Elodie Juge (Université de Lille) : "Aucun distributeur ne peut se dire serein face à l'avenir"

L’Université de Lille a créé la chaire industrielle Trend(s) en 2019, portée par le Professeur Isabelle Collin-Lachaud. En quoi consistent vos travaux ?

Trend(s) est une chaire collaborative et ouverte. C’est un programme scientifique avec des axes précis de recherches, la raison d’être des distributeurs, l’évolution culturelle ou encore les nouveaux modèles. La première saison a duré quatre ans et nous venons de lancer la saison 2 de la chaire. Nous sommes soutenus par la MEL, Cap Digital et comptons parmi nos partenaires des distributeurs comme Leroy Merlin, IDKids et Boulanger qui ont participé à nos travaux la première saison.

Comment le comportement des consommateurs a-t-il évolué ces dernières années ?

Le consommateur a toujours été complexe, volatil, avec des attentes parfois contraires. Il a une appétence certaine pour la consommation. Tout en étant de plus en plus attentif aux changements de la société, sur fond de grands enjeux climatiques. Ces enjeux nous touchent à différents degrés. Pour autant, nous sommes tous conscients des grands défis qui nous attendent. Mais comment appliquer cette prise de conscience dans nos actes d’achat ?

Et en période inflationniste ?

Le recul de la consommation observé ces derniers mois est un comportement habituel en situation d’inflation. Le prix redevient la priorité du consommateur. Même s’il déclare vouloir consommer mieux et si possible français, à la fin c’est le portefeuille qui aura le dernier mot.

Prise de conscience générale et pourtant certains distributeurs se livrent une lutte toujours plus acharnée face aux enseignes à bas prix comme Shein, Primark ou encore Action...

Ces géants font un carton, c’est indéniable ! Et c’est là toute la difficulté à laquelle se heurte le secteur du retail, tiraillé entre satisfaire des clients toujours plus exigeants, apporter une réponse aux enjeux environnementaux et tenir bon face à une concurrence féroce. Ce n’est pas simple car tous les indicateurs de performances jusqu’alors étaient basés sur le consommer plus. Comment parviendront-ils à rester prospères face à une volonté de consommer moins ? Certains d’entre eux ne sont pas prêts ! Il faudra du temps.

Il y a quelques années, la montée en puissance du commerce en ligne faisait craindre la fin du commerce physique. Qu’en est-il ?

En France, le magasin est encore très important. Les clients y sont attachés. Mais aujourd’hui, ils en demandent plus, du relationnel, des services annexes et des vendeurs avec des compétences supplémentaires. Se déplacer en boutique est un effort pour les clients, alors ils attendent en retour une récompense. Si le magasin n’est qu’un ensemble d’articles mis en vente, comme ils peuvent l’être sur un site Internet, alors le consommateur privilégiera le web.

A quoi doit ressembler un magasin aujourd’hui ?

Non plus à un simple magasin mais plutôt à un espace marchand. De plus en plus de concepts hybrides se déploient et font évoluer le business modèle des distributeurs. Les nouveaux espaces regroupent par exemple des espaces de coworking, de restauration, d’échange, de rencontre. Pour autant, on n’abandonne pas le produit. Mais celui-ci doit apporter de la valeur. Dans la métropole lilloise, le Monoprix Croisé Laroche à Marcq-en-Barœul est un bon exemple de point de vente nouvelle génération. Les distributeurs ont pendant des années investi beaucoup d’argent pour devenir omnicanaux. Maintenant, ils doivent passer un cran au-dessus. Au risque de disparaître s’ils n’y parviennent pas.

D’après vous, quels sont les enjeux du retail ?

Dans une vision post-croissance, le premier est indéniablement le changement radical du business modèle. Même si la tâche est compliquée. Aucun distributeur ne peut se dire serein face à l’avenir. Ils doivent s’ouvrir et travailler avec leur écosystème. Être audacieux, chercher de nouveaux relais de croissance... Mais il n’y a pas de fatalité. La distribution a toujours été bousculée. Rien de nouveau sous le soleil !

A lire aussi : Retail : Inflation, pouvoir d'achat, concurrence déloyales... quelles recettes gagnantes