équilibre. Gérer ses cultures avec moins de produits phytosanitaires, tout en prenant en compte les changements climatiques, demande une vraie intelligence pour piloter l’ensemble. Pour nos jeunes, ça renforce la noblesse du métier et de la fonction d’agriculteur. Mais cette noblesse doit se refléter dans des prix justes. Ce qui renvoie à un salaire minimal.

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