La relance du nucléaire, une chance historique pour l'économie régionale

Une vision de ce que pourrait être la paire d'EPR2 de Gravelines dont l'entrée en production est espérée pour 2038-2039 Une vision de ce que pourrait être la paire d'EPR2 de Gravelines dont l'entrée en production est espérée pour 2038-2039

Après une longue traversée du désert, le retour inattendu du nucléaire va représenter un investissement colossal pour la nation. Gravelines devrait accueillir deux EPR2 de nouvelle génération. Un enjeu d’une vingtaine de milliards d’euros, indispensable pour fournir une électricité abondante et décarbonée, et une énorme opportunité économique pour les entreprises déjà présentes dans la filière, mais aussi pour les autres.

Comment la région peut-elle surfer sur le renouveau nucléaire ?

Notre enquête.

Qui l'eut cru ? Sujet à des critiques virulentes pendant des années, à des décisions brutales d'arrêt en Allemagne ou au Japon, déstabilisé par l'accident de Fukushima, le nucléaire fait son grand retour.

Décarbonée, sécurisée, pilotable, cette énergie s'est rappelée au bon souvenir de tous ceux qui l'avaient enterrée trop vite, alors qu'elle se révèle précieuse pour garantir des capacités électriques constantes afin de couvrir l'intermittence des énergies renouvelables, à des tarifs stables. Et pour permettre la transition industrielle vers la décarbonation. L'Allemagne paie aujourd'hui le prix fort de son abandon inconsidéré. La France a bien failli suivre cet exemple. Mais, symbole du en-même temps, Emmanuel Macron, après avoir décidé la fermeture de Fessenheim en juin 2020, décidait le 10 février 2022 « la reprise en main du destin énergétique de la France ». En appui, le lancement d'un programme ambitieux de nucléaire civil à travers la création de trois paires de deux réacteurs de nouvelle génération EPR2, soit 52 Mds € (chiffrage 2022) au total, sans compter une autre tranche potentielle de 8 autres réacteurs. En parallèle, tous les réacteurs qui peuvent être prolongés le seront jusqu'à 60 ans.

Une décision aux conséquences capitales pour notre région car Gravelines, qui accueille déjà la plus grande centrale nucléaire d'Europe occidentale, devrait héberger l'une de ces tranches.

L’enjeu se chiffre à quelque 18 Mds € et à 8 000 emplois au pic du chantier. Et si la mise en route idéale annoncée paraît très lointaine, à savoir 2038-2039, un chantier de cette envergure est tel qu'il faut absolument l'anticiper. A fortiori quand, en parallèle, plusieurs projets majeurs voient aussi le jour dans le même bassin d'emploi. En l'occurence, et sans être exhaustif, deux méga-usines de batteries (Verkor et ProLogium), mais aussi une usine d'éléments de cathodes (XTC-Orano), qui à elles trois représentent plus de 7 Mds € de travaux et des milliers d'emplois à fournir.

« Un chantier surdimensionné»
C'est pour piloter cette mise en œuvre extrêmement complexe qu'un comité stratégique territorial a été formellement porté sur les fonts baptismaux à Dunkerque le 10 novembre, en présence des grands décideurs de la région : le préfet Leclerc, Xavier Bertrand, Gabriel Oblin, patron du projet EPR2 chez EDF, les présidents du Medef, de l'UIMM, de la CCI Littoral, sans oublier bien sûr Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine et ministre du Logement. « C'est un chantier surdimensionné par rapport aux autres et qui mérite un focus un peu particulier. Il est aussi marqué par une profondeur de temps. Ca ne veut pas dire qu'il n'y aura pas une coordination de l'ensemble des projets », pointe celui-ci, évoquant l'autre dispositif collectif mis en place, « Dunkerque 2030 ».

« C'est un travail au long cours », renchérit Xavier Bertrand, qui a positionné la région dès les débuts de son premier mandat comme candidate pour accueillir ces nouveaux réacteurs, et qui se déclare prêt à jouer toute sa partition en matière de formation. L'ancien ministre souligne l'enjeu des compétences, alors que la prolongation des centrales jusqu'à 60 ans d'activité signifierait dix années de concomitance entre l'usine nucléaire actuelle et les EPR2.

La filière nucléaire régionale, qui avait largement levé le pied ces dernières années, fourbit à nouveau ses armes pour participer à cette nouvelle aventure. Incarnée par le pôle Nucléi, elle revendique quelque 260 entreprises (et 7 000 salariés directs), évidemment très attentives au potentiel de ce nouveau marché XXL. Delcorte, fabricant de raccords forgés, investit ainsi dans une unité dédiée à Maubeuge (lire ci-après). Reg Technology, fabricant de vannes de précision (Haubourdin), dispose d'un savoir-faire rare.

Il a réalisé 4,2 M€ de chiffre d'affaires en 2022, dont 1,2 M€ dans le nucléaire. « Nous sommes quatre en France à savoir faire ça, décrit son dirigeant Patrice Pennel, également président régional du Medef. J'espère bien que ça va croître, on est à fond », lâche-t-il avec enthousiasme. L'usine Framatome, à Jeumont, monte aussi en puissance : il y a quelques mois, le fabricant de composants mobiles pour le nucléaire et la défense a lancé le recrutement de 100 personnes.

Il emploie aujourd'hui 680 salariés sur place et 60 en maintenance, avec un gros programme de formation pour renforcer la polyvalence de son personnel. Le groupe familial Bernard Controls, spécialiste des servomoteurs (plus de 500 salariés), très présent dans le secteur atomique, s'apprête de son côté pour de nouveaux développement dans l'Oise.

