Inondations : comment gérer l'après ?
Le Pas-de-Calais se souviendra longtemps de ce mois de pluies continues entre la mi-octobre et la mi-novembre. Des crues historiques de la Canche, la Liane, l'Aa ou encore la Hem, entraînant chaos et désolation. Près de 400 communes touchées. Des dégâts qui se révèlent considérables. Si la situation est dramatique pour de nombreux foyers, avec plusieurs milliers de maisons qui se sont retrouvées sous les eaux, elle l’est également pour les entreprises. Pertes d'exploitation, mais aussi de matériel et de marchandises. L’épisode a été d’autant plus éprouvant qu’il a été très long, avec trois inondations successives. « Même si nous sommes bien rodés en termes de gestion de sinistre, note Jean-François Lemaire, le directeur des assurances de Groupama, nous avons été très surpris par la durée de l’événement.»
Selon les premières estimations de la CCI Hauts-de-France, près de 150 entreprises se retrouvent en très grande difficulté dans le Pas-de-Calais, avec des locaux qui ont été inondés et un arrêt subséquent de la production et du travail. 400 entreprises ont subi des dégâts plus ou moins importants, ou n’ont pas été en mesure de poursuivre leur activité, du fait par exemple de l'obstruction des voies d’accès et de l'impossibilité des salariés de se rendre sur leur lieu de travail. Enfin, elles sont plusieurs milliers à avoir subi un impact direct ou indirect, à évaluer plus finement dans les prochaines semaines ou les prochains mois. C’est le cas notamment des fournisseurs et des sous-traitants. Dans le Boulonnais, la zone autour du fleuve côtier de la Liane rassemble près de 115 entreprises. Selon la CCI Littoral, la moitié (57) ont été touchées d’une manière ou d’une autre par les inondations. Dans le Calaisis, 20 en- treprises ont subi des dégâts, 55 dans le Mon- treuillois.
Le passage de la tempête Ciaran, quelques semaines auparavant, a entraîné un afflux de dossiers d’indemnisation chez Groupama. Dans la région Nord-Est, le groupe en a reçu plus de 4 500, dont 20% concernent les inondations. 25% des dossiers traités par l’assureur relèvent des entreprises.
Des pertes colossales
Pour les plus durement touchées, les pertes peuvent être colossales, à l’image de l’entreprise SBE, à Saint-Léonard, en périphérie de Boulogne-sur-Mer. Ses dommages dépasseraient les 15 M€. A deux reprises, les locaux du spé- cialiste de la réparation de matériels électroniques se sont retrouvés submergés par 50 cm d’eau, ce qui a provoqué l’arrêt de la produc- tion et la mise en chômage partiel des 400 salariés. L’entreprise, propriété depuis peu de Cordon Group (Eco121 n°133), a transféré une partie de ses équipes dans le gymnase de la ville, ainsi que dans ses unités de Tourcoing et au siège de Dinan, en Bretagne. Elle est aussi logée dans la mairie de Saint-Léonard.
« Nous avons connu trois inondations majeures, à chaque fois de plus en plus fortes, re- late de son côté Marc Leroy, le dirigeant de la Société d’impression du Boulonnais (SIB). La troisième a touché 100% des stocks. Les dégâts sont très importants sur les équipements et le système électrique. Les équipements lourds ne seront pas relancés avant 2024. Nous avons près de 1 000 moteurs à démarrer. Le travail est d’autant plus considérable que nous n’avons ni chauffage, ni électricité, dans un milieu humide. » Celui qui est également vice-pré- sident de la CCI Littoral et administrateur du Medef estime les dégâts à au moins 2M€. L’e treprise a dû mettre ses 150 salariés au chômage technique, à l’exception d’une quinzaine chargés de nettoyer les lieux.
A qui la faute ?
A l’heure où nous imprimons, l’évaluation des dégâts commençait seulement à être chiffrée : la Caisse Centrale de Réassurance (CCR) évoquait ainsi une facture de 550 M€. Mais les questions suivent immédiatement. A commencer par celle-ci : A qui la faute ? Et que faire pour demain ? Car si les crues peuvent à l'évidence être considérées comme un événement climatique exceptionnel, il y avait déjà eu un précédent en 2002, avec des inondations de grande ampleur. La leçon a-t-elle été retenue ? « Nos appels aux collectivités locales n’ont pas été entendus », se lamente Marc Leroy. Il explique ainsi qu’il y avait plus d’un mètre de limon dans la Liane qui n’a pas été draguée. Ce qui aurait pu réduire d’autant la montée des eaux...
Un énorme travail pour sécuriser certaines zones s’avère nécessaire. Une fois que les tra- vaux de réparation auront été effectués, que se passera-t-il ? « Soit on déménage tous, soit on traite les choses pour qu’elles ne se reproduisent plus, lance Marc Leroy. Si c’est pour remettre en état et que ça saute tout de suite après, quel est l’intérêt ? Il faut se mettre autour de la table avec les collectivités. Si on veut conserver la zone industrielle, il faut s’en donner les moyens. »
Mais sera-t-il possible de garder les entreprises à l’endroit où elles se trouvent aujourd’hui? Faudra-t-il construire plus loin que les berges ? Les entreprises préféreront-elles s’installer là où elles ne risquent plus d’être inondées ? Et quelle sera l’attitude des assureurs ? Refuseront-ils d’assurer des entreprises trop exposée aux risques ? « Le sujet des cotisations se retrouve exacerbé dans ces moments très mé- diatisés, explique Jean-François Lemaire (Groupama). Les inondations dans le Pas-de- Calais ont été spectaculaires, mais elles ont fait moins de dégâts que la tempête Ciaran. Dans l’assurance, il faut que le risque soit aléatoire, sinon ce n’est plus assurable. Si les phénomènes climatiques augmentent et deviennent plus intenses, les assureurs se poseront bien sûr des questions. En attendant, il faut que les collectivités et l’Etat engagent les travaux. Je pense que nous pouvons gérer le problème. Prenons l’exemple des Pays-Bas. Le pays vit sous le niveau de la mer, mais il n’est pas inondé. »
Le conseil régional, qui tenait une séance plénière le 22 novembre, a pris les devants sur le dossier. Non seulement en ouvrant les vannes des aides, mais aussi en se positionnant pour une remise à plat complète des dispositifs existants et de leur gouvernance. Une forme d'expérimentation avant peut-être des évolutions législatives. « Ce n'est pas notre compétence, mais on a envie de faire le job. Qu'est-ce qui marche, qu'est-ce qui ne marche plus ? interroge Jacques Coulon, vice-président de la collectivité. Notre ambition est de poser les bases d'une transformation profonde du système, avec des acteurs qu'on aimerait moins nombreux et plus grands pour pouvoir mutualiser et avoir plus d'ingénierie. »
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