Ginko : une maestria sans fausse note

Ouverte depuis septembre, cette table particulièrement discrète au cœur de Lille se révèle une divine surprise. Une cuisine de haut vol, dans l’air du temps, mais sans ses tics.

Valentina Giacobbe vient d'Italie, Julien Ingaud-Jaubert de Perpignan. Elle est cuisinière, lui pâtissier. Ils se sont rencontrés dans les cuisines du célèbre Pierre Gagnaire à Paris.

Ils ont atterri à Lille pour l'ouverture du Rozo avec Diego Delbecq. Pendant ce temps, lui fut pâtissier dans de belles maisons (Meurin, Laiterie, Clarance). En septembre 2023, ils ouvrent leur restaurant, discret sinon secret, à Lille en face de l'église Saint-Etienne, rue de l'Hôpital militaire. Tout y a été bien pensé pour donner à cette salle en lon- gueur, surplombée par la cuisine, une élégance confortable, faite de bois sombre (tables, fauteuils), d'un lambris riche sur l'un des murs et de briques anciennes brutes sur l'autre, de lumières reposantes, façon club privé chic.

La carte se compose de trois menus fixes, dont un végétal, à 65€ et 85€ en 4 et 6 services, plus au déjeuner une formule à 40€. Si les choix sont bien encadrés, avec courtoisie, on en comprend la raison lors du déroulé sans faille du repas. Les plats défilent sans précipitation et sans attente fastidieuse. Une tartelette à la poutargue (peu sensible) et chou fermenté en amuse-bouche sur une pâte très fine ouvre le repas. La saint-jacques entière crue, accompagnée d'un kimchi de carottes (saumurées), de furikake (condiment japonais) est délicatement mise en valeur par un bouillon acidulé d'algues et barbes de la coquille, et des éclats de noisette. Le deuxième plat, très plaisant, est végétal, betterave rouge crue et cuite dans une crème aigre fumée et œufs de poisson, soulignée d'estragon.

Ensuite le beau médaillon de cabillaud, vapeur puis nacré, de caractère, est bien servi par un beurre blanc aux algues et des salsifis glacés. La volaille farcie, jus de volaille, céleri-rave rôti en lanières, crème de cacahuète donne trois pôles de goût qui jouent bien ensemble. Puis vient le premier dessert aux agrumes de Vessières, une explosion de goûts frais, à la texture très légère. Il précède « l'amande et poire » : sous un très craquant biscuit, un sorbet à la poire et un pralin aux amandes. Et pour clore ce festival d'un niveau peu commun, un chou à la crème café exquis de légèreté et de saveur (ci-contre). Bon pain du « Levain du Nord » d'Arras.

Les vins, servis dans des verres fins, sont de bon choix (Costières de Nimes La Sommelière, par exemple) et font la part belle aux côtes du Rhône (hormis le châteauneuf du pape Bienheureux qui nous a paru léger). On notera l'absence (provisoire, nous dit-on) des bordeaux.

Tout au long du repas, les textures et les goûts sont en mariage dynamique et réussi. L'originalité sans mièvrerie, le style sans maniérisme fade, la grande rigueur dans l'organisation du (réel) plaisir gustatif, voilà qui caractérise cette magnifique table, servie par un personnel, tout de noir vêtu, gracieux, courtois et affable. Du grand art.

La réservation se fait par Internet (sans s'arrêter au site pas très engageant.)