Les EPR2, quesaco ?

D'abord « European Pressurized Reactor » puis « Evolutionary Primary Reactor », l'EPR 2 est une version optimisée et industrialisée de l'EPR. Chaque EPR2 aura une puissance de 1670 MW. Ils seront implantés par paires, dont la puissance correspondra à la moitié de consommation d'une région comme l'Île-de-France. Plusieurs EPR ont déjà été lancés dans le monde, dont deux en Chine (Taishan), un en Finlande (Olkiluoto), et deux en Grande-Bretagne (Hinkley Point). L'EPR de Flamanville est lui en construction depuis 2007 et a connu de très nombreux retards.A noter que les EPR intègrent quatre niveaux de redondance pour atteindre des seuils de sécurité particulièrement hauts, l'accident de Fukushima ayant poussé l'ensemble des gouvernements à rehausser très fortement leurs exigences. 

De nombreux marchés accessibles 

« Les entreprises habituées à travailler avec la centrale de Gravelines ou les autres sont parfaitement informées. Le challenge avec François Lavallée (président de la CCI Littoral) consiste à donner à voir ces opportunités aux entreprises locales qui n'ont pas forcément l'habitude de travailler avec ce secteur », explicite Gabriel Oblin, directeur du projet EPR2 chez EDF (lire son interview ci-après). Hors du cœur du chantier purement nucléaire, de nombreux marchés leur seront en effet accessibles, avec même des dispositifs puissants favorisant les réponses locales. Les fournisseurs de rang 1 se voient ainsi offrir un bonus en fonction du volume de facturation locale (Nord-Pas-de-Calais et Somme). « Ces grands chantiers peuvent être une occasion de grandir pour nos entreprises, pour aller ensuite exporter leurs compétences ailleurs en France », plaide François Lavallée.

C'est pour apporter la bonne parole et convaincre les entreprises de se lancer à l'eau qu'une première grande réunion publique s'est tenue à Gravelines le 20 octobre. L'attente est forte puisque pas moins de 300 entreprises avaient fait le déplacement. Certes pour rechercher les premières informations commerciales (les appels d'offre seront relayés sur le site CCI Business Hauts de France), mais aussi pour se rassurer sur la coordination entre ces chantiers historiques qui pleuvent sur le Dunkerquois. Et qui ne manqueront pas de peser sur les ressources locales : humaines d'abord avec 20 000 emplois à recruter, mais aussi matérielles. Autant dire que le territoire doit impérativement se préparer au « fine tuning », autrement dit le pilotage en finesse, pour éviter la sortie de piste.

Une chose est sûre, les acteurs régionaux en ont pris la pleine mesure et la gouvernance est en place pour faire face à ce défi de tous les superlatifs. D'ailleurs, LAHO, structure de formation de la CCI, va piloter un gros chantier de formation, l'un des enjeux cruciaux des prochaines années à Gravelines. L'investissement atteindrait de 15 à 20 M€. Ce centre appelé à former plusieurs milliers de personnes par an pourrait être opérationnel d'ici deux ans.

L'emploi, combustible clé pour le nucléaire 

Les besoins de formation sont énormes. A l'échelle de la France, le Groupement des industriels Français de l'Energie Nucléaire (GIFEN) a planché sur le sujet dans un « plan d'actions compétences » de la filière publié en juin dernier. Il chiffre de 6 000 à 10 000 emplois par an le volume nécessaire à la filière dans les prochaines années. « Ce sont 100 000 emplois sur dix ans. On va travailler dans ce comité stratégique, en coordination avec l'Etat, pour qu'il n'y ait pas de compétition sur les emplois mais bien la recherche d'une logique de filière, expose Mathias Povse, directeur de l'action régionale d'EDF. « On doit s'assurer que les emplois ne soient pas le produit de la chasse chez le voisin mais bien d'une création de ressources nouvelles.»

Pour atteindre cet objectif très ambitieux, une université des Métiers du Nucléaire est mise en place, afin de fédérer et coordonner tous les acteurs de la formation, de l'emploi, ainsi que les associations et entreprises de la filière.

30 actions sont ainsi listées par le GIFEN depuis le levier de la formation continue jusqu'à l'orientation des jeunes en amont vers les filières scientifiques, en passant par le renforcement de l'attractivité du nucléaire.

Or la filière a souffert depuis une quinzaine d'années du désengagement des gouvernements et des pouvoirs publics souvent dépourvus de culture scientifique ou industrielle, et qui ont massivement « œuvré » en faveur du démantèlement. La catastrophe de Fukushima a évidemment pesé lourd, ainsi que la politique allemande. L'échec de cette dernière et l'envolée des prix de l'électricité ont déjà permis au nucléaire de se refaire une virginité. Mais attirer les jeunes générations n'est pas une mince affaire. L'industrie n'a toujours pas l'image qu'elle mériterait. Le nucléaire tout autant. « Il faut pouvoir attirer les jeunes, revaloriser les métiers de l'usine. Pour les gamins, l'usine, ce n'est pas Instagram ! » sourit Marie Delcorte, membre dirigeante du groupe Delcorte, sous-traitant en raccords forgés, à Maubeuge.

 

 A lire aussi : Gabriel Oblin, directeur du projet EPR 2 chez EDF “De nombreux marchés ne nécessitent aucune habilitation propre au nucléaire !"

